Galimatias dramatique

La bibliothèque libre.
À l’enseigne du pot cassé - Collection Scripta Manent N°43 (p. 181-186).




GALIMATIAS DRAMATIQUE




UN JÉSUITE, prêchant aux Chinois. — Je vous le dis, mes chers frères, notre Seigneur veut faire de tous les hommes des vases d’élection ; il ne tient qu’à vous d’être vase ; vous n’avez qu’à croire sur-le-champ tout ce que je vous annonce ; vous êtes les maîtres de votre esprit, de votre cœur, de vos pensées, de vos sentiments. Jésus-Christ est mort pour tous, comme on sait ; la grâce est donnée à tous. Si vous n’avez pas la contrition, vous avez l’attrition ; si l’attrition vous manque, vous avez vos propres forces et les miennes.


UN JANSÉNISTE, arrivant. — Vous en avez menti, enfant d’Escobar et de perdition ; vous prêchez ici l’erreur et le mensonge. Non, Jésus n’est mort que pour plusieurs ; la grâce est donnée à peu ; l’attrition est une sottise ; les forces des Chinois sont nulles, et vos prières sont des blasphèmes ; car Augustin et Paul…


LE JÉSUITE. — Taisez-vous, hérétique ! sortez, ennemi de saint Pierre. Mes frères, n’écoutez point ce novateur, qui cite Augustin et Paul, et venez tous que je vous baptise.


LE JANSÉNISTE. — Gardez-vous-en bien, mes frères ; ne vous faites point baptiser par la main d’un moliniste ; vous seriez damnés à tous les diables. Je vous baptiserai dans un an au plus tôt, quand je vous aurai appris ce que c’est que la grâce.


LE QUAKER. — Ah ! mes frères, ne soyez baptisés ni par la patte de ce renard, ni par la griffe de ce tigre. Croyez-moi, il vaut mieux n’être point baptisé du tout ; c’est ainsi que nous en usons. Le baptême peut avoir son mérite ; mais on peut très-bien s’en passer. Tout ce qui est nécessaire, c’est d’être animé de l’esprit ; vous n’avez qu’à l’attendre, il viendra, et vous en saurez plus en un moment que ces charlatans n’en pourraient dire dans toute leur vie.


L’ANGLICAN. — Ah ! mes ouailles, quels monstres viennent ici vous dévorer ! Mes chères brebis, ne savez-vous pas que l’Église anglicane est la seule Église pure ? nos chapelains, qui sont venus boire du punch à Kanton, ne vous l’ont-ils pas dit ?


LE JÉSUITE. — Les anglicans sont des déserteurs ; ils ont renoncé à notre pape, et le pape est infaillible.


LE LUTHÉRIEN. — Votre pape est un âne, comme l’a prononcé Luther. Mes chers Chinois, moquez-vous du pape, et des anglicans, et des molinistes, et des jansénistes, et des quakers, et ne croyez que les luthériens : prononcez seulement ces mots, in, cum, sub, et buvez du meilleur.


LE PURITAIN. — Nous déplorons, mes frères, l’aveuglement de tous ces gens-ci, et le vôtre. Mais, Dieu merci, l’Éternel a ordonné que je viendrais à Pékin, au jour marqué, confondre ces bavards ; que vous m’écouteriez, et que nous ferions le souper ensemble le matin, car vous saurez que, dans le quatrième siècle de l’ère de Denys-le-Petit…


LE MUSULMAN. — Eh ! mort de Mahomet, voilà bien des discours ! Si quelqu’un de ces chiens-là s’avise encore d’aboyer, je leur coupe à tous les deux les oreilles ; pour leur prépuce, je ne m’en donnerai pas la peine ; ce sera vous, mes chers Chinois, que je circoncirai : je vous donne huit jours pour vous y préparer ; et si quelqu’un de vous autres, après cela, s’avise de boire du vin, il aura affaire à moi.


LE JUIF. — Ah ! mes enfants, si vous voulez être circoncis, donnez-moi la préférence ; je vous ferai boire du vin tant que vous voudrez ; mais si vous êtes assez impies pour manger du lièvre qui, comme vous savez, rumine et n’a pas le pied fendu, je vous ferai passer au fil de l’épée quand je serai le plus fort, ou si vous l’aimez mieux, je vous lapiderai ; car…


LES CHINOIS. — Ah ! par Confucius et les cinq Kings, tous ces gens-là ont-ils perdu l’esprit ? Monsieur le geôlier des petites-maisons de la Chine, allez renfermer tous ces pauvres fous chacun dans leur loge.