Garibaldi

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A. Bourdilliat et Cie (p. 1-36).
GEORGE SAND

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GARIBALDI

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PARIS
LIBRAIRIE NOUVELLE
boulevard des italiens, 15
A. BOURDILLIAT ET Ce, ÉDITEURS
La reproduction et la traduction sont réservées
1860



GARIBALDI

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Un an ne s’est pas écoulé depuis le jour anniversaire de la naissance de Garibaldi. — Ce même jour, nous écrivions sur ce héros quelques pages que nous réimprimons aujourd’hui et que nous ferons suivre des réflexions suggérées par la nouvelle situation de l’Italie.


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À travers les sentiers emportés par les pluies d’orage et semés des formidables débris écroulés la veille, je marchais, il y a quelques jours, dans un pays sublime. Ruines imposantes des antiques volcans, les montagnes, couvertes d’immenses pâturages, avaient revêtu leurs robes vertes, diaprées de renoncules et de narcisses. Un beau soleil faisait étinceler encore des neiges obstinées, tandis qu’à deux pas de l’éternel hiver, les vaches tachetées broutaient en paix les fleurs nouvelles, et qu’un grand aigle décrivait, avec son ombre portée, des cercles majestueux et lents sur la vaste arène des prairies.

À l’abri des plus hautes cimes, sur ces plateaux élevés, derniers sanctuaires de la vie pastorale, quelques êtres humains, clair-semés dans les chalets, semblaient devoir ignorer que le monde était en feu, et qu’au delà de ces incommensurables horizons où l’œil devine les Alpes, le canon grondait plus haut que le tonnerre, tandis que les vautours planaient sur des champs de bataille.

Et pourtant, ces hôtes de l’éternelle solitude, ces gardeurs de troupeaux, ces enfants de l’herbe et des nuages, qui, durant les jours de l’été, deviennent étrangers même à leur famille, savaient la guerre et connaissaient les noms des braves.

Et nos guides parlaient de l’Afrique et racontaient Constantine, en nous demandant si les soldats d’aujourd’hui avaient plus de mal et de fatigue qu’ils n’en avaient eus eux-mêmes.

Dans ce calme austère de la nature, une émotion, un étonnement, une attente trouvait encore des cœurs à faire battre. « Sommes-nous les maîtres là-bas ? Avançons-nous ? Gagnons-nous des batailles ? »

Et là comme ailleurs, dans les chaumières comme dans les châteaux, dans les hameaux comme dans les villes, partout sur les routes et à travers les champs, chacun vivait hors de soi ; le cœur avait suivi l’élan guerrier, et les reposoirs rustiques de la Fête-Dieu portaient, en lettres de bluets, de marguerites et de coquelicots, cette légende étonnée de se trouver là tracée par la main des femmes et des enfants : « Gloire au Dieu des armées ! »

Peut-être en était-il ainsi aux jours de la foi naïve, au début des premières croisades. Dès lors aussi, il s’agissait de délivrance. On savait, ou on croyait savoir, qu’il y avait au loin des chrétiens opprimés, appelant les braves à leur secours, et une pensée généreuse fut le prestige de ces premières expéditions.

Aujourd’hui, c’est encore une croisade au nom de la liberté ; mais non plus seulement la liberté matérielle de quelques coreligionnaires ; c’est la liberté physique et morale de tout un peuple qui se montre digne de revivre. Aujourd’hui, c’est encore la lutte de la civilisation contre les idées oppressives de la barbarie ; mais c’est une lutte encore plus religieuse, car les questions de culte ne sont là pour rien, et il s’agit du principe d’indépendance sans lequel l’homme ne peut croire à rien, ne peut aimer réellement rien, au ciel ni sur la terre, puisqu’il n’existe plus, du jour où il ne compte plus parmi les nations.

Tout le monde sent si bien cette vérité, que les dispositions du peuple lombard inspiraient des doutes au commencement de la guerre. On pouvait compter sur la partie éclairée de cette nation, mais le paysan qui, en tout pays, redoute le changement et supporte toutes choses à la seule condition que l’on ne marchera pas sur le sillon qu’il vient d’ensemencer, celui-là, le patient, le prudent (logicien au jour le jour), pouvait bien regretter l’ordre établi à tant de frais, le fait consacré par des années de chagrin, de souffrance et de résignation.

Et cependant, il n’en a pas été ainsi. Ce peuple s’est levé, il a compris, il a salué le Piémont, la France et la liberté. On n’a jamais pu le rendre allemand : il n’a pas oublié le nom et les instincts de la patrie, ou s’il les a méconnus, un jour que la moisson était belle, un jour qu’il disait en lui-même : « Périsse l’Italie, périsse le monde plutôt que ma récolte, » un autre jour est venu où il a coupé joyeusement son blé nouveau pour le répandre dans l’auge des chevaux de ses libérateurs.

Ses libérateurs sont forts et braves, magnanimes et dévoués. Ils sont nombreux, car, dans cette guerre terrible, depuis le Chef d’État jusqu’aux soldats, tout paye de sa personne avec une bravoure incontestable ou une audace splendide. Si l’on voulait dire quel est le héros principal de cette campagne, on serait embarrassé, et, à coup sûr, il faudrait en mettre plus d’un aux premiers rangs.

Mais il est des noms que certaines circonstances romanesques rendent plus accessibles à la sympathie de l’homme des campagnes, et je ne fus pas étonné, ces jours-ci, de voir le portrait de Garibaldi chez les montagnards dévots du Velay et des Cévennes. Cet aventurier illustre, que naguère certains esprits craintifs se représentaient comme un bandit, était là exposé parmi les images des saints.

Et pourquoi non ? Pourquoi ne prendrait-il pas sa place parmi les patrons du pauvre peuple, lui qui, par rapport à son peuple italien, est l’initiateur de la foi nouvelle ? Voyez si sa parole ne ressemble pas à celle des premiers chrétiens ! Ce n’est pas la thèse politique, ce ne sont pas les théories matérialistes de l’intérêt personnel qui sont dans sa bouche. « Je vous apporte, leur dit-il, le péril, la fatigue et la mort. C’est le salut de l’âme et non le repos de la vie que je viens vous prêcher. Levez-vous donc et suivez-moi ! » Voilà ce qu’il dit aux paysans italiens, et ceux-ci se lèvent et marchent, obéissant à l’appel de l’enthousiasme. Et l’on dit que le temps des miracles est passé !

Non ! le temps des miracles durera autant que la race humaine sur la terre, sans qu’il soit besoin désormais de faire intervenir le renversement des lois extérieures de la nature. C’est dans le cœur humain que s’accomplit l’éternel prodige, le sublime désaccord des appétits matériels et des besoins de la vie supérieure, ceux-ci faisant taire ceux-là, même dans leur plus légitime appel, et réveillant la soif du martyre dans l’être engourdi qui disait et croyait n’avoir besoin et souci que du pain du corps. À l’esprit froid qui calcule les probabilités rationnelles des futurs événements humains, le miracle ne se présente jamais, et c’est pourtant le miracle qui résout toutes les questions en apparence insolubles, et déjoue toutes les opérations de la logique la mieux établie.

L’esprit vraiment éclairé devrait donc compter toujours sur le miracle et lui faire la part bonne dans l’avenir. Il nous semble qu’il y a un très-simple moyen d’éprouver la certitude de l’intervention divine sur laquelle on peut compter en effet : c’est de s’assurer que la cause qu’on lui livre est réellement digne d’elle. Quand cette cause est juste, Dieu parle, il consent à être béni comme Dieu des armées, il met dans le sein des hommes qu’il suscite une sainte fureur à laquelle rien ne peut résister et une abnégation digne de ces temps anciens que l’on est convenu de vanter et qu’à chaque instant le présent surpasse, même aux époques de lassitude, de scepticisme et de raillerie.

L’homme est ainsi fait, Dieu merci, et ce n’est pas un rêve de le croire. Isolément, vous le trouverez toujours et partout pétri des mêmes misères, imbu des mêmes erreurs et incapable de se rendre heureux ou sage, tranquille ou fort dans son œuvre personnelle. Mais toujours et partout vous le trouverez capable de ressentir ces grandes commotions électriques, grâce auxquelles, à un jour donné, tous deviennent sublimes.

C’est que l’homme est plus grand et meilleur qu’il ne le croit et qu’il ne le sait. Tout son mal est d’avoir encore la vie matérielle trop difficile sur la terre. Il s’y absorbe, il oublie que, plus il se détache de l’intérêt commun, plus il s’affaiblit et se ruine. Il lui faut des cataclysmes pour sentir que sa vie est celle des autres, comme celles des autres est la sienne.

Mais aussi comme il le sent bien quand l’élan est donné ! Comme cette vie supérieure coule en lui à pleins bords, comme elle le grandit, comme elle l’enlève à lui-même, comme elle lui fait paraître frivoles les grands intérêts et les bons raisonnements de la veille ! Le peuple aime le merveilleux, cela est certain. Et il ne songe pas que le merveilleux par excellence, l’inouï, le fabuleux, c’est lui-même en de certains jours, c’est le spectacle qu’il présente, lorsqu’il se jette en avant, corps et biens, après avoir toujours cru qu’il était sage et bon de rester en arrière.

Mais à ce pauvre peuple endormi qui doit, bon gré mal gré, souffrir autant que ceux qui pensent et qui veulent, il faut des initiateurs ; Dieu le sait, et il lui en envoie. Il a ses élus pour cette mission du miracle, ceux que les antiques bibles appellent des anges, ceux que l’empereur Charlemagne appelait ses Missi Dominici. Le monde moderne n’a plus de noms appropriés à cette tâche extraordinaire, et Garibaldi a reçu le titre vague et ondoyant d’aventurier.

Soit, si, par là, on désigne l’homme des actions épiques et des initiatives surnaturelles. Qu’il accepte son renom fantastique ! Ce généralat de légende lui est acquis, puisque l’opinion, si libérale en fait de calomnie et si méfiante pour les bons, ne prête le bien qu’aux riches, et encore aux très-riches. Mais si l’on entendait par aventurier l’aveugle et brutal officier de fortune qui vend sa bravoure au plus offrant, on ferait injure à un des caractères les plus fermes et les plus purs des temps modernes. Assez de témoignages se sont élevés en sa faveur dans ces derniers jours, pour que cette noble figure ait déjà repris la place qui lui appartient dans l’histoire, et il deviendrait presque de mauvais goût de la défendre contre de vains bruits et d’injustes méfiances. Si on s’en chargeait, il ne serait du moins pas convenable, selon nous, de chercher dans sa vie privée, dans ses passions, dans ses amours, le mot de ce roman intime que lui seul aurait le droit de révéler et de juger, et dont nous n’approuverions pas que la curiosité publique fût entretenue à la légère. On sait qu’il a aimé, qu’il a eu pour compagne une héroïne, et on sait où et comment il l’a perdue. En toutes choses, ce que l’on sait réellement de lui, suffit, et au delà, pour faire apprécier une existence de dévouements admirables, de douleurs poignantes et de courage à toute épreuve. Résumons-le rapidement d’après les renseignements les plus sérieux, et on dira comme nous que c’est plus qu’il n’en faut pour estimer l’homme autant qu’on admire le héros.

Joseph Garibaldi, né à Nice le 4 juillet 1807 (il y a aujourd’hui même cinquante-deux ans, saluons son anniversaire !), est le fils d’un honnête marin, peut-être d’un simple marinier, mais non d’un pauvre pêcheur, car il reçut de l’éducation et fit de fortes études mathématiques, avec un remarquable succès. Sa famille était fort estimée, et lui-même, dés son enfance, fut aimé et respecté de ses compagnons de jeux et d’études. Il était comme le défenseur naturel des plus faibles : il était né comme cela.

Aventureux et intrépide, il entra dans la marine dès son jeune âge, et montra tout à coup que le sang-froid et la présence d’esprit faisaient de lui un homme complet pour la guerre. Compromis à Gênes, en 1834, pour cause de libéralisme, il se réfugia en France, à pied, à travers les montagnes et sous le costume d’un paysan. Il passa deux ans à Marseille, absorbé par les mathématiques, car rien ne manque à cet homme d’action, c’est un esprit studieux et calme.

Cependant il fallait vivre et donner cours à cette activité généreuse dont sa patrie lui refusait l’emploi. Il essaya de prendre du service comme officier de marine du bey de Tunis. Quelques mois de cette tentative lui parurent mal employés. Une république s’est constituée dans l’Amérique du sud. Il traverse les mers et devient général de partisans contre Rosas, qui n’eut jamais, dit-on, de plus redoutable adversaire.

En effet, c’était un invincible ennemi, l’homme à qui l’on offrait en vain, pour lui faire changer de parti, une fortune considérable. L’aventurier ne voulait pas s’enrichir. Il voulait se battre et tenir la parole qu’il avait donnée. Il se battit si bien et avec des partisans si admirablement exercés, que son nom ne tarda pas à devenir célèbre. C’est dans cette guerre que Garibaldi se forma à la brillante carrière qu’il poursuit aujourd’hui avec un nouvel éclat. C’est là que, monté sur un petit bateau de pêche pour faire, avec douze matelots et à la faveur du brouillard, une reconnaissance dans les eaux de l’escadre ennemie, il voit, la brume se dissipant brusquement, une goëlette armée de six canons le bloquer dans une petite anse où il n’a que le temps de se réfugier. La nuit est venue et la goëlette jette tranquillement ses ancres à deux portées de fusil de la pauvre barque, en remettant au lendemain le soin de son inévitable capture.

Mais elle a compté sans le roman, sans le miracle, sans l’audace du partisan. Avec ses douze hommes, il tire la barque à terre, lui fait traverser le cap et va la remettre à flot sur l’autre flanc de la goëlette ; avec ses douze hommes, il monte à l’abordage, fait l’équipage prisonnier et rentre triomphant sur le navire devenu sa conquête.

C’est là qu’une autre fois, à la tête de trois cents hommes, il est cerné par trois mille ennemis ; qu’il essuie leur feu sans bouger, les attend à la baïonnette, les disperse et les poursuit. C’est là qu’il forma cette fameuse légion italienne dont on disait là-bas qu’elle n’était pas composée d’hommes, mais de diables, et que, quant à son chef, il ne serait jamais ni tué ni pris, ayant la force de cent hommes et le corps invulnérable.

Dès lors Garibaldi devient un personnage épique. De retour à Nice avec une partie de ses légionnaires en 48, il se jette corps et âme dans la guerre contre l’Autriche, et le prestige qu’il a cru laisser au fond de l’Amérique l’entoure d’une auréole nouvelle. Ce sont tous les jours des combats homériques, des coups de main d’une vigueur et d’un bonheur qui font croire aux uns que c’est le diable, aux autres que c’est Dieu qui dirigent son bras et préservent sa vie.

À Rome, où Garibaldi a couru au secours de la patrie menacée par le César allemand, un funeste malentendu amène une collision entre la raison d’État et le sentiment national, entre la France et l’Italie. De part et d’autre, le combat devient une question d’honneur. Garibaldi défendra son drapeau. L’armée française sait s’il l’a bien défendu, et le nom d’un tel adversaire reste honoré dans ses rangs[1].

On sait ce brillant combat de Palestrina, que, durant la trêve, le héros alla livrer à l’armée napolitaine avec une poignée de ses braves. On sait comment il la mit en fuite et rentra dans Rome, vainqueur et blessé, lui, l’invulnérable, qui reprendra quand même son prestige et sa puissance. On sait aussi son héroïque désobéissance qui amena la prise de Velletri.

Mais ce brillant poëme a son chant d’angoisse et de douleur qui le complète ; c’est là qu’on aime le héros et qu’on pleure avec lui. Il le faut bien ; c’est dans le malheur que ces grandes existences deviennent sympathiques et se rattachent à l’humanité par les larmes. La pitié est toujours d’une immense tendresse pour ceux dont l’énergie est immense, et un grand cœur qui se brise est un spectacle qui brise tous les cœurs.

« Le 2 juillet, sur le soir, il était sorti de Rome avec quatre mille fantassins et huit cents cavaliers. Sa femme Anita, jeune Brésilienne qu’il aimait tendrement, l’accompagnait. Elle lui avait déjà donné trois enfants, était enceinte du quatrième et n’en avait pas combattu moins bravement à ses côtés. Ciceruacchio leur servait de guide[2]. Embarrassé de bagages et de munitions, poursuivi par trois colonnes françaises, entouré par les Napolitains au sud, par les Autrichiens dans les Légations et en Toscane, Garibaldi sut passer au milieu d’eux, divisant sa petite colonne pour la dissimuler, faisant les marches et les contre-marches les plus surprenantes. Serré chaque jour de plus près, il n’eut bientôt plus d’asile que la petite république de Saint-Marin. Il s’y jette par des sentiers ardus et inexplorés, à travers des bois fourrés et des torrents impétueux. Là, le 30 juillet, il rendit leur parole et leur liberté à ceux que tant d’inutiles fatigues avaient découragés. Les magistrats de Saint-Marin, peu jaloux d’attirer sur leur pauvre pays les colères de l’Autriche, voulurent traiter de la reddition de ceux qui restaient. « Nous rendre ! s’écrièrent aussitôt ces intrépides légionnaires : plutôt mourir ! à Venise ! à Venise ! » Garibaldi tressaillit alors, et, levant sa tête altière : « À qui veut me suivre, dit-il, j’offre de nouvelles souffrances, les plus grands dangers, la mort peut-être ; mais des pactes avec l’étranger, jamais ! » Puis s’élançant à cheval, il part, suivi de sa femme et de trois cents hommes restés fidèles à sa fortune.

» Les Autrichiens, occupés à se rendre maître de ceux de ses compagnons qui avaient posé les armes, à envoyer ceux qui étaient Lombards dans les prisons de Mantoue, à remettre ceux qui étaient Romains en liberté, après leur avoir fait donner à chacun trente coups de bâton, lui laissèrent le temps d’échapper et de poursuivre sa course aventureuse. À Cesenatico, le 3 août, il frète treize barques de pêche et fait voile pour Venise qui résistait encore. Il était déjà en vue des lagunes, lorsque les navires autrichiens, qui l’avaient aperçu, lui donnent la chasse. Le vent devient tout à coup contraire, il ne peut fuir. Il essaye de passer à travers ses ennemis et de tenir ses barques unies ; mais les Autrichiens parviennent à les séparer et à lui en enlever huit. Avec les autres, cependant, il échappe, à force d’audace, et, le 3 août, aborde, de nouveau, aux rivages romains. Il avait avec lui sa femme, ses enfants, Ciceruacchio et les siens, et deux ou trois autres compagnons, l’officier lombard Livraghi et le barnabite Ugo Bassi.

» Pendant deux jours, il continue sa route par terre, reçu, caché partout, malgré les menaces de mort proférées par les Autrichiens contre quiconque lui donnerait asile. Sa femme, épuisée, succombe à tant de fatigues. Il abandonne à regret ce pauvre cadavre, mais poursuit, portant son deuil dans son cœur, passe à Ravenne, en Toscane, à Gênes, à Tunis, et, de là, en Amérique. Ciceruacchio et ses enfants, saisis, sont fusillés, dit-on, quoiqu’ils n’eussent pas pris les armes. D’autres prétendent qu’ils se noyèrent dans leur fuite, au passage d’un fleuve. Livraghi, Ugo Bassi furent mis à mort sans jugement. Ce dernier ne put obtenir le viatique ; des historiens sérieux assurent qu’avant de le tuer, on lui arracha la peau des doigts et de la tête. Ce qu’il y a de sûr, c’est que peu d’exécutions firent sur le peuple une impression si profonde. Aujourd’hui encore, il regarde Ugo Bassi comme un martyr. »

L’historien que je cite[3] comme celui dont le récit m’a le plus frappé par sa droiture et son éloquente simplicité, ajoute :

« Depuis que le calme est revenu à la surface, Garibaldi a de nouveau quitté l’Amérique pour se rapprocher de sa chère Italie et se tenir prêt pour les luttes de l’avenir. » (M. F. T. Perrens écrivait ceci en 1857). « En attendant, il demande à son ancienne profession de marin les moyens de subvenir à son existence et à celle de ses enfants. Soldat héroïque, on l’a diversement jugé comme général, mais il a conquis l’estime de ses ennemis mêmes. Il y a peu de temps encore, le général autrichien d’Aspre disait à un haut personnage piémontais : « L’homme qui aurait pu vous être le plus utile dans votre guerre d’indépendance, vous l’avez méconnu, c’est Garibaldi. »

Quel que soit le personnage auquel l’historien fait ici allusion, M. de Cavour s’est souvenu de la parole de l’Autrichien, et Garibaldi, qui était, en 1852, commandant supérieur de l’armée péruvienne, est revenu vivre à Nice, aspirant aux magnifiques événements qui s’accomplissent aujourd’hui avec son concours.

« Depuis cinq ans, Garibaldi vivait retiré avec ses fils sur une petite île située entre la Sardaigne et la Madeleine, l’île de Caprera. Il faisait de l’agriculture sur une grande échelle, défrichait des terrains incultes, élevait des constructions rurales destinées à de vastes exploitations. De temps à autre, on l’apercevait, arrivant à Nice sur un petit cutter qu’il avait à sa disposition comme moyen de transport pour ses matériaux. » (M. Anatole de La Forge.)

Ainsi cet esprit actif et sérieux est propre à tout, et les loisirs que la guerre lui laisse sont consacrés aux travaux de première utilité. Cette fécondité d’intelligence est remarquable, et montre une haute raison dans une nature impétueuse. Nous citerons encore avec plaisir M. A. de La Forge pour dire que « les hommes les plus considérables et les plus considérés de la ville, ceux de la colonie française, Alphonse Karr en tête, savent combien Garibaldi est estimé là-bas. Ce vaillant soldat dont la réputation comme homme privé est inattaquable, a su se concilier la sympathie et le respect de tous ; ses adversaires politiques eux-mêmes reconnaissent l’honorabilité de son caractère. » (Le Siècle, 26 mai 1859.)

« La première fois que je l’ai vu, dit Alphonse Karr (les Guêpes, mai 1859), et que j’ai eu l’honneur de lui serrer la main, c’était à un banquet d’ouvriers, à propos d’un baptême. J’étais assis à côté de lui. Il fut calme, réservé et simple. Cette simplicité se montrait dans toutes ses habitudes. Je le rencontrai ensuite de temps en temps, au bord de la mer, dans le quartier retiré du Lazaret. Le dimanche, il jouait aux boules avec les marins. »

Sans doute le roi de Sardaigne et M. de Cavour ont vu en lui sinon quelque chose de plus, du moins quelque chose de différent de tous les héros qu’ils pouvaient et qu’ils ont su opposer à l’ennemi de la patrie. Ils ont vu dans Garibaldi ce que le peuple y voyait déjà, une sorte de chevalier des anciens jours, un apôtre de la délivrance, un initiateur comme nous l’appelions, car ils lui ont donné la mission qui convenait à sa prestigieuse destinée, à son influence soudaine, au charme de sa parole inspirée, de sa noble physionomie, et à l’entraînement de sa foi patriotique. Chargé de soulever les populations contre l’Autriche et d’annoncer la bonne nouvelle tout en harcelant l’ennemi, il remplit un rôle complétement neuf dans l’histoire. Il fait de la révolution au profit de la royauté, et il la fait sciemment, résolûment, loyalement, sans être ni dupe ni trompeur.

C’est de sa pensée intime, c’est de son œuvre morale, que nous sommes ici le plus frappés. Ses exploits sont en ce moment dans toutes les bouches, et cette figure poétique, rehaussée de tout l’attrait de l’inconnu, préoccupe, en France, les cœurs et les imaginations d’une manière sensible. Nous n’en sommes pas surpris. Garibaldi ne ressemble à personne, et il y a en lui une sorte de mystère qui fait réfléchir. Les têtes légères veulent peut-être qu’il doive son prestige à la jeunesse, à la beauté ; les uns disent à sa force physique, à sa voix de stentor ; les autres disent à sa taille gigantesque, à son costume de théâtre, etc. Heureusement rien de tout cela n’est vrai aujourd’hui, et le prestige dure encore. Garibaldi porte le costume qui convient à son emploi militaire, il n’est plus de la première jeunesse, il a plus de noblesse et de sérénité dans la physionomie que de beauté dans les traits. Il n’a rien d’un mastodonte ni d’un brigand ; il est plutôt d’une nature délicate et choisie où l’âme règne sur le corps et lui communique avant tout sa puissance. Il a la voix douce, l’air modeste, les manières distinguées, une grande générosité et une immense bonté unies à une fermeté inflexible et à une équité souveraine. C’est bien l’homme du commandement, mais du commandement par la persuasion ; il ne peut gouverner que des hommes libres. Il n’a sur eux que les droits sacrés de la parole donnée et reçue. C’est quelque chose d’enthousiaste et de religieux qui n’a pas d’analogue dans les troupes régulières, et qui forme un épisode des plus étranges dans le temps où nous vivons, au milieu d’une guerre dirigée par de savants calculs et une sévère discipline. Eh bien, ce contraste d’une petite armée de partisans, marchant pour son compte avec la seule préoccupation de vaincre ou de mourir, n’a pas une seule fois entravé ou contrarié les plans réguliers de l’armée alliée ; et, tout au contraire, Garibaldi, entouré de héros invincibles, à la fois téméraires comme des lions et rusés comme des renards, a poursuivi à sa guise et à sa manière son œuvre personnelle, lancé en avant aux flancs de l’expédition comme un boulet qui ricoche, comme un brûlot qui surprend et dévore, mais surtout comme un apôtre qui persuade, soulève l’indignation, ranime les courages, et brise les fers en criant au peuple opprimé : Aide-toi, le ciel t’aidera !

Et on s’est méfié en France, quelque part, sous l’influence de souvenirs brûlants, de cet homme de fer et de cette âme de feu, sans comprendre la grandeur de sa conduite et de son dévouement. C’est l’ennemi du nom français, disait-on ; c’est le défenseur de Rome ; lâchons le mot, c’est un républicain et un socialiste.

À présent, il faut bien se taire, car républicain ou non, constitutionnel ou radical, disciple de Manin ou de Mazzini, il est là, ne devant pas permettre qu’on lui demande compte de son opinion, et bravant chaque jour la mort pour le triomphe de la cause que les rois ont embrassée. Et les rois ont confiance en lui, sans que le peuple songe à en douter, sans que les anciens et les nouveaux amis du grand partisan se battent dans son cœur ni autour de sa gloire, sans qu’une voix s’élève en Italie pour lui reprocher d’avoir trop fait pour la république hier et de trop faire pour la royauté constitutionnelle aujourd’hui.

C’est qu’il est des caractères d’exception au-dessus de toute atteinte sérieuse. La calomnie, le soupçon, aucun reproche ne peut pénétrer l’or pur de leur cuirasse. « Tout pour la patrie » est leur devise. On sent que nulle considération d’amitié, de prudence, de crainte de l’opinion ne pèse dans la balance quand il s’agit du devoir. Ils savent qu’ils ne peuvent inspirer de défiance fondée à ceux qu’ils servaient hier, non plus qu’à ceux qu’ils servent aujourd’hui ; et, quand cela serait, ils crieraient : quand même ! et se jetteraient dans le feu en faisant abnégation de tout, même de leur honneur apparent, comptant sur la justice de l’histoire et sur le jugement de Dieu dans le cœur des hommes de bien.

C’est que de tels hommes ne représentent pas tant une idée particulière qu’un sentiment général. Ils résument l’âme d’une nation, et si l’on voulait y bien regarder, on verrait dans celui-ci une sorte de personnification de l’Italie renaissante, avec son passé douloureux, ses drames poignants, sa patience muette, son génie d’action exubérant, et surtout cette haine du joug étranger qui fait taire en elle tout vain orgueil et toute discorde funeste quand l’heure est venue d’être ou de n’être pas.


GEORGE SAND.


Nohant, 4 juillet 1859.


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Aujourd’hui le Milanais est délivré, le centre de l’Italie a proclamé le principe de l’unité. La Sicile est soulevée contre le Bourbon de Naples, et Garibaldi est en Sicile. Le bruit de ses victoires y a précédé sa descente, et aujourd’hui, 26 mai, on ignore, là où je suis, si Palerme n’est pas en son pouvoir. Il y a, plus que jamais, de la légende dans cette vie aventureuse, mais cette légende, c’est encore de l’histoire. — Rien ne paraît impossible à Garibaldi. — En vain les proclamations napolitaines le déclarent battu et vaincu. Personne n’est dupe, l’histoire parle déjà, et d’avance elle dit : Il est vainqueur.

Est-il possible qu’il succombe ? Non ! Il a tout osé encore une fois : encore une fois, il a tout risqué. Avec une poignée de braves dignes de lui, il va combattre une armée formidable ; le mystère et le prestige l’accompagnent ; un miracle se fait pour qu’il puisse débarquer : l’imagination le cherche avec anxiété dans le labyrinthe des montagnes. La panique est dans le camp ennemi. On fuit avant peut-être de l’avoir aperçu. La terreur est à la cour de Naples. Tout ceci ressemble à un poëme. Cet homme, presque seul, devient l’homme du prodige. Il fait trembler les trônes, il est l’oriflamme de l’ère nouvelle. L’Europe entière a les yeux sur lui et s’éveille chaque matin en demandant où il est et ce qu’il a fait la veille.

C’est qu’il porte en lui la foi des temps héroïques, et, dès lors, les merveilles de la chevalerie reparaissent en plein dix-neuvième siècle. Le monde n’est donc pas mort ? Qui donc disait qu’il était vieux, que rien d’invraisemblable n’était plus possible dans cet âge de raison et de lumière, que rien de grand ne pouvait plus émouvoir une civilisation trop avancée et trop positive ? Beaucoup de gens habiles, beaucoup d’esprits forts disaient cela hier ; mais que disent-ils aujourd’hui ?

Et qu’importe ce qu’ils disent ? Où sont ces gens-là et que font ces grands esprits quand il s’agit de chasser l’étranger et de reconquérir la liberté ? Voilà un seul homme, sans argent, sans pouvoir et sans appui, aux prises avec tous les obstacles que l’homme peut rencontrer dans la société constituée, et, en un clin d’œil, cet homme a des amis, des partisans dévoués, des compagnons intrépides, des populations palpitantes autour de lui. Il est donc tout-puissant l’homme qui croit ! Il dit un mot à l’oreille, il fait un signe dans l’ombre : les braves accourent, les moyens s’improvisent, les peuples se lèvent, les dangers reculent avec les obstacles, le monde frémit d’un bout à l’autre et prononce la déchéance du souverain menacé avant même qu’il ait perdu un seul homme. On sent que cela est fatal aujourd’hui ou demain, que la conscience humaine le veut, que le doigt de Dieu est levé, que Garibaldi tombant sous une balle, serait encore en esprit et en apparition surnaturelle à la tête de ses légions victorieuses, et que son nom seul continuerait les prodiges de sa volonté.

L’Italie a aujourd’hui trois hommes éminents sur la brèche, sans compter ceux qui s’abstiennent, mais qu’émeuvent toujours les profondeurs de l’instinct populaire en lui prescrivant avec éloquence et passion l’unité nationale et l’écrasement total de l’étranger. Ceci n’étant point une discussion de principes, mais un cri de notre cœur vers l’Italie et la liberté, nous ne parlerons que du trio très-extraordinaire et très-significatif qui représente en ce moment les trois termes subitement rapprochés de la crise : hier, aujourd’hui, demain. Deux de ces hommes se ressemblent beaucoup : Victor-Emmanuel, s’il n’avait pas la douleur d’être roi, serait avec Garibaldi sous la tente. Retenu par des considérations respectables et des engagements impérieux, il est forcé d’attendre le moment où vox populi, vox Dei consacrera son droit et son devoir, le plus sacré des droits politiques quand on en est investi par l’appel ardent des masses, le plus beau de tous les devoirs, celui de constituer une grande nation vivant par elle-même. Le roi Victor représente donc le droit de l’Italie, et ce droit, par une faveur de la Providence, tombe aux mains d’un homme proverbialement loyal. Disons, en passant, que la qualification populaire de re galantuomo n’est pas traduite suffisamment par notre mot d’honnête homme. Notre vieille locution française de galant homme est beaucoup plus littérale. Elle exprime une nuance plus italienne et par conséquent plus vive. Elle implique quelque chose de plus qu’une vulgaire et inoffensive probité, elle entraîne l’idée de bravoure et de fierté chevaleresque.

Entre ces deux âmes brûlantes, un esprit tenace et profond protége le destin de l’Italie. Guai ! malheur, comme disent les Italiens, le jour où la sagesse et la persévérance de M. de Cavour ne rassembleraient plus les rênes de ce quadrige si malaisé à conduire : la noblesse, le peuple, l’armée, le clergé, le passé et le présent devant travailler de concert pour l’avenir.

Certes, M. de Cavour a en lui une notion très-raisonnée de ces trois termes ; mais il a été plus spécialement élu par la destinée des temps modernes pour ménager les droits du premier. Garibaldi s’élançant, impétueux, vers l’avenir, représente le terme extrême. Certes, il est condamné par ses instincts et par le sentiment de sa mission orageuse à s’irriter contre des entraves parfois nécessaires aux yeux du ministre. Le roi Victor est chargé de tout le poids du présent, et il a reçu avec le patriotisme et la loyauté une certaine sérénité de caractère, une santé de l’âme et du corps qui est une force nécessaire à sa périlleuse situation.

Ces trois hommes peuvent-ils se désunir sans un immense danger pour la cause commune ? L’instinct des masses qui regardent à distance, — et ce n’est pas un mauvais point de vue pour résumer l’ensemble des choses, — pressent que le salut de la Péninsule est au prix de leur union secrète et profonde.

Et nous oserons le dire, nous dont les instincts suivent résolûment Garibaldi dans ses audaces, nous qui croyons que, dans les heures de lutte suprême, les idées doivent faire place aux actions et les réflexions aux élans, nous émettrons pourtant cette opinion qui nous est imposée par un sentiment général, — on pourrait dire universel, — que si le roi Victor et Garibaldi sont le bras et l’épée de l’Italie, M. de Cavour est le bouclier sans lequel ces preux ne seraient point préservés des flèches de l’embuscade. Cette égide de la raison s’est étendue entre l’Italie militaire et l’Europe hostile, méfiante ou insensible. Celui qui la porte et la maintient, a protégé les luttes homériques, il a enflammé les cœurs français pour la délivrance, il a donné confiance aux partis tièdes, aux esprits craintifs, si dangereux, on le sait, dans leur inertie. Il a rassuré les intérêts, et dès lors toutes les classes se sont levées comme un seul homme ; l’abstention est devenue une honte publique, honte qui se fût justifiée vis-à-vis d’elle-même, en se retranchant derrière la crainte des idées trop nouvelles et trop exclusives.

Nous ne prétendons pas dire que toute autre doctrine que celle de la royauté constitutionnelle n’eût jamais pu chasser l’étranger, même sans la glorieuse intervention de nos troupes. L’Italie a prouvé qu’elle pouvait faire, à elle seule, de grandes choses ; mais les maintenir dans l’assentiment de la majorité des autres puissances, se défendre d’être écrasée brutalement par les unes, abandonnée lâchement par les autres, voilà ce qu’elle n’aurait pu faire avant un demi-siècle, et voilà ce que la prudence de M. de Cavour a su faire au sein du passé, encore debout autour de lui. Représentant un seul principe opportun et applicable en Italie, il a donc contribué à sa délivrance pour une si large part, qu’il y aurait une grande ingratitude et un réel aveuglement à le nier.

Nous n’ignorons pas que nos vœux pour l’union de ces trois hommes peuvent paraître inadmissibles à beaucoup d’esprits lancés dans la politique italienne, à la suite de l’un des trois noms qui jettent en ce moment un si grand éclat sur elle. Ils peuvent blesser des sentiments naïfs et chauds que nous respectons quand même, des croyances austères que nous ne combattons que dans l’opportunité de leur application, certaines de ces croyances étant les nôtres en principe et pour toujours. Mais nous avons l’intime conviction que quiconque aime l’Italie veut qu’elle vive en ce moment par toutes ses forces, par toutes ses grandeurs, par tous ses fibres, par toutes ses gloires. En présence de la lutte nouvelle et formidable, que cache le silence de l’Europe et le faux sommeil de l’Autriche, il faut que l’un ose tout, que l’autre fasse beaucoup, que le troisième veille toujours.

Cela est impossible, à ce qu’il semble. Le passé sera toujours l’obstacle de l’avenir, l’avenir sera toujours le rebelle menaçant le passé, et dans leur fatal antagonisme, le présent n’accomplira jamais son évolution historique qu’à travers des déchirements profonds et des luttes désastreuses.

L’histoire le dit ; mais l’histoire enregistre aussi des exceptions splendides, des déviations prodigieuses à cette loi terrible. Elle constate que rien de grand, rien de beau, rien de durable ne s’est accompli dans le monde sans un effort surhumain de la volonté, de la conscience et de la prudence humaines. Là où l’une des trois a fait défaut, le vent d’orage a passé en maître farouche et la nationalité s’est reconstituée avec effort et lenteur sur des ruines, quand elle n’a pas péri.

Fasse le ciel que notre aspiration ne soit pas vaine, et que, sur les débris des autorités criminelles en délire, l’unité politique italienne se constitue sur un sentiment d’unité morale et philosophique !

Fasse le patriotisme, — vertu sublime à laquelle, en de certains paroxysmes, tout doit être sacrifié, — que l’une des forces vives de l’âme italienne n’étouffe pas violemment les deux autres ! S’il en était ainsi, il faudrait verser des larmes amères sur la plus noble tentative et sur la plus belle espérance qui fut jamais !

Espérons que le miracle commencé s’accomplira, que la révolution patriotique de l’Italie ne périra pas comme toutes les révolutions ont péri pour avoir trop vite usé leurs hommes, et que celle-ci comprendra le nouveau et grand exemple qu’elle est invitée par Dieu même à donner au monde.


GEORGE SAND


Nohant, 26 mai 1860.


fin


  1. Voyez le rapport du général Vaillant.
  2. On se rappelle peut-être la popularité éphémère du pauvre Angelo Brunetti dit Ciceruacchio. C’était un homme du peuple, fort comme un athlète, bon, sensible, mais vaniteux et adonné au vin, qui, pendant quelques jours, eut le premier rôle dans les événements de Rome. Pie IX semblait alors marcher d’accord avec les réformes jugées par lui nécessaires, et le prolétaire, s’élançant sur sa voiture, agitait au-dessus de la tête du pontife une bannière où étaient écrits ces mots : Saint-Père, fiez-vous au peuple.
  3. F. T. Perrens. Deux ans de révolution en Italie. 1848-1849.