Gaspard de la nuit (éd. 1895)/Ma Chaumière
I
MA CHAUMIÈRE
Ma chaumière aurait, l’été, la feuillée des bois pour parasol, et l’automne, pour jardin, au bord de la fenêtre, quelque mousse qui enchâsse les perles de la pluie, et quelque giroflée qui fleure l’amande.
Mais l’hiver, quel plaisir ! quand le matin aurait secoué ses bouquets de givre sur mes vitres gelées, d’apercevoir bien loin, à la lisière de la forêt, un voyageur qui va toujours s’amoindrissant, lui et sa monture, dans la neige et la brume.
Quel plaisir ! le soir, de feuilleter sous le manteau de la cheminée, flambante et parfumée d’une bourrée de genièvre, les preux et les moines des chroniques, si merveilleusement portraits qu’ils semblent, les uns joûter, les autres prier encore.
Et quel plaisir ! la nuit, à l’heure douteuse et pâle qui précède le point du jour, d’entendre mon coq s’égosiller dans le gelinier et le coq d’une ferme lui répondre faiblement, sentinelle juchée aux avant-postes du village endormi.
Ah ! si le roi nous lisait dans son Louvre, — ô ma muse inabritée contre les orages de la vie, — le seigneur suzerain de tant de fiefs qu’il ignore le nombre de ses châteaux, ne nous marchanderait pas une chaumine !