Gaspard de la nuit (éd. 1920)/À M. Sainte-Beuve
À M. SAINTE-BEUVE
L’homme est un balancier qui frappe une monnaie à son coin. Le quadruple porte l’empreinte de l’empereur, la médaille, du pape, le jeton, du fou.
Je marque mon jeton à ce jeu de la vie où nous perdons coup sur coup et où le diable, pour en finir, rafle joueurs, dés et tapis vert.
L’empereur dicte ses ordres à ses capitaines, le pape adresse des bulles à la chrétienté, et le fou écrit un livre.
Mon livre, le voilà tel que je l’ai fait et tel qu’on doit le lire, avant que les commentateurs ne l’obscurcissent de leurs éclaircissements.
Mais ce ne sont point ces pages souffreteuses, humble labeur ignoré des jours présents, qui ajouteront quelque lustre à la renommée poétique des jours passés.
Et l’églantine du ménestrel sera fanée, que fleurira toujours la giroflée, chaque printemps, aux gothiques fenêtres des châteaux et des monastères.
Paris, 20 septembre 1836.