Gaspard de la nuit (éd. 1920)/L’Ange et la Fée

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Pièces détachées
Gaspard de la nuitMercure de France (p. 193-195).
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L’ANGE ET LA FÉE


Une fée est cachée en tout ce que tu vois.
Victor Hugo.


Une fée parfume la nuit mon sommeil fantastique des plus fraîches, des plus tendres haleines de juillet, — cette même bonne fée qui replante en son chemin le bâton du vieil aveugle égaré, et qui essuie les larmes, guérit la douleur de la petite glaneuse dont une épine a blessé le pied nu.

La voici, me berçant comme un héritier de l’épée ou de la harpe, et écartant de ma couche avec une plume de paon les esprits qui me dérobaient mon âme pour la noyer dans un rayon de la lune ou dans une goutte de rosée.

La voici, me racontant quelqu’une de ses histoires des vallées et des montagnes, soit les amours mélancoliques des fleurs du cimetière, soit les joyeux pèlerinages des oiseaux à Notre-Dame-des-Cornouillers.


*


Mais tandis qu’elle me veillait endormi, un ange, qui descendait les ailes frémissantes du temps étoilé, posa un pied sur la rampe du gothique balcon, et heurta de sa palme d’argent aux vitraux peints de la haute fenêtre.

Un séraphin, une fée, qui s’étaient enamourés naguère l’un de l’autre au chevet d’une jeune mourante, qu’elle avait douée à sa naissance de toutes les grâces des vierges et qu’il porta expirée dans les délices du Paradis !

La main qui berçait mes rêves s’était retirée avec mes rêves eux-mêmes. J’ouvris les yeux. Ma chambre aussi profonde que déserte s’éclairait silencieusement des nébulosités de la lune ; et le matin, il ne me reste plus des affections de la bonne fée que cette quenouille ; encore ne suis-je pas sûr qu’elle ne soit pas de mon aïeule.