Gaspard de la nuit (éd. 1920)/La Sérénade

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Livre II
Gaspard de la nuitMercure de France (p. 81-82).


VII

LA SÉRÉNADE


La nuit, tous les chats sont gris.
Proverbe populaire.


Un luth, une guitaronne et un hautbois. Symphonie discordante et ridicule. Mme  Laure à son balcon, derrière une jalousie. Point de lanternes dans la rue, point de lumières aux fenêtres. La lune encornée.


*


— « Est-ce vous, d’Espignac ? — Hélas ! non. — C’est donc toi, mon petit Fleur-d’Amande ? — Ni l’un ni l’autre. — Comment ! encore vous, Monsieur de la Tournelle ? Bonsoir ! cherchez minuit à quatorze heures ! »

Les musiciens dans leur cape. — « Monsieur le conseiller en sera pour un rhume. — Mais le galant n’a donc pas frayeur du mari ? — Eh ! le mari est aux Îles. »

Cependant que chuchotait-on ensemble ? — « Cent louis par mois. — Charmant ! — Un carrosse avec deux heiduques. — Superbe ! — Un hôtel dans le quartier des princes ! — Magnifique ! — Et mon cœur fourré d’amour ! — Oh ! la jolie pantoufle à mon pied ! »

Les musiciens toujours dans leur cape. — « J’entends rire Mme  Laure. — La cruelle s’humanise. — Oui-dà ! l’art d’Orphœus attendrissait les tigres dans les temps fabuleux ! »

Mme  Laure. — « Approchez, mon mignon, que je vous glisse ma clef au nœud d’un ruban ! » Et la perruque de M. le conseiller se mouilla d’une rosée que ne distillaient pas les étoiles. — « Ohé ! Gueudespin, cria la maligne femelle en fermant le balcon, empoignez-moi un fouet, et courez vite essuyer Monsieur ! »