Gay-Lussac (Arago)/07

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Œuvres complètes de François Arago, secrétaire perpétuel de l’académie des sciencesGide3 (p. 38-41).
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TRAVAUX EXÉCUTÉS AVEC LA PILE DE L’ÉCOLE POLYTECHNIQUE.


Nous voici arrivés à l’époque où, en marchant dans la voie si heureusement ouverte par Nicholson et Carlisle, et suivie par Berzelius et Hisinger, Humphry Davy parvint, à l’aide de la pile, à transformer la potasse et la soude en métaux qui se pétrissent sous les doigts, comme de la cire ; qui flottent à la surface de l’eau, car ils sont plus légers qu’elle ; qui s’allument spontanément dans ce liquide en répandant la plus vive lumière.

L’annonce de cette brillante découverte, à la fin de 1807, produisit une profonde émotion dans le monde scientifique. L’empereur Napoléon s’y associa, et mit à la disposition de l’École polytechnique les fonds nécessaires à l’exécution d’une pile colossale. Pendant qu’on construisait cet instrument puissant, MM. Gay-Lussac et Thénard, à qui il devait être confié, imaginant que l’affinité ordinaire bien dirigée suffirait à la production du potassium et du sodium, tentèrent des expériences variées, fort dangereuses, et réussirent au delà de leurs espérances. Leur découverte fut publiée le 7 mars 1808. Dès ce moment les deux métaux nouveaux qu’on n’obtenait par la pile qu’en très-petite quantité, purent être produits en grande abondance, et devinrent ainsi un instrument usuel d’analyse chimique.

On devine facilement que nos deux célèbres compatriotes ne laissèrent pas inactifs dans leurs mains les moyens d’investigation qu’ils venaient de préparer si heureusement. Ils mirent le potassium et le sodium en contact avec presque toutes les substances chimiques connues, et remarquèrent, dans ces expériences, les réactions les plus fécondes en conséquences théoriques. Nous nous contenterons de citer ici la décomposition de l’acide autrefois nommé boracique, la découverte de son radical que les auteurs appelèrent le bore. Nous devons mettre aussi à un rang très-élevé dans leurs recherches, les expériences aussi difficiles que variées à l’aide desquelles ils déterminèrent les actions exercées par les deux nouveaux métaux sur l’ammoniaque, les résultats de leur travail sur l’acide fluorique, aujourd’hui appelé fluorhydrique, et la découverte du gaz nouveau qu’ils nommèrent fluoborique. Par l’enchaînement de leurs recherches, les deux illustres chimistes furent amenés à tenter l’analyse du corps qu’on appelait alors acide muriatique oxygéné ; ils firent connaître les résultats de leurs nombreuses expériences le 27 février 1809. Leur communication se terminait par cette phrase que je transcris textuellement : « D’après les faits qui sont rapportés dans ce Mémoire, on pourrait supposer que ce gaz (le gaz acide muriatique oxygéné) est un corps simple. Les phénomènes qu’il présente s’expliquent assez bien dans cette hypothèse ; nous ne cherchons point cependant à la défendre, parce qu’il nous semble qu’ils s’expliquent encore mieux en regardant l’acide muriatique oxygéné comme un corps composé. »

Ils faisaient par cette déclaration une large concession aux opinions dominantes dans la Société d’Arcueil, à celles qui étaient patronnées avec une grande vivacité par Laplace et Berthollet. Humphry Davy, qui n’était nullement gêné par des considérations personnelles soutint que la première interprétation était seule admissible ; il regarda l’acide muriatique oxygéné comme un corps simple qu’Ampère proposa d’appeler le chlore ; l’acide muriatique ordinaire devint alors la combinaison de ce radical avec l’hydrogène sous le nom d’acide hydrochlorique ou chlorhydrique. Cette manière d’interpréter les faits est aujourd’hui généralement adoptée.

On voit par cet exemple qu’il est des cas où les conseils du génie, quand ils prennent le caractère impérieux que des conseils ne devraient jamais avoir, peuvent quelquefois éloigner les esprits droits de la vérité.

Lorsque la pile colossale construite avec les fonds alloués à l’École polytechnique par Napoléon eut été achevée, MM. Gay-Lussac et Thénard s’empressèrent d’étudier ses effets ; mais ils furent moins énergiques qu’on ne s’y était attendu. Aussi, après divers essais sans résultats saillants, les deux illustres chimistes se bornèrent-ils à poser des principes généraux sur le mode d’action de ces appareils lorsqu’ils dépassent les dimensions habituelles.

On trouve dans leur ouvrage un chapitre où l’on examine les causes diverses qui font varier l’énergie d’une batterie galvanique ; où l’on donne les moyens de mesurer ses effets ; où l’on étudie l’influence qu’exerce, suivant sa nature, le liquide contenu dans les auges, et les variations d’intensité qui peuvent dépendre du nombre et de la surface des plaques employées, etc.