Gazette des Campagnes, 1861-09-21/Histoire de la 1ère quinzaine de septembre
Histoire de la 1ère quinzaine de septembre.
Peu d’événements remarquables se sont passés depuis le commencement de ce mois.
Au dehors, chez nos voisins et sur toute la surface de l’Europe, la tempête grossit toujours. La guerre menace partout ; on s’arme jusqu’aux dents. Les armées mêmes sont en présence, entre le Nord et le Sud, chez nos voisins ; et toutefois, on semble ignorer pourquoi on veut se battre. En Europe, la question est encore plus incertaine. Et pourquoi cette incertitude ? Autrefois on connaissait ses ennemis, on savait quand il fallait armer et pourquoi on se battait. On ne troublait pas le monde par le bruit des armes et l’horreur du sang sans en avoir médité sérieusement la cause. On pouvait se tromper sur la valeur morale de cette cause, mais toujours on n’entreprenait rien sans consulter l’honneur et la justice. Aujourd’hui, faute de principes et d’honneur, tout le monde a peur et veut la guerre. L’Europe nous semble jouer d’abord une immense comédie, où le faux a continuellement l’air de la vérité, mais tout le monde est du secret, et tout le monde sait, au fond, que c’est la vérité qui est jouée et que le beau rôle reste au mensonge. De là, point de confiance nulle part. De là, les armes et l’inquiétude. De là la tempête européenne bientôt déchaînée tout-à-fait, et maîtresse pour quelque temps.
Et d’où vient ce tumulte. Dans tous les pays catholiques, la vraie raison de ce désordre universel, ne saurait être ignorée de personne, à la campagne comme ailleurs. Le monde n’est pas fait pour la peur, pour l’incertitude, pour la guerre continuelle. Ce sont des maux, à la vérité très-naturels aux sociétés humaines, à cause de leurs passions et des crimes qui en sont la suite : crimes qui appellent sur ces sociétés le châtiment et la correction. Mais à l’état où ces maux sont arrivés aujourd’hui, ils sortent évidemment de l’état ordinaire et naturel, pour devenir un sujet d’appréhension et d’effroi bien légitimes ; attendu que la mesure de l’iniquité parait comble et que Dieu va frapper un grand coup sur les sociétés coupables.
Toute autre interprétation de ce qui se passe aujourd’hui dans le monde civilisé, ou de ce qui s’y prépare est un leurre ou un mécompte. Consultez dans le catholicisme et non dans les rangs de l’impiété, de l’hérésie ou de l’indifférentisme, les esprits les plus doctes et les plus sérieux ; entendez la voix des évêques et du pontife suprême qui siège à Rome et en qui la vérité a, ici-bas, sa plus haute garantie ; tous vous diront que nos temps sont une révolte, une apostasie universelle dirigée contre Dieu et son Christ.
La gangrène a tout gagné, peuples et rois.
Le vertige est partout. L’idée morale, nulle part. La semence pendant trop de temps, des mauvais principes, a partout étouffé le bon. Rien d’étonnant si la terre, aujourd’hui, maudite de nouveau, en quelque sorte, ne pousse plus que des ronces et des épines dans le champ moral des consciences et des esprits.
Cependant, chose incompréhensible, on veut toujours l’ordre, la paix, le respect des droits et l’accomplissement des devoirs. Mais que fait-on ? On sait que toutes ces choses avaient, autrefois, leur raison d’être et leur sanction dans la religion, dans le Christianisme complet, le catholicisme. Mais ayant prévariqué tant et si longtemps à son égard, par un châtiment providentiel et bien légitime, on a perdu à moitié sa lumière et sa force ; et l’on s’est pris à faire soi-même une nouvelle lumière et une autre force pour se conserver l’ordre, la paix, les droits et les devoirs. Les uns pour en venir là, ont mis leur confiance dans les canons rayés, dans l’artifice, dans le droit nouveau. Les autres, dans les flottes, la diplomatie, dans l’influence du schisme ou de l’hérésie. Ceux ci ont eu recours aux concessions venues trop tard et mal présentées.
Les peuples européens, accoutumés qu’on les a faits à une politique indépendante des principes de la conscience chrétienne, ne voient plus dans leurs maitres, quelque soit le nom ou l’habit qu’ils portent, que des tyrants ou des maitres de convention, que les peuples peuvent mener et ramener en tout sens, quand ils se croiront assez forts pour dominer à leur tour. C’est le bilan le plus clair de tout ce qui se passe aujourd’hui en Italie, et bientôt dans tout le reste de l’Europe.
Voilà ce que tout catholique doit bien savoir sur les événements du jour. Après cela, ici comme ailleurs, qu’il laisse dire dans les livres, dans les gazettes, dans les discours privés et publics, tout ce qui est contraire à cette vraie cause de désordres sociaux et politiques du jour. Ne pouvant empêcher l’erreur, qu’il se garde, du moins, de la justifier sous prétexte qu’elle devient universelle et que le monde a jugé. Oui, mais le monde même a son juge comme le moindre des mortels ; et il y a longtemps que ce juge souverain et sans appel a jugé le monde pour ce qu’il est.
Le représentant de ce juge souverain est à Rome aujourd’hui comme il y a dix-huit siècles.
Il y juge le monde, lui aussi, par une souveraine et divine délégation. Il a condamné solennellement et à plusieurs reprises, chez lui, dans sa Rome et ses états, comme ailleurs où les choses ont eu de la similitude avec les siennes, toutes ces spoliations de provinces, de duchés et de royaumes obtenues par le droit nouveau de l’intrigue, de l’artifice, de la piraterie et du canon rayé. Toutes ces prétendues annexions, ces vœux populaires, ce suffrage universel, ces aspirations délirantes vers l’unité ; tout cela a été jugé et bien jugé, aux yeux et pour la conscience du catholique, par le juge représentant direct du juge éternel. Et la chose a été si sérieuse, que pour ce qui concerne les droits et le domaine temporel de l’Église : Pie IX a lancé des foudres dont il n’a point encore retiré l’effet. Depuis, il n’a cessé de protester, et rien n’indique encore qu’il ne proteste ainsi jusqu’au dernier de ses soupirs, s’il le faut. C’est donc bien aisé à tout vrai catholique de savoir quoi penser, dire et agir sur les malheurs du temps, en dépit des brochures, des gazettes, des faiseurs de politique humaine et des diplomates sans foi ou intéressés.
Voilà ce qu’il est bon que sache le peuple des campagnes, si calme et encore si dévoué à sa foi et à son chef visible, le successeur de Pierre, afin d’éviter l’erreur et ses funestes conséquences.
On voudra bien nous pardonner cette explication un peu longue, vu qu’elle nous sert de préambule obligé à tous les faits que nous recueillerons dans la suite sur la marche des événements européens et surtout sur ceux relatifs à l’Italie et aux États du Saint Père.
Revenant dans notre Amérique nous n’avons rien de précis à remarquer sur la guerre fratricide de nos voisins, le coupe-gorge national, là comme en Italie, menace d’un bouleversement social et politique une jeune nation qui faisait école, on le sait, en matière de liberté et de prospérité publique. Mais là comme partout, la liberté n’ayant de garantie que dans l’opinion du moment plutôt que dans les principes de la conscience, elle est dégénérée aujourd’hui, comme en Italie, en une pesante tyrannie que la voix publique atteste de toutes parts.
Au point de vue des intérêts matériels, pour lesquels nos voisins sont prêts à se déchirer à belles dents, cette guerre sans principes comme sans raison suffisante, servira de leçon aux prétentions exorbitantes du peuple américain, et lui donnera l’idée de retremper sa constitution dans quelque chose de mieux que n’ont fait les pères fameux de cette constitution.
En attendant, l’Angleterre veille amoureusement sur nous. Elle nous envoie soldats, bagages et cavalerie pour ôter au cousin Jonathan l’envie de nous nuire. À l’aspect des choses pour tant, il semble que le cher cousin a suffisamment à faire chez lui pour ne point se mêler des affaires d’autrui. Aussi espérons-nous, qu’il lavera seul son linge sale sans venir troubler notre paix et notre sécurité. Plaignons le en chrétiens à cause des maux qu’il souffre déjà si pesamment. Que Dieu les lui abrège ainsi que ceux encore plus pesants qui accablent l’Italie !
Pour nous, demeurons sages et reconnaissants dans les bienfaits publics dont la divine Providence nous fait jouir.
Et d’abord, en effet, la voix publique atteste partout une récolte abondante. Il y a eu de temps à autre des craintes et de vrais dommages, mais en sommes les moisson de 1861 seront un grand bienfait providentiel. Que tous sachent en bien user.
Les faits religieux à noter dans la quinzaine sont la persécution ouverte contre le clergé des états italiens nouvellement annexés, c’est-à-dire spoliés. Les nobles ont aussi leur part honorable dans cette persécution, ainsi que tous ceux que l’amour des vrais principes et la voix de la conscience forcent à se montrer tels qu’ils sont, fidèles à Dieu et à leur prince.
Québec a reçu dans ses murs tout récemment, au bruit du canon militaire, un personnage sur lequel il ne peut y avoir, parmi les catholiques, qu’une seule opinion. Pour se faire une idée raisonnée de cette opinion, il suffit et il est permis de se poser les quelques questions qui suivent.
1o Le prince Napoléon a-t-il agi dans sa vie publique d’une manière méritoire envers le St. Siège et l’Église, au sujet des droits et domaines du Saint Père, qui sont les droits et le domaine de tous les catholiques ?
2o Le prince Napoléon n’a-t-il pas, au contraire, dans un discours, trop célèbre pour lui et les siens, décrié et insulté Pie IX et ses glorieux devanciers sur la chaire de Pierre ?
3o Le prince Napoléon est-il l’ennemi ou l’approbateur des exploits prétendus politiques de Victor Emmanuel, de Garibaldi et de son cousin l’Empereur des français ?
Cela suffit, l’histoire du jour est là pour résoudre ces questions à l’encontre du prince. Et le Canada catholique a trop dit et trop fait en faveur de Pie IX et de sa cause qui est celle de tous les catholiques, pour contredire l’histoire du jour sur le personnage que Québec vient de voir dans son enceinte.
Le numéro ordinaire sera de 8 pages, avec deux ou trois gravures intercalées dans le texte. — Note du Directeur.