Germinie Lacerteux/XXXV

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Charpentier (p. 157-160).
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XXXV.


Germinie accueillit le retour de mademoiselle avec des caresses attendries, mouillées de larmes. Sa tendresse ressemblait à celle d’un enfant malade ; elle en avait la lente douceur, l’air de prière, la tristesse de souffrance peureuse et effarouchée. De ses mains pâles aux veines bleues, elle cherchait à toucher sa maîtresse. Elle s’approchait d’elle avec une sorte d’humilité tremblante et fervente. Le plus souvent, assise en face d’elle sur un tabouret et la regardant d’en bas, avec les yeux d’un chien, elle se soulevait de temps en temps pour aller l’embrasser sur quelque endroit de sa robe, revenait s’asseoir, puis un instant après recommençait.

Il y avait du déchirement et de l’imploration dans ces caresses, dans ces baisers de Germinie. La mort qu’elle avait entendue venir à elle comme une personne, avec le pas de quelqu’un, ces heures de défaillance où, dans le lit, seule avec elle-même, elle avait revu sa vie et remonté son passé, le ressouvenir et la honte de tout ce qu’elle avait caché à Mlle  de Varandeuil, la terreur d’un jugement de Dieu se levant du fond de ses anciennes idées de religion, tous les reproches, toutes les peurs qui se penchent à l’oreille d’une agonie, avaient fait dans sa conscience une suprême épouvante ; et le remords, le remords qu’elle n’avait jamais pu tuer en elle, était maintenant tout vivant et tout criant dans son être affaibli, ébranlé, encore mal renoué à la vie, peine rattaché à la croyance de vivre.

Germinie n’était point une de ces natures heureuses qui font le mal et en laissent le souvenir derrière elles, sans que le regret de leurs pensées y retourne jamais. Elle n’avait pas, comme Adèle, une de ces grosses organisations matérielles qui ne se laissent traverser par rien que par des impressions animales. Elle n’avait pas une de ces consciences qui se dérobent à la souffrance par l’abrutissement et par cette épaisse stupidité dans laquelle une femme végète, naïvement fautive. Chez elle, une sensitivité maladive, une sorte d’éréthisme cérébral, une disposition de tête à toujours travailler, à s’agiter dans l’amertume, l’inquiétude, le mécontentement d’elle-même, un sens moral qui s’était comme redressé en elle après chacune de ses déchéances, tous les dons de délicatesse, d’élection et de malheur s’unissaient pour la torturer, et retourner, chaque jour, plus avant et plus cruellement dans son désespoir, le tourment de ce qui n’aurait guère mis de si longues douleurs chez beaucoup de ses pareilles.

Germinie cédait à l’entraînement de la passion ; mais aussitôt qu’elle y avait cédé, elle se prenait en mépris. Dans le plaisir même, elle ne pouvait s’oublier entièrement et se perdre. Il se levait toujours dans sa distraction l’image de mademoiselle avec son austère et maternelle figure. À mesure qu’elle s’abandonnait et descendait de son honnêteté, Germinie ne sentait pas l’impudeur lui venir. Les dégradations où elle s’abîmait ne la fortifiaient point contre le dégoût et l’horreur d’elle-même. L’habitude ne lui apportait pas l’endurcissement. Sa conscience souillée rejetait ses souillures, se débattait dans ses hontes, se déchirait dans ses repentirs, et ne lui laissait pas même une seconde la pleine jouissance du vice, l’entier étourdissement de la chute.

Aussi quand mademoiselle, oubliant la domestique qu’elle était, se penchait sur elle avec une de ces familiarités brusques de la voix et du geste qui l’approchaient tout près de son cœur, Germinie confuse, prise tout à coup de timidités rougissantes, devenait muette et comme imbécile sous l’horrible douleur de voir toute son indignité. Elle s’enfuyait, elle s’arrachait sous un prétexte à cette affection si odieusement trompée et qui, en la touchant, remuait et faisait frissonner tous ses remords.