Gethsémani (Guaita)

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Rosa MysticaAlphonse Lemerre, éditeur (p. 69-73).
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ROSA MYSTICA


Gethsemani


À Mademoiselle Rousseil.


I


Jésus pleure à genoux au Jardin des olives,
Et se penche en un geste calme d’abandon,
Pâle front, décoré de grâces maladives. —
Comme la Magdeleine implorant son pardon,
Il pleure à deux genoux, au Jardin des olives.


II


Lui, le Prince du Ciel — triste jusqu’à la mort,
Lève un regard chargé de douleur et de crainte
Vers l’ange rayonnant qui tient la coupe d’or :
L’ange est debout, la paix sur son visage empreinte…
Le Dieu pleure humblement — triste jusqu’à la mort !


III


Et l’ange attend, muet comme un spectre de pierre.
— « Ô Seigneur, éloignez ce calice de moi !… »
Telle est, Jésus, ta défaillance et ta prière.
Le ciel est calme, la nuit sombre, et le vent froid ;
Et l’ange attend, muet comme un spectre de pierre.

IV


Ah ! qu’ils sont loin, les jours de pompeux hosanna,
Quand, divin thaumaturge éblouissant de gloire,
Tu changeais l'eau de source en vin pur, à Cana !…
Car voici la liqueur amère : il faut la boire ;
Ah ! qu’ils sont loin, les jours de pompeux hosanna !


V


Ton cœur saigne au poignard de l’angoisse future,
Et tes larmes de feu brûlent la mousse en fleurs.
— Tes disciples sont las, et, sur la terre dure
Ils dorment leur sommeil, rêvant aux jours meilleurs,
Ton cœur saigne au poignard de l’angoisse future.

VI


Disciples endormis ! Ciel sourd !… Rien ne répond.
L’ange s’est envolé ; la coupe d’agonie
Est bue, et la sueur sanglante est sur ton front.
Serais-tu pas un dieu, Roi des Juifs ?… — Ironie !
Disciples endormis ! Ciel sourd !… Rien ne répond !


VII


Si le Dieu meurt en toi ; s’il ne reste que l’homme
Qui défaille, et se traîne, et se plaint au néant,
De quel nom, cette nuit, vaux-tu que l’on te nomme ?
— Oui, tu faiblis ; mais ta faiblesse est d’un géant,
Et, si le Dieu n’est plus, il reste mieux qu’un homme :


VIII


C’est à Gethsémani, pleurant comme un enfant,
Que le poëte t’aime, ô Christ, et te révère.
Où tu lui parais beau, sublime et triomphant,
Ce n’est pas en martyr t’immolant au Calvaire ;
C’est à Gethsémani, pleurant comme un enfant !


Mai 1884.