Gilles de Rais dit Barbe-Bleue/avant-propos

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H. Champion, libraire-éditeur. (p. viii-x).

AVANT-PROPOS



J’avais, en 1876, l’honneur de participer, comme sous-préfet de l’arrondissement des Sables d’Olonne, à l’administration du pays paisible et excellent où Gilles de Rais a laissé d’ineffaçables traces, lorsque le projet me vint, tout naturellement, de raconter la vie, les exploits et la mort de mon illustre prédécesseur. Les travaux de M. Quicherat, de M. Vallet de Viriville sur Jeanne d’Arc, la publication du Mystère du siège d’Orléans par MM. Guessard et de Certain, plus récemment une note de M. Charles Deulin sur la légende de Barbe-Bleue[1] enfin les notices et les travaux de MM. Armand Guéraud, de Sourdeval, du Bibliophile Jacob, du baron de Girardot et d’autres encore sur Gilles de Rais lui-même, avaient rappelé à l’attention du monde savant ce personnage ; mais personne n’avait utilisé encore les documents précieux et originaux que nos dépôts publics possèdent sur son compte.

L’ambition me vint donc de le faire connaître un peu plus à fond, d’après les documents originaux : je me mis en devoir de recueillir ces documents et, lorsque je les eus entre les mains, je fus tellement frappé de l’intérêt qu’ils paraissaient présenter pour l’histoire de notre pays, que je n’hésitai pas à proposer au Comité des Travaux historiques et à M. le Ministre de l’Instruction publique de leur accorder une place dans la collection des Documents inédits relatifs à l’Histoire de France[2].

Cette proposition fut accueillie avec sympathie ; mais, après la lecture des pièces, cette sympathie fit place à un véritable mouvement d’effroi. Les enquêtes latines, rédigées par ordre de l’évêque de Nantes, nous apportaient le récit de crimes monstrueux, et, bien que la condamnation finale leur appliquât le sceau de la moralité, ce récit, dépourvu d’artifice et d’explications, causa de tels ravages dans l’esprit bienveillant des membres du Comité, leur laissa une impression si profonde, que je fus moi-même effrayé de mon œuvre. Mes documents reprirent immédiatement leur place dans un carton fermé avec soin et sans doute ils y seraient encore si la Providence, sous les traits d’un honorable et excellent confrère, M. Marchegay, l’éditeur bien connu du Chartrier de Thouars, ancien archiviste de Maine-et-Loire et propriétaire en Vendée du domaine des Roches-Baritaud, ne fût venue à mon aide.

M. Marchegay voulut bien me mettre en rapports avec un descendant des administrés de Gilles de Rais, M. l’abbé Bossard, qui, séduit, comme moi, par cette figure, entreprenait de son côté d’en écrire l’histoire, sans rien dissimuler des imperfections de son modèle, mais aussi en laissant leur place légitime aux côtés étranges et romanesques de sa vie, au caractère exemplaire de sa fin. On ne pouvait que se hâter de profiter d’une si bonne fortune ; je ne songeai plus dès lors à un projet que M. l’abbé Bossard, devenu mon ami, était si à même de réaliser en racontant les aventures de Gilles de Rais ; heureux de penser que la mémoire de notre héros n’y perdrait rien et que moi-même, comme Gilles, si j’avais fait le mal, du moins je finissais bien. Mais j’ai publié, à la fin du présent volume, comme Pièces justificatives, une partie des documents originaux qui ont servi à sa composition, et notamment la presque totalité du procès criminel de Gilles de Rais[3]. Toutes ces pièces sont inédites et j’ai indiqué l’origine de chacune. Le procès du maréchal de Rais a eu, du reste, un tel retentissement qu’il est peu de bibliothèques importantes qui n’en possède, en tout ou en partie, une copie plus ou moins ancienne, soit isolée, soit comprise dans les collections des procès célèbres. Ayant l’original des documents entre les mains, il n’y avait rien à tirer de ces copies dont le catalogue serait sans intérêt. Je me bornerai à citer, parmi celles qui, à défaut de l’original, pourraient présenter un caractère authentique, une expédition faite en 1530 par Gilles Le Rouge, ancien sénateur de Milan, puis conseiller au Grand Conseil et président du parlement de Bretagne[4] et une autre expédition faite en 1556 par le Conseil de Bretagne[5].

R. M.

  1. Publiée dans la Revue de France, t. XX, p. 977.
  2. Du Cange a utilisé l’enquête française, que je publie, pour son Dictionnaire.
  3. En supprimant, par voie de coupures que j’ai indiquées quelques passages sans intérêt et pour lesquels on prononcerait le huis-clos en cour d’assises.
  4. V. Pièces justificatives, page CXLI, note I.
  5. Arch. nationales, V 785, p. 1 à 70, et 188 à 215 vo « (copie complète de la procédure française devant Pierre de l’Hôpital, suivie du récit de l’exécution de Gilles). Parmi les copies que possède la Bibliothèque nationale, citons une copie ancienne de la procédure canonique (cotée ms. lat. 17663), en tête de laquelle se trouve une miniature récente et de fantaisie, représentant Gilles de Rais devant ses juges ; et une copie moderne de l’enquête française, suivant une expédition donnée par le Conseil de Bretagne (ms. fr. 3876, ff. 105-128).