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Gilles de Rais dit Barbe-Bleue/pieces justificatives 4

La bibliothèque libre.
H. Champion, libraire-éditeur. (p. cxlviii-clx).

IV
DOCUMENTS RELATIFS AUX PRODIGALITÉS DE GILLES DE RAIS[1].


1.
Samedi, 26 mars 1434 (1435).


confirmation par gilles de rais du service fondé par lui en l’honneur des saints innocents.


(Minute orig., à la date, dans les Minutes du notaire Jean de Recouin, à Orléans).


Le samedi XXVIe jour de mars mil CCCCXXXIIII.

Comme noble et puissant seigneur, monseigneur Giles, seigneur de Rais, comte de Brienne, seigneur de Champtocé et de Pousauges, mareschal de France, ait naguieres, pour le bien, salut et sauvement de son ame, et ad ce que envers nostre seigneur Jhesu Crist soit memoire de lui et de ses feux pere, mere, parens, amis et bienfaicteurs trespassez, faicte fondacion en memoire des Sains Innocens, au lieu de Machecoul en Rais estant ou duchié de Bretaigne, et en icelle fondacion ait faiz et ordonnez vicaire, doian, archediacre, tresorier, chanoines, chappitre et colleige, et aussi leur ait ordonnées et baillées rentes, revenues et possessions pour leurs vivres et neccessitez, ad ce que le divin service soit augmenté et puisse d’ores en avant estre fait et celebré audit lieu de Machecoul, et pour ce que ledit seigneur avoit et a encores bonne entencion et ferme propos d’entretenir ladicte fondacion comme bien l’a demonstré et demonstre chascun jour par effect, desirant de tout son cueur lesdits vicaire, doian et chappitre estre apres son deces paisiblement tenuz et gardez en bonne possession et saisine des rentes, revenues et possessions par lui a eulx ainsi baillez et assignez, comme dit est, et en icelles preservez et deffenduz de toute oppression, eust icellui seigneur donné au Roy de Sicille et duc d’Anjou le chastel et chastellenie de Champtocé, hors l’acquit ou peage d’icellui lieu, ou est ladite fondacion ; duquel roy de Sicille, a cause dudit duchié d’Anjou, lesdits chastel et chastellenie sont tenuz en fief ; et au duc de Bretaigne la moitié de toute la seigneurie, baronnie et terre dudit Rais, ou cas que madame Katherine de Thoars, femme dudit monseigneur de Raiz, ou mademoiselle Marie de Rais, sa fille, ou autres parens, amis, heritiers et aiens cause, qui ou nom de ladicte mademoiselle Marie ou autrement, a quelque tiltre, maniéré et pour quelconque cause que ce soit ou puisse estre, contrediroient ou empescheroient ladite fondacion et par ainsy que lesdits seigneurs roy de Sicille et duc d’Anjou et duc de Bretaigne les porteraient, soustiendroient et deffenderoient et aussi les feroient joir et user plainement, paisiblement, de leurdicte fondation, si comme toutes ces choses et autres ledit seigneur disoit plus plainement apparoir par lectres sur ce faictz et passées au devant du jour d’uy. Savoir faisons que ledit Mgr de Rais, establi et present au jour d’hui personelment en la ville d’Orleans, en la presence et par devant Jehan Caseau et Jehan de Recouin, notaire jurez de chastellets d’Orleans, voulant et desirant sur toutes choses ladicte fondacion avoir lieu et porter son plain effect ; considerant que lui ne autre humaine creature ne pourroit par ses œuvres recompenser, envers son createur, les biens qu’elle reçoit de ses graces et benefices, et partant est necessaire chose acquerir intercesseur, par le moyen duquel on puisse, par continuacion des biens temporelz, parvenir a la gloire des biens spirituelz ; de son propre mouvement, sans requeste, pourforcement, seanction ne ennortement de quelzconques personnes, mais seulement de son bon gré et de sa bonne, pure, franche et liberalle voulonté, meu de devocion. pour les causes et consideracions devantdictes, recongnut et confessa que ladicte fondacion et don par lui ainsi faix, comme dit est dessus, il a loez, greez, ratifiiez, confermez et approuvez, et encore d’abondant loe, grée, ratiffie, conferme et approuve de nouvel, se mestier est, comme bon et valable. Et, avec ce, ledit seigneur donne, transporte et delaisse perpetuelment, hereditablement et touzjours des maintenant, pour lorsque le cas eschoira et pour lors des maintenant, au dessusdict roy de Sicille et duc d’Anjou et duc de Bretaigne generalment tout ce qui lui est advenu, succedé et eschu et qui lui pourra advenir, succeder et escheoir par le deces de ses feux pere, mere, ayeul, ayeulle et autres parens et amis, jusques a la quarte lignée, soit par ligne directe, colateral ou autrement, en quelque maniere que ce soit, tant en meubles que en heritages, en quelconque lieu ou lieuz qu’ilz pourront estre scuz ou trouvez. Et, ou cas que lesdits seigneurs ne vouldroient ou seroient de ce contens, ne les accepteraient, ou ne vouldroient porter et soustenir lesdiz vicaire, doian, tresorier, chanoines et chappitre et les faire joir et user d’icelle fondacion, comme dit est dessus, ledit monseigneur de Rais a donné et donne, semblablement et par semblable forme et maniere, les choses dessusdictes au roy, notre sire ; et, a son refus, il les donne a l’Empereur et, si l’Empereur ne veult, il les donne a N. S. P. le pape ; et si le pape ne veult, ledit seigneur les donne aux personnes croisées de la saincte terre d’Outre Mer, c’est assavoir aux religieux de l’ordre et religion de Monseigneur Saint Jehan et Saint Ladre de Jherusalem, a chacune desdictes religions, par moitié. Et veult et ordonne ledit monseigneur de Rais que a ces choses ainsi faire et souffrir, ses heritiers et aians cause de lui, ou temps advenir, puissent estre contrains par la chambre apostolique de N. S. P. le pape et autrement, par la plus forte maniere et raison que faire se pourra, sous peine d’encourir sentence d’escomminge et d’estre repputez sacrileges et ravisseurs des biens de Dieu et de l’Eglise, de aidier, secourir et reconforter lesdits vicaire, doian et chappitre de Machecoul, comme leurs vrays gardiens et protecteurs, et que ledict acqueit et peage dudit lieu de Champtocé, avecques les revenus d’icellui, soit et demeure d’ores en avant a touzjours mes a ladicte fondacion, franc, quite et delivre, etc. Et a promis et promet mondit seigneur de Rais, loyaument et par les foy et serement de son corps, pour ce, audit jour d’uy baillé et mis corporelment es mains desdiz notaires jurez, que james par lui, ne par autres, encontre la voulonté, octroy, ratifficacion, approbacion et choses dessusdictes, ne contre aucunes d’icelles, ne vendra ne essayera advenir etc. Et se autrement ledit seigneur le avoit fait, dit ou passé au devantdit jour d’uy, il le revoque et rappelle par ces presentes. Auxquelles en tesmoing des choses dessusdictes, nous, garde de ladicte prevosté d’Orleans dessusnommé, a la relacion et tesmoingnage desdiz notaires… creuz et créz… apposer le seel[2]

2.
Samedi, après le service (sic), 1435.


obligation sur gages de gilles de rais pour 64 réaux d’or et 16 sous parisis à un pelletier d’orléans.


(Même Minutaire).


Jehan de Laon.

Monseigneur de Rais, mareschal de France, confessa devoir a Jehan de Laon, peletier, la somme de soixante quatre reaulx d’or et seize solz parisis de monnoye, pour vente de pannes et besongne faicte de son mestier, si comme, etc. dont etc. a paier dedans le dimanche de quasimodo prochain venant, cousts, etc. Et pour seurté du paiement dudit Laon, Guiot de Chambere et Jehan Le Sellier, dit Petit Jehan, se sont constituez pleiges et principaulx rendeurs de ladicte somme, en leur baillant et rendant une chappe d’un baudequin vermeil, figuré de vert tisu a oiselez d’or garny de chaperon a offrayes de Paris, avec ung chazuble et ung damaire pour diacre, qu’ilz lui baillirent par maniere de gage des le jeudi absolu dernier passé qu’ilz s’obligerent a lui en LIIII r. d’or et XVI s. p. par une obligacion, laquelle par ceste presente et mise au neant etc. Obligeans etc. Renonçans etc.


3.
14 juin 1435.


obligation sur gages de gilles de rais à jacques boucher, pour 190 réaux d’or.


(Même Minutaire).


Le XIIIIe jour de juin.

Jacques Bouchier.

Mondit seigneur de Raiz confessa devoir a Jaques Bouchier, demourant a Orleens, la somme de neuf vins douze reaulx d’or, pour cause de prest a lui fait par ledit Jaques Bouchier, de nouvelle debte, et en oultre autres sommes qu’il lui doit, tout en or et argent comptant, comme en vins et autres denrées, si comme etc., a paier avant que ledit seigneur parte d’Orleans, au plus tart, dedens le Xe jour de juillet prochain venant, au choix dudit Jaques. Et pour seurté de ladicte somme de IXxxXII r., en laquelle sont compris XXX reaulx dont ledit seigneur et Guiot de Chambere et Jehan Le Sellier, dit Petit-Jehan, ses serviteurs, s’estoient obligez en deux parties, ledit seigneur baille et oblige audit Jaques ung cheval bayart a longue queue qui est es mains de Colin Le Godelier, avecques ung cheval noir appeler Cassenoiz et huit chevaulx de harnois garnis de harnois et cherioz qui sont es mais de Pierre Liberge etc. Renonçant etc.


4.
20 juin 1435.


obligation de deux serviteurs de gilles de rais pour achats d’armes


(Même Minutaire).


Le XXe jour de juin.

G. Mauneveu.

Guiot de Chambere et Jehan Le Selier, dit Petit Jehan, escuiers, serviteurs de monseigneur de Rais, mareschal de France, confessent devoir, chascun pour le tout, etc., a Colin Mauneveu, marchant et bourgeoys d’Orleans, la somme de trente deux raaulx d’or, pour vente de arcs et de trousses baillez par ledit Colin a Galardon de Goulart, capitaine de gens d’armes et de traict, pour lequel ilz ont respondu et fait leur propre debte envers ledit Colin, si comme etc. Dont etc., a paier dedens douze jours prouchains venans, cousts etc., obligeans etc., chascun pour le tout, etc. Renonçans etc.


5.
15 octobre 1436.


reçu de divers objets abandonnées par gilles de rais.


(Même Minutaire).


Le XVe jour d’octobre.

Ledit chevalier[3] confesse avoir eu et receu dudit Jehan Boileve, ung livre en parchemin, nommé Ovide Metamorphoseos, couvert d’un cuir vermeil, armé a cloz de cuivre et a fermoers d’argent dorez, avecques une croix de boys couverte d’argent doré sur laquelle un ung (sic) crucifilz d’argent blanc, qui avoient esté baillez a Jehannette, mere dudit Boileve, pour argent qui lui estoit deu par monseigneur le mareschal de Rais, pour certaine somme d’argent dont il estoit tenu envers elle, comme elle dit.

6
6 mai 1439.
quittance de gilles de rais, pour 1500 saluts d’or,
à valoir sur 100,000 écus à lui dus par le duc de Bretagne, en raison de la vente de Champtocé.
(Orig. Collection de M. Benjamin Fillon, <span class="coquille" title="de la vente du 27 juillet 1883 ; no 2639 du Catalogue">no 2639 du catalogue de la vente du 27 juillet 1883[4].)

Nous, Gilles, sire de Rays et de Pousauges, mareschal de France, confessons avoir eu et receu de Jehan Mauleon, tresorier du duc mon souverain seigneur, la somme de mil et cinq cens saluz d’or, a valoir acquit et descharge, sur la somme de cent mil escuz que mondit seigneur le duc nous doibt et est tenu parfaire et poyer a cause du contrat de Champtocé. Et d’icelle somme de mil et cinq cens saluz nous tenons a contens et bien poyez, et en avons quitté et quittons mondit seigneur, ledit Mauleon et tous autres a qui quittance en peut appartenir, tesmoign nostre seign manuel cy mis le VIe jour de may, l’an mil IIIIc trente et neuf.

(Signat. autographe.)
7.


extrait des intendits des héritiers de gilles de rais contre le duc de bretagne.


(Orig. aux archives de la Loire-Inférieure, E 175, cassettes 74 et 75[5]).


… Item, et savoit ledit duc Jehan l’indiscrecion, faulte d’entendement, prodigalité notoire dudit feu messire Gilles, et ne le povoit ignorer, car ce estoit tout notoire es pays et duchié de Bretaigne, Anjou et Poictou, en la ville et duchié d’Orleens, et en planeurs autres pays, citez, villes et lieux.

Item, et est la verité telle, et sera prouvé et monstré, que, au temps dudit eschange et paravant, ledit feu duc Jehan, feu messire Jehan de Malestroit, evesque de Nantes, son chancellier et principal conseiller[6], Geffroy le Ferron, son tresorier, et ses autres conseilliers et officiers, et les nobles, manans et habitans dudit pays de Bretaigne tenoient et reputoient publiquement ledit feu monseigneur Gilles comme foul et insensé, et se mocquoient et rioient de luy, comme de ung foul, toutes foiz qu’ilz le veoient.

Item, congneurent et confesseront, par plusieurs foiz et en plusieurs lieux, qu’il estoit foul, prodigue et insenssé, et, a ceste cause, chascun tendoit a avoir du sien ce qu’il en vouloit et desiroit avoir ; car ilz savoient qu’ilz luy feroient passer telz contractz qu’ilz vouldroient : et ne se tenoient les sages et proudommes hommes du pays a chose qu’il feist ne qu’il deist.

Item, et, avec ce, estoit tout notoire, ou pais et duché de Bretaigne et ailleurs, que, paravant ledit eschange et les contrats subsequens concernans ladite seigneurie de Champtocé, interdicion avoit esté faicte audit feu messire Gilles de l’alienacion de ses biens, terres et seigneuries, et ladite interdicion publiée par cry publique et son de trompe es villes et citez d’Angers, d’Orleans et de Bloiz, au lieu et ville de Machecoul en Raiz, qui est le principal lieu de la baronnie de Raiz et ouquel les seigneurs de Raiz ont acoustumé de converser et y tenir leur domicille, et en plusieurs autres lieux.

Item, et laquelle interdicion fut et avoit esté publiée par cedulle, mise et attachée au chastel de la Mote Achart, lors appartenant audit feu messire Gilles, assavoir ou pays et conté de Poictou[7].

Item, et fut ladite cedulle, qui avoit esté attachée a la porte dudit chastel de la Mote Achart, emportée, baillée et delivrée audit feu evesque de Nantes, lors chancellier, principal conseiller dudit duc Jehan, lequel le prist et leut tout au long et en advertit ledit duc Jehan : par quoy, icelluy duc, obstant le petit sens et prodigalité dudit messire Gilles et l’interdicion dessusdite, ne povoit contracter avec luy et, posé qu’il eust peu contracter avecques ledit feu messire Gilles, toutesfoiz ledit contract ne sortit oncques effect…


8.


extrait des intendits du duc de bretagne contre les héritiers de gilles de rais.


(Même cote[8]).


… Item, et a ce que dit ledit demandeur que messire Gilles de Raiz estoit notoirement pur prodigue et que le duc qui estoit son seigneur luy debvoit pourvoir de curateur et non pas contracter avecques luy[9].


.............................

Item, et estoit pour lors mareschal de France, constitué en chief d’office et du grant conseil du Roy, et avecques ce estoit lieutenant general dudit duc Jehan ou gouvernement de sa duché de Bretaigne, ce que jamais n’eust esté s’il eust esté prodigue notoire et s’il n’eust eu sens et conduitte en luy de gouverner le syen et l’autruy.

Item, et, s’il avoit fait paravant ledit temps aucunes alienacions, ce avoit esté pour la grande necessité qu’il avoit eue a soubstenir son estat en exerceant son office de mareschal ou temps des guerres et divisions qui lors avoient cours en ce royaulme, de laquelle office il ne recevoit lors, pour la grande charge du Roy, que bien peu de gages et de prouffiz.


.............................

Item, et, avecques ce, y avoit proces meu ou prest a mouvoir entre le Roy de Scecille, duc d’Anjou, et ledit messire Gilles, a cause desdites terres et seigneuries que ledit Roy pretendoit luy appartenir par confiscacions ou coumission des felonnies commises a l’encontre de lui, qui est seigneur desdites terres, par messire Jehan de Craon, ledit messire Gilles et autres leurs gens et serviteurs, et aussi pretendoit ledit Roy grandes sommes de deniers a cause des rachatz et autres devoirs non faiz : a l’occasion desquelles choses ledit duc ou ses successeurs ont esté contrains de composer avecques luy a la somme de       (sic) escuz d’or qu’ilz a euz et receuz a cause desdites choses[10].

Item, et, si y avoit ung proces pendant en la court de parlement a Paris, et encore y est de present, entre les marchans de la riviere de Loyre, demandeurs et complaignans en cas de saisine et de nouvelle, contre le seigneur de Champtocé, a cause du peage de la jalaye du vin passant par ladite riviere, qui est deu audit seigneur de Champtocé et de Ingrende sur chacune queue devin, lequel proces a esté et est encore de grans frais et mises audit seigneur de Champtocé[11]


9.


extraits des additions aux intendits du duc de bretagne.


(Même cote[12]).


… Item, or est il ainsi que ledit feu messire Giles de Rais parloit bien et saigement, et, a ses parolles, sembloit estre bien saige : et, pour ce, jasoit ce que ledit demandeur peust dire et maintenir qu’il estoit prodigue et dissipeur de biens, quod non, touteffoix, puisque par justice ne luy auroit esté faicte interdiction de l’alienacion de ses biens ne pourveu de curateur, touz les contractz par luy faiz seroient et sont bons et vallables, et doivent sortir leur effect.

Item, et n’y fait riens ce que dit ledit demandeur, pour vouloir monstrer que ledit feu messire Gilles estoit prodigue notoire, que, tant a cause de ses predecesseurs que de son office de mareschal de France, il avoit de revenue, par chascun an, plus de L M. livres tournois, et si avoit eu a cause de sa feue femme plus de C M. escuz d’or en meubles etc. Car, sauve la grâce dudit demandeur, il ne se trouvera point estre vray.

Item, mais en prouvant ce fait, ou prejudice dudit demandeur, puisqu’il avoit si grande revenue, il povoit bien tenir l’estat dont il a voulu parler, c’est assavoir II C. ou IIC L. personnes et chevaulx a ses despens, et mesmement consideré l’office qu’il avoit de mareschal de France et le temps de guerre qui couroit lors, et mesmement car il n’y a cour en ce royaume qui ait tant de revenue comme avoit ledit messire Gilles[13] par le propox dudit demendeur, prins contre luy seulement.

Item, et n’est pas besoing, soubz correction, en bonne police, que ceulx qui ont si grandes revenues les mettent en leurs bourses, mais est neccessere a la chose publique qu’ilz les despendent ; autrement le menu peuple n’auroit riens entour eulx ; et aussi peccune de sa propre nature veult estre dispersée et distribuée en plusieurs lieux.

Item, et cecy respond a ce que ledit demandeur a voulu dire que ledit feu messire Gilles fist en son vivant une tres grant et fole despense a cause de certaine chappelle, qu’il n’est pas. Et encores peut on en oultre respondre que ce ne seroit pas prodigalité, car envers Dieu et pour l’onneur et service de luy, on ne peut faire immensité de ses biens, pour ce que tout vient de Dieu ; et, se tous ceulx qui tiennent chappelles a temps, ou qui les ont fondées et grandement doées et ornées a perpetuel, estoient reputez prodigues notoires, il y en aroit beaucop en ce royaume, et de ceulx qui sont tenuz pour gens de bien.

Item, et quoy que die ledit demandeur, touchant la terre de la Riviere assise en Aulniz, que ledit feu messire Gilles la donna a ung des chantres de sa chappelle, nommé Rossignol etc., il ne se trouvera point. Aussi n’appartenoit elle pas a icelluy feu messire Gilles, mais estoit a la dame de la Hunaudaye, a elle advenue par son partaige de l’ostel de Raiz, et de present appartient icelle terre a monseigneur de Barra. Quare etc.

Item, et, se ledit feu messire Gilles bailloit ses terres a ferme pour moins qu’elles ne valoient, s’il vendoit les blez, vins, sel et autres fruiz de sesdites terres a maindre pris que la valeur d’iceulx, s’il aloit parfoiz es bonnes villes et y faisoit des despenses et aucunes foiz y empruntait partie des vivres qu’il y despendoit, ou s’il bailloit aucuns de ses joyaulx en gaige pour moins qu’ilz ne valloient, quia ista non arguunt que pour tant il feust prodigue et, quoy que soit, prodigue notoire, car plussieurs autres notables gens et bien saiges le font souvent secundum occurrenciam casuum et les neccesitez qui leur sourviennent.

Item, et, a ce que dit en oultre ledit demandeur que ledit feu messire Gilles vendy a ung nommé Marcille la terre et seigneurie de Fontaine Millon le pris et somme de IIII M. escuz etc., respond ledit deffendeur que, s’aucune chose estoit de ladite vendicion, la verité est et aussi se trouvera qu’il la vendy plus qu’elle ne valloit, ce que n’eust sceu faire ung prodigue, et mesmement notoire.

Item, a ceste occasion, feu monseigneur l’admiral de Coictivy, qui la voulst ravoir dudit Marseille soubz umbre de ladite prodigalité qu’il pretendoit lors, ainsi que fait de present ledit demandeur, en fu débouté par ledit Marceille, auquel elle est demourée au moien de ladite vendicion.


.............................

Item, et pareillement touchant les terres de Blazon et de Chemelier, vendues par ledit feu messire Gilles a feu messire Guillaume de la Jumeliere le pris et somme de V M. escuz d’or ou autre plus grant somme, comme dit ledit demandeur etc. : si aucune chose estoit de la vendicion, elle auroit esté faicte pour plus grant pris que lesdites terres ne valoient, et, pour ce, n’ose ledit demandeur declarer la valleur d’icelles, et, a ceste cause, sont demourées lesdites terres audit de la Jumeliere.


.............................

Item, et, quant a la terre de Gaitecuisse que ledit demandeur dit avoir esté vendue par ledit feu messire Gilles a feu messire Hardoin de Bueil, en son vivant evesque d’Angiers, pour le pris et somme de XII M. escuz d’or etc., s’aucune chose avoit esté de ladite vendicion, ladite terre ne valloit pas plus de soixante livres de rente pour lors, et par ce auroit esté achatée a bien hault pris, ne ung prodige notoire ne l’eust jamais tant vendue.

Item, et, a ce que dit en oultre ledit demandeur touchant la terre et seigneurie de Savenay et VIII XX. livres de rente sur la forest de Brecelien, que ledit feu messire Gilles les vendit etc. : respond ledit deffendeur que le fait n’est pas recevable, car il ne declaire point a qui ne pour quel pris, ne aussi la valeur de ladite terre de Savenay et n’est que confusion qui oste audit deffendeur la faculté de pouvoir autrement respondre. Quare etc.

Item, et, touchant les terres et seigneuries de la Mothe Achart et de la Mauriere, ledit demandeur dit avoir esté vendues par ledit feu messire Gilles au seigneur de la Roche Guion, valans, comme il dit, mil ou XII C.. livres de rente etc. : il ne declaire pas le pris qu’elles furent vendues, par quoy ledit fait n’est en riens recevable.

Item, mais, quoy qu’il en soit, lesdites terres auroient esté rachatées des deniers que ledit feu duc Jehan bailla audit feu messire Gilles sur les contractz dont se plainct ledit demandeur ; en quoy il a tort evident, veu mesmement que, a ce moyen, il tient de present lesdites terres de la Mote Achart et de la Mauriere et en joist.

Item, et pareillement ne vous doit mouvoir ce que dit ledit demandeur des terres de Pruigné, de Veut et autres assises en Raiz, que ledit feu messire Gilles les vendit au feu evesque de Nantes, chancelier de Bretaigne, le pris et somme de XII M. escuz, ou autre grant somme de deniers etc.

Car, premierement, il ne declaire pas la valeur d’icelles terres qui n’estoit que de V C. livres de rente ou environ, et par ce n’estoit en riens deceu ledit feu messire Gilles.


.............................

Item, et ainsi le faisoit souvent feu messire Bertrand de Glesquin, en son vivant connestable de France, et pareillement plusieurs autres grans seigneurs de ce royaume, bien saiges et vaillans, l’ont fait en ces guerres pour la deffense de la chose publique, comme tenuz y sont : et, quoy que soit, en devroit le Roy recompenser ledit feu messire Gilles ou ledit demandeur, son heritier[14].


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Item, et, pour ce que ledit demandeur dit en general que ledit feu messire Gilles vendit en son vivant, depuis l’an mil IIII C XXXII jusques a l’an mil IIII C XL, de ses terres et seigneuries et des rentes sur luy, pour le pris et valeur de II C. mil escuz d’or etc. ; dit et respond ledit deffendeur que cecy fait contre ledit demandeur et en son prejudice.

Item, et, mesmement, car il ne se trouvera point que toutes les terres declairées par ledit demandeur, qu’il dit avoir esté vendues par ledit feu messire Gilles, et les rentes vendues sur luy soient de la valeur de deux cens mil escuz d’or ; et, par ce, fault dire que, s’ainsi est, il les a vendues a bon et hault pris, et plus qu’elles ne valoient.


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Item, et ne vault ce que ledit demandeur a voulu dire sur ce, c’est assavoir que le feu roy Charles, derrenier trespassé, deuement acertainé du mauvais gouvernement dudit feu messire Gilles, lui fist en son grant conseil interdicion et deffense de non aliener ses terres et seigneuries ne vendre rentes ou redevances sur icelles etc. : car sauve la grace dudit demandeur, il ne se trouvera point ; et, quand il s’efforcera d’en monstrer aucune chose, par cest a present ledit deffendeur proteste de le debatre et d’en dire plus a plain ce qu’il appartiendra.

Item, et aussi ne seroit ce pas la forme et maniere de proceder en telles interdicions, qui, selon raison, doivent estre faictes par les juges ordinaires et cum plenissima cause cognicione.
.............................




  1. On a vu qu’après la mort de Gilles de Rais, ses héritiers poursuivirent contre le duc de Bretagne la nullité des contrats de vente passés par lui, comme émanant d’un prodigue notoire, d’un fou, d’un incapable.

    Cette volumineuse et curieuse procédure se trouve aux archives de la Loire Inférieure, E 175, cassettes 74 et 75. Nous nous sommes borné à reproduire les courts extraits que l’on trouvera plus loin et qui en indiquent bien nettement le caractère.

    Les contrats de vente souscrits par Gilles de Rais n’offrent aucune particularité notable de rédaction et il a paru inutile d’en donner le texte. Les archives de la Loire-Inférieure en contiennent un bon nombre dans la même série E.

    M. Doinel, archiviste du Loiret, a rencontré aussi dans l’ancien Minutaire de Jean de Recouin, notaire à Orléans en 1435, beaucoup de traces des folies de Gilles de Rais et de son désordre financier. On trouvera ci-après le texte de cinq documents empruntés à ce Minutaire, dont M. Doinel a bien voulu relever lui-même et me communiquer fort obligeamment le texte. (R. M.)

  2. Le surplus de la pièce est lacéré.
  3. Jehan de Montecler.
  4. Pièce communiquée par notre regretté voisin, M. Benjamin Fillon. (R. M.)
  5. Tous les extraits qui suivent sont empruntés aux Intendits ou conclusions déposées par les parties.

    L’Intendit des héritiers, dont nous donnons l’extrait que voici, existe en double exemplaire au dossier de l’affaire : un exemplaire en un rôle de parchemin de 16 ff., de 0m, 36 sur 2m, 335 de longueur : un autre en une expédition sur papier, in-fo, de 8 ff., de 0m, 20 sur 0m, 30. C’est une partie des Intendits Généraux du procès.

    Les preuves de l’Histoire de Bretagne contiennent un extrait de ce mémoire, mais l’exactitude en laisse à désirer. Cet extrait commence au fo 4 du ms.

  6. Jean de Malestroit, le juge de Gilles de Rais.
  7. Département actuel de la Vendée.
  8. Cahier de papier, petit in-fo de 26 ff. Ce cahier paraît être la minute de l’acte.
  9. F° 15, vo, du ms.
  10. F° 17 du ms.
  11. Explications données à l’appui de la vente de Champtocé.
  12. Cahier de papier, petit in-fo. de 12 ff.
  13. Cinquante ans après, Louis XI, au moment du mariage projeté de sa fille Anne avec le duc de Calabre, lui assura, comme dot, 40 000 livres de rente et 100 000 écus d’or, mais cette dot fut considérée comme excessive.
  14. Ceci répond à un intendit disant que Gilles de Rais avait vendu Champtocé pour payer un voyage qu’il fit à Langres comme maréchal de France et pour soudoyer des gens d’armes.