Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Édouard en Écosse, ou la Nuit d’un proscrit, drame historique d’Alexandre Duval, en trois actes et en prose

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Administration du grand dictionnaire universel (7, part. 1p. 202).

Édouard en Écosse, ou la Nuit d’un proscrit, drame historique d’Alexandre Duval, en trois actes et en prose, représenté on 1802. Cette pièce intéressante, dont le sujet est tiré du Siècle de Louis XIV par Voltaire, devait causer à l’auteur de nombreux ennuis. Il l’avait lue chez Maret, secrétaire général du Consulat, chez Chaptal, ministre de l’intérieur, et devant d’autres grands personnages qui tous n’avaient vu que le but moral de l’ouvrage, sans y soupçonner le désir d’amener une contre-révolution. La première représentation excita un enthousiasme général, auquel s’était mêlé un intérêt politique. L’auteur reçut le lendemain un grand nombre de cartes de personnes de haut rang avec lesquelles jusqu’alors il n’avait eu aucune relation. « Chose singulière ! dit M. H. Lucas, à la seconde représentation, Fouché fit défendre à l’auteur de laisser prononcer les belles expressions d’Édouard : « Je ne bois à la mort de personne. » Est-ce que Napoléon Bonaparte, qui devait y assister, voyait par avance se lever une ombre sanglante du fond des fossés de Vincennes ? » L’acteur chargé du rôle substitua à ces mots une pantomime expressive : il brisa son verre. Bonaparte fut ému au premier acte ; mais, ayant remarqué les nombreux applaudissements qui partaient de la loge occupée par M. de Choiseul et d’autres émigrés, il crut voir dans ces applaudissements la manifestation de leur haine pour lui et de leur amour pour les Bourbons, et dans l’ouvrage un signe de ralliement. Informé des menaces du premier consul, Duval jugea prudent d’aller passer quelque temps dans sa famille. Il revint à Paris lorsqu’il supposa que la colère de Bonaparte s’était calmée ; mais bientôt les rigueurs exercées contre un de ses confrères (Dupaty), au sujet d’un opéra-comique, déterminèrent l’auteur d’Édouard à quitter la France. Il partit pour la Russie, où il séjourna quelque temps. « Ce que j’estime le plus dans la pièce nouvelle, écrivait le critique Geoffroy, c’est cette philosophie douce qui tend à détruire le fanatisme des opinions et des partis : sous ce point de vue, c’est un ouvrage vraiment utile à l’humanité. » — « Il y a dans ce drame de beaux sentiments, dit M. H. Lucas. L’hospitalité sainte y déploie comme un arc-en-ciel sur l’orage des partis. L’humanité, en un mot, supérieure aux passions politiques, revendique ses droits trop souvent méconnus pendant les crises terribles des révolutions. Cette haute philosophie n’empêcha pas Duval d’être persécuté par le premier consul, qui préludait alors à ses impériales destinées. Bonaparte vit dans l’exil de Charles-Édouard celui des Bourbons. Le retour des émigrés et une sorte de réaction qui se faisait en leur faveur effrayaient Bonaparte, et une œuvre conçue dans une intention tout à fait littéraire parut un acte d’opposition à son pouvoir ombrageux. La pièce fut défendue. » Le Moniteur du 5 ventôse an X reproduisit un article du Citoyen français où le journaliste, constatant le succès de la pièce, mais vitupérant les chercheurs d’allusions, vient à se demander : « Cependant qu’a de commun un personnage qui, abstraction faite de ses prétentions au trône d’Angleterre, a du courage, de la dignité, de la grandeur personnelle, avec un être qui, dans l’infortune même, a trouvé le secret de repousser, par sa conduite, l’intérêt que pouvait appeler sur lui le malheur ? Il n’y a que les copartageants de ces sentiments, endoctrinés par des écrivains dont le front ne sait point rougir, qui, ne pouvant faire mieux, saisissent à la comédie l’occasion de donner encore à leur roi de théâtre la consolation de quelques pitoyables applaudissements. »