Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/— IVe PÉRIODE. La commune depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours.

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (4, part. 3p. 747-748).

— IVe période. La commune depuis le XVIe siècle jusqu’à nos jours. «Je viens de passer cinq ans en Flandre. Là, j’ai vu de bonnes villes, bien riches, pleines d’habitants bien vêtus, bien logés, bien meublés, ne manquant de rien. Le commerce y est-grand et" les communes y ont de beaux privilèges. Quand je suis entré dans mon pays, j’ai vu, au -contraire, des maisons en ruine, des champs sans labourage, des hommes et des femmes en guenilles, des visages maigres et paies. C’est une grande pitié, et j’en ai l’âme remplie de chagrin... Je n’ai rien plus à cœur que de remettre le royaume dans ses anciennes libertés. •

Et ce disant, Louis XI, bourgeois de Paris, n’a rien plus à cœur que de démolir pièce à pièce, comme ses prédécesseurs, l’édifice communal.

La révocation des chartes ne date pas de Louis XI, pas même du règne des Valois. Elle remonte jusqu’à Philippe-Auguste. La com- raîiïied’Etampes fut supprimée en 1198, et, dans le siècle suivant, bon nombre d’autres eurent le même sort. Quelques villes ruinées par les guerres et devenues trop pauvres pour payer les redevances, telles que Soissons, Roye, Corbie, demandèrent elles-mêmes à être régies en prévôté ; mais, dans la plupart des autres, la commune fut détruite violemment pour cause d’abus. Il faut en convenir : les magistrats élus ne possédaient pas toujours les qualités, le zèle, le désintéressement, surtout les lumières nécessaires à leurs fonctions multiples et délicates. Puis les offices, en se perpétuant dans un petit nombre de familles, avaient créé pour les administrés un nouveau genre d’oppression, et plus d’une révocation rut parfaitement motivée sur des excès et des abus intolérables. Enfin le vent ne soufflait plus à la commune, et l’admission du tiers état aux conseils’généraux du royaume avait diminué leur importance. Quand la commune est maintenue, on restreint ses privilèges. Ici, on réduit le nombre des échevins ; là, on change le mode d’élection. Puis on leur enlève, par la création des élus répartiteurs, la compétence en matière d’impôts. On place leurs milices sous la main d’un lieutenant du roi. La haute police des villes est confiée au prévôt (ordonnance de Crémieu, 153c). Vient enfin la célèbre ordonnance de Moulins (156S), suivie de celles de Blois (1579) et de Saint-Maur (15S0), qui prive la commune de toute juridiction consulaire, civile et criminelle. L’échevinagè perd tout à fait son caractère de magistrature, et les communes entrent dans la période administrative de ieur existence, ou plutôt ce i(e sont plus des communes, mais des municipalités.

Il est de principe en France que les communes sont des personnes à l’état de minorité. Au point de vue historique, il serait plus juste de les considérer comme majeures, mais interdites.

En circonscrivant dans une sphère blus modeste.l’action des communes, les rois de France ont-ils abusé du pouvoir absolu ? Non, et, quelque partisan que l’on soit de la liberté, l’on ne saurait, eu égard au temps, leur adresser ce reproche. La création de l’unité nationale était à ce prix. Et comment fût-on parvenu à établir en France l’égalité civile ainsi que l’uniformité des lois administratives et judiciaires, si chaque commune, se retranchant •dans ses privilèges, franchises et coutumes particulières, eût opposé son veto aux mesures générales ? N’a-t-iï. pas fallu, dans le même but, briser les états provinciaux et la province elle-même, dont l’origine et l’existence n’étaient pas moins respectai îles ? L’Assemblée constituante de 17S’J l’a si bien compris plus tard, qu’en réformant les administrations municipales et en les ramonant toutes, petites ou grandes, aune règle commune, elle n’a jamais songé à leur rendre leur ancienne indépendance. Du reste, en rattachant au trône /les droits usurpés d’abord, concédés ensuite, mais imprescriptibles, les rois de France comprirent les devoirs nouveaux qu’ils venaient de s’imposer, et témoignèrent pour leurs pupilles une sollicitude plus éclairée, plus efficace surtout, que les administrations impuissantes auxquelles ils s’étaient substitués. Pour s’en convaincre, on n’a qu’à relire les nombreuses ordonnances du xvie et du xvne siècle, relatives aux biens communaux.

Ces propriétés de la famille communale, dont i’ôrigiiie sacrée se perd dans l’obscurité

COMM

747

des temps, ces pâtures, ces marais, ces forêts, ces droits d’usage, précieuse ressource de l’agriculture et patrimoine du pauvre, avaient été presque partout dérobés par.des hommes puissants ou imprudemment aliénés. De là de nombreux et inextricables procès, où les usurpateurs étaient juges dans leur propre cause. Une ordonnance de Charles IX (l5C0) mit fin à ce gaspillage, en renvoyant à ses baillis et sénéchaux la connaissante de tous les litiges. Henri IV autorisa les communes k rentrer dans leurs biens aliénés, et leur accorda un. délai pour en rembourser le prix. Louis XIV les sauva de la ruine en liquidant leurs dettes et consacra l’inaliénabilité de leurs domaines, ainsi que les droits d’usage dans les forêts, par ses célèbres ordonnances de 1607 et iacg. Si c’est là du despotisme, il faut convenir que la liberté n’eût pas fait mieux.

Trois siècles se sont écoutés depuis que les communes ont perdu leur caractère de corps politiques, et, sous l’ancien régime comme sous le nouveau, de nombreux changements sont survenus dans l’administration des municipalités. Mais si l’on en excepte certaines dispositions de la loi du 14 décembre 1789, de courte durée, qui, combinées avec celles de la loi d’organisation judiciaire du 24 août 1790, tendaient à ramener le régime des chartes, les communes n’ont plus été considérées que sous le double aspect de corps collectifs analogues à toutes les autres corporations laïques ou religieuses, collèges, hospices, fabriques, etc., et de districts ou fractions du territoire. Dé là les deux principes qui les régissent. A titre de communautés, elles s’administrent elles- Mêmes sous la surveillance de l’État, et, comme circonscriptions territoriales, elles sont soumises à l’action directe du pouvoir central ; rien de plus, rien de moins. On a publié et prononcé, a propos de l’organisation plus ou moins libérale des communes, des volumes et des discours par centaines, et 1a controverse n’est pas près de finir. C’est ce qu’on nomme de notre temps la grave question de la centralisation ou de la décentralisation administrative. De sa solution dépend l’avenir de l’esprit communal en France et même dans toute l’Europe ; car les institutions des peuples tendent visiblement à l’uniformité. Mais quel que soit, avec la variété des nuances, le système préféré, il ne viendra plus à la pensée de personne de restituer aux communes les pouvoirs politique, judiciaire et militaire qu’elles exercèrent pendant la période militante, et que né comporte plus l’existence actuelle des nationalités. La discussion ne roule plus que sur les deux points suivants :

Comment seront constitués les corps municipaux ? Quelles seront, en dehors de toutes fonctions politiques, l’étendue de leurs attributions et leur degré d’indépendance vis-à-vis de l’État ?

Jusqu’à la Révolution les administrations municipales, participant du désordre général, n’étaient guère soumises h des règles fixes. L’élection par.un corps de notables très-restreint (parfois une vingtaine de citoyens sur cenfinille) en formait la base ; mais ici les états provinciaux, là des princes apanagisfes, ailleurs le roi lui-même, nommaient les échevins. Vers la fin du règne de Louis XIV, Les offices furent mênie mis à l’encan, mesure plutôt bursale que politique, et qu’à son tour l’abbé Têrray n’eût eu garde de négliger. Nous ne parlons ici que des agglomérations de quelque importance. La riiasse des petites paroisses n’avait ni maires, ni échevins, ni conseillers. Les communautés rurales n’étaient régies que par des syndics à là dévotion des seigneurs. C’est cet état de choses si disparate que la grande assemblée réparatrice abolit, en décidant que « toutes les municipalités du royaume, étant.de même nature et sur la même ligne dans l’ordre de la constitution, porteront désormais le titre commun de municipalités. » (Instructions de l’Assemblée nationale sur le décret du 14 décembre 17S9.)

Annexes. Pour fuire connaître l’administration des grandes communes au moyen Age, nous donnons ci-après trois budgets, l’un de Bruges (1285), l’autre de Gand (1315], et le troisième de Florence (1330).

BUDGET DB LA COMMUNE DE BRUGES.

COMPTE DES RECETTES ET DES DEPENSES

DE I.’ANNÉE 1285.

Recettes. •

liv. fl. d«n.

1" Versement des banquiers

d’Arras 13,400 52 8

20 lieceptum ab orphanis.

Dépôt des deniers des mineurs

en «0 articles 6,044 10 S ’/i

De redeliltt ad vilain oèndito. Capitaux de rentes viagères à servir (20 rentes de

S0 liv. À 220 liv.) 3,494 » »

Jleceptum commune. Fermages, places et marchés,

ballet, cens foncier î,8C5 9 9

5° À6 emendis. Amendes

pour crimes, délits et contrutraventions..... 49 5 6

eo De burgagio. Droit de

bourgeoisie accordé à 19 personnes (1 de Lombardie, 3 de

Montpellier, l de Bayomle,

1 de Narbowle et l de Londres)... ; -.’. :: :... :. ::. 3 n’t

A reporter... 29,399

5 S 748 COMM

liv. b. den. Report... 20,359 5 2

7" De hansa. Entrée dans la hanse de Londres, au prix de 5 sous pour les fils de membres, et de 30 sous pour les étrangers (3 de la première catégorieet 13 de la deuxième catégorie) C7 » ■

80 De assista. Accises ; impôts sur diverses branches de commerce en 30 articles, bière, droit de balance, vin, miel, pain, tanneurs, boucliers, fabricants de toile de lin, pelletiers, forgerons, boulangers, tailleurs, bateliers, fruitiers, huiles, pêcheurs, barbiers, courtiers (makellariorutn) 25.G44 14 G

Total des recettes... 55,043 19 8

Dépenses.

lo Exlradatum Atrebaten- Ht. s. den. sib us pro «suris. Intérêts payés aux banquiers d’Arras, surtout à Baudouin, Crespin... 10,435 14 G

20 Pro ei/uitatione. Frais de route des échevins, baillis, etc. — 67 voyages à Winendale, résidence du comte de Guy ; à Lille, à Damme, etc. 628 4 6l

30 Nuntiis. Messagers, 125 articles 4G 14 l

40 Commune. 200 articles de dépenses diverses, telles que salaire, frais de construction, clergé, etc. (Le bourgmestre y figure pour 20 liv.) 23,520 18 3

50 Dépenses spéciales. Pro opère fi allœ causa sy/lodi, etc. 1,225 ’/»

60 pro' redditu ad vitam. Canons de rentes viagères, presque toutes modiques, deux senlementde31511v, à 180 liv. 2,200 48 3

Orphanis. Intérêts et remboursement aux mineurs 9,982 15 11

Total des dépenses... 54,830 14 5

Dettes restant à payer à la fin de l’année. Savoir :

liv. b. den..

Rentes viagères 2,073 19 3

Aux mineurs 42,691 » 7

Pour emprunts aux banquiers d’Arras 43,287 18 •

Les années arriérées sont insignifiantes.

"Nota. On voit par les intérêts payés aux banquiers d’Arras, comparus aux sommes dues, quu le taux en était de 25 à 30 pour 100.

BUDGET DB LA COMMUNS DE GAND.

COMPTE DKS RECETTES ET DES DEPENSES

DE L’ANNÉE 1315.

Recettes.

liv. s. den.

1° Maitôte sur les vins... ■ 16,085 16 » 2° Ferme des portes de la

ville (octroi) 15,706 13 6

3° Ferme de la bière.... 5,020 » •

4» Ferme du blé 3,820 7 5

5° Ferme d.es tourbes.... 3,116 • > 6° Marché au poisson et

boucherie 1,724 13 8

7» Rames pour étendre les

draps 4,611 8 6

Su Changeurs 1,080 » •

9° Débiteurs 449 10 •

10» Diverses 4,019 11 10

Total 60,011 17 8

Dépenses.

10 Extinction des dettes de Ht. s. den. la ville (52 articles) 35,938 17 6

2° Coût de l’expédition de vingt-deux jours’devant Lille 739 15 2

3° Frais de voyages, à Paris, vers le comte, etc 3,119 16 •

4° Don de courtoisie à Mgr Louis, fils du comte, et prêts aux petits receveurs, pour faire les présents et payer les ouvriers de la ville (usure déguisée). 13,207 2 g

5° Livrées et pensions (traitements) 6,520 5 6

6° Menus frais, dépenses, salaires de messagers, frais d’actes, de bureaux, et chauffage des échevins (130 art.). 3,269 8 9

Total 65,795 5 1

Nota. 3 liv. de parement au cours de 1314 équivalent a 20 fr. de notre monnaie.

BUDGET DB LA VILLE.DE FLORENCE DE L’ANNÉE 1336.

(La ville comptait alors 150,000 habitants.) Recettes.

Gabelle des portes, ou droits d’en- florins, trée sur marchandises et vivres, affermée 90,200

Gabelle sur la vente du vin en détail (1/3 de sa valeur) 59,300

Estima ou impositions foncières sur les campagnes 30,100

Gabelle du s’el vendu 40 sols le boisseau aux bourgeois, et 20 sols aux paysans 14,450

A reporter... 194,050

COMM

florins.

Report... 194,050

Revenus des biens des rebelles, exilés et condamnés 7,000

Gabelle sur les préteurs et usuriers 3,000

Redevances des nobles possessionnés sur le territoire 2,000

Gabelle des contrats (hypothèques) 11,000

Gabelle des boucheries pour la ville 15,000

— — pour la campagne 4,400

Gabelle des loyers. 4,050

— de la farine et des moulins 4,250 Tmpôt sur les citoyens nommés podestats en pays étranger 3,500

Gabelle des accusations 1,400

Profit sur le monnayage des espèces d’or ". 2,300

Profit sur le monnayage des espèces de cuivre 1,500

Rentes des biens-fonds de la communauté et péages 1,000

Gabelle sur les marchands de bétail dans la ville 2,150

Gabelle à la vérification des poids et mesures 600

Immondices et loyers des vases d’Orto-San-Miehole 750

Gabelle sur les loyers de Va campagne 550

Gabelle des marchands des campagnes 2,000

Amendes et condamnations dont on obtient le payement 20,000

Défauts des soldats, pour exonération 7,000

Gabelles des portes de maisons, à Florence 5,550

Gabelle sur les fruitiers et revendeuses 450

Permissions de ports d’armes à 20 fl. par tétfi 1.300

Gabelle de/i sergents. 100

— des bois flottés sur l’Arno. 100

— des réviseurs des garanties données à la communauté 200

l’art de l’État aux droits perçus par les consuls des arts 300

Gabelle sur les citoyens dont l’habitation est à la campagne 1,000

Avec diverses autres recettes, le total dépasse 300,000

Dépenses.

livres. Salaire du podestat et de sa famille 15,240 Salaire du capitaine du peuple et de

sa famille 5,880

Salaire de l’exécuteur de l’ordonnance de justice 4,900

Salaire du conservateur avec 50 chevaux et 100 fantassins (office qui dura

peu). 26,040

Juge des appellations...’ 1,100

Ofhcier chargé de réprimer le luxe

des femmes 1,000

Officier chargé du marché d’Orto San-Michele N 1,300

Officier chargé de la solde des

troupes 1,000

Officier chargé des pa3’es mortes

des soldats 250

Trésoriers de la communauté, leurs

officiers et notaires 1,400

Office des revenus fonciers de la

communauté. 200

Geôliers et garde des prisons...., 800 Table des prieurs et de leur famille

au palais 3,600

Salaire des douzets de la communauté et des gardiens des tours des

prieurs 550

60 archers et leurs capitaines au service des prieurs et du podestat... ’ 5,700 Notaire des réformations avec son

aide 450

Salaire des archers et huissiers... 1,500 Trompettes de la communauté., . 1,000 Aumônes aux religieux et hôpitaux 2,000 600 gardes de nuit dans la ville... 10,800 Drapeaux pour les fêtes et pour les

courses de chevaux 310

Espions et messagers de la commune 1,200

Ambassadeurs 15,500

Châtelains et gardes des forteresses 12,400 Approvisionnement annuel d’armes et de flèches 4,650

Total des dépenses 121,270

faisant 39,119 florins à 3, livres 2 sous pour 1 florin.

Les travaux publics : murs, ponts, églises, etc., forment la dépense extraordinaire, avec la solde des condottieri (700 gendarmes et autant de fantassins).

La valeur de l’urgent était quadruple de celle de nos jours. Les souverains de l’époque étaient, pour la plupart, moins riches que la ville de Florence.