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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/ALSACE-LORRAINE, province d’Allemagne (supplément 1)

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Administration du grand dictionnaire universel (16, part. 1p. 113-114).

ALSACE-LORRAINE, province d'Allemagne, relevant directement de l’empire et cédée par la France en 1871. Elle comprend : l'ancien département du Haut-Rhin ; celui du Bas-Rhin, moins les cantons de Belfort, de Delle et de Giromagny, moins 21 communes du canton de Fontaine, 4 de celui de Massevaux, 3 de celui de Dannemarie ; le département de la Moselle, moins les cantons de Conflans et de Longuyon, 12 communes du canton de Gorze, 17 de celui de Briey, 24 de celui d’Audun-le-Roman, 25 de celui de Longwy ; les arrondissements de Sarrebourg et de Château-Salins (Meurthe) presque entiers et, dans le même département, le canton de Schimerck, ainsi que 7 communes de celui de Saales, dans les Vosges. Superficie, 14,512 kilom. carrés. ; 1,529,408 hab. Chef-lieu, Strasbourg ; villes principales, Colmar et Metz.

- Géographie physique. Les détails donnés sur les départements français dont se compose l’Alsace-Lorraine actuelle nous dispensent d’entrer à ce sujet dans aucun détail. V. Rhin (Haut-), Rhin (Bas-), Moselle, Meurthe.

Les établissements industriels des départements qui ont concouru à former l’Alsace-Lorraine étaient de premier ordre. Il nous suffira de rappeler les usines métallurgiques de la haute Alsace et de la Lorraine ; les fabriques d’acier, les manufactures d'armes, la quincaillerie de la basse Alsace ; la verrerie, le faïencerie, les toiles, les cuirs et les liqueurs de la Lorraine ; enfin et surtout les filatures de la haute Alsace. Tel était, en somme, le bilan de cette industrie alsacienne, qui plaçait ce beau pays à la tête de l'activité humaine, tout à la suite ou à côté des districts les plus industrieux de la Grande- Bretagne. Les tristes événements de 1870- 1871 ont entassé dans ce riche pays des ruines qui seront longues à relever. Outre les désastres immédiats causés par l'occupation étrangère, l’Alsace-Lorraine a subi les terribles suites de l'incorporation à l'empire allemand : des masses d’ouvriers ont déserté le sol natal pour échapper aux conséquences de l'annexion ; des industriels, et non des moindres, ont transporté au delà des nouvelles frontières les industries qui avaient fait la fortune de leur pays natal. Pour combler ces vides, l’autorité allemande n’a rien négligé. Des masses d’Allemands, attirés par des promesses magnifiques, se sont précipités sur l'Alsace-Lorraine. Les bras ont abondé ; les capitaux ne sont pas restés sourds à ces appels désespérés. Mais des bras, même soutenus par des capitaux, ne suffisent pas pour rendre le vie à un pays qui l’a perdue. Les nouveaux industriels et commerçants grands et petits se heurtèrent à l’indifférence ou plutôt à la répugnance publique, et ceux qu'avait attirés l'espoir de partager la richesse de l’Alsace-Lorraine se trouvent aujourd'hui (1877) réduits à partager sa misère, aggravée pour eux par l'isolement dédaigneux où les laisse la population indigène.

- Organisation politique et administrative. La première question qui préoccupa les Allemands, quand les traités les eurent mis en possession de l’A1sace-Lorraine, fut celle-ci : à quel titre le pays conquis entrera-t-il dans le confédération germanique ? Trois systèmes étaient en présence : les prussophiles demandaient qu’on incorporât purement et simplement la nouvelle province à la Prusse, sans se préoccuper des jalousies qu’on pourrait ainsi soulever dans les autres États allemands, habitués, mais non encore résignés à se voir sacrifier à la Prusse ; les particularistes, dont le parti est dompté, mais non détruit en Allemagne, voulaient que l’Alsace- Lorraine composât un État indépendant, et c'était le système qui paraissait préférable aux Alsaciens-Lorrains eux-mêmes, désireux de n'être prussifiés ou germanisés que le moins possible ; malheureusement, les aspirations des vaincus furent ce que l’on consulta le moins dans toute cette affaire ; M. de Bismarck, qui avait renoncé, dès l'origine, à germaniser les Alsaciens-Lorrains par la persuasion, et qui ne se faisait aucune illusion sur les sympathies que son gouvernement pourrait conquérir dans le pays annexé, fit prévaloir un tiers parti, l'annexion directe à l'empire. Les raisons qu'il donna de son opinion, remarquables par ce ton de franchise à la fois brutale et railleuse qui caractérise son éloquence, méritent d'être rapportées. Voici comment il s'exprimait, dans la séance du Reischtag du 3 juin 1871 : « Je crois que les habitants de l’Alsace s’assimileront plus parfaitement le nom d’Allemands que celui de Prussiens. Pendant les deux siècles que les Alsaciens ont appartenu à la France, ils ont, en vrais Allemands, gardé une bonne dose de particularisme, et c'est sur ce fondement qu'à mon avis nous devons bâtir. À l'encontre de ce qui s’est fait dans des circonstances analogues dans l'Allemagne du Nord, nous avons pour mission de fortifier tout d'abord ce particularisme. Plus les habitants de l'Alsace se sentiront Alsaciens, plus ils se déferont de l’esprit français ; une fois qu’ils se sentiront complètement Alsaciens, ils sont trop logiques pour ne pas se sentir aussi Allemands. Par suite des artifices, je puis bien dire des intrigues, du gouvernement français, le nom de Prussien est détesté en France, en comparaison de celui d'Allemand. C'est une vieille tradition, dans ce pays, de ne pas reconnaitre les Prussiens comme Allemands, de flatter les Allemands comme tels et de les représenter comme sous la protection de la France vis-à-vis de la Prusse ; et, de la sorte, il est advenu que le nom prussien a presque quelque chose de froissant en France, et, chaque fois qu’on y veut dire du mal de nous, on dit : « Le gouvernement prussien ou les Prussiens, » tandis qu'on dit : « Les Allemands, » s’il s’agit de nous reconnaître quelque chose de bon. Il n’y a guère à douter qu’en Alsace cette politique de suspicion contre la Prusse, pratiquée par la France pendant toute une génération, n’ait laissé des traces... Quant à ce qu’il y aura à faire plus tard dans l'intérêt de l'empire et de l'A1sace, je pense qu'avant tout il faudra entendre les Alsaciens et les Lorrains eux-mêmes. »

Bien que M. de Bismarck ne conclût pas alors à l'autonomie de l’Alsace-Lorraine, déduction logique de son argumentation, on pouvait croire qu'il n'y était pas opposé en principe, et il a, plus tard, fait l'aveu que telle était d’abord sa pensée, mais en ajoutant qu’il en avait changé.

L'Alsace-Lorraine est donc, comme le demandait M. de Bismarck, directement annexée à l'empire ; elle est administrée par un président supérieur d'Alsace-Lorraine (gouverneur), dont le siège est à Strasbourg, et qui est assisté d'un conseil supérieur, dit « conseil impérial, » nommé par les conseils de district. La province comprend trois districts, administrés par des préfets : Haute- Alsace, chef-lieu Colmar ; Basse-Alsace, chef- lieu Strasbourg ; Lorraine, chef-1ieu Metz. Les districts sont divisés en 19 cercles (arrondissements), administrés par des directeurs. Chaque division territoriale nomme un conseil spécial ; la province, le conseil impérial ; le district, un conseil de district ou Bezirkstag ; le cercle, un conseil de cercle ou Kreistag ; la commune, un conseil municipal. L'Alsace-Lorraine est, en outre, divisée en 15 circonscriptions électorales, nomment chacune 1 député au Reichstag ; mais ces circonscriptions, dont le nombre est d'ailleurs exactement conforme aux prescriptions de la constitution, sont découpées un peu à la manière des circonscriptions françaises du temps de l’Empire, c’est-à-dire d’une façon arbitraire et indépendante du chiffre relatif de la population. La Haute-Alsace nomme 5 députés, la Basse-Alsace 6 et la Lorraine 4.

L’instruction a conservé à peu près l'organisation qu’elle avait sous l’Empire. Toutefois, l'instruction primaire est devenue obligatoire, la langue allemande a été imposée même aux écoles libres des communes où l’on parle généralement allemand (large place à l'arbitraire) et une grande université allemande a été fondée à Strasbourg. La Justice a gardé aussi, à peu de chose près, son ancienne organisation. Des tribunaux de 1ère instance sont établis à Metz, Sarreguemines, Strasbourg, Saverne, Colmar et Mulhouse. La cour d'appel siège à Colmar. On peut appeler des sentences des tribunaux de commerce à la cour suprême de Leipzig. Les offices vénaux de notaires, d’avoués, etc., ont été rachetés par l'État, et les propriétaires ont été indemnisés. Les chemins de fer appartiennent à l'empire. Le monopole du tabac a été supprimé.

Le gouvernement allemand, parmi les moyens qu’il se proposait d'employer pour gagner les cœurs en Alsace-Lorraine, a fait sonner très-haut une promesse de réduction de l'impôt. La suppression du monopole du tabac pouvait faire quelque illusion à cet égard, puisque, s’il faut en croire les calculs allemands, il constitue à lui seul un dégrèvement de 5 fr. 50 par tête. Mais les chiffres du budget sont éloquents à ce sujet et très-propres à détruire les illusions chez les personnes qui s’en étaient fait. Conformément au système allemand, chaque circonscription administrative a son budget propre. Le budget général de l’Alsace-Lorraine était, en 1875, en recettes et en dépenses, de 36,281,757 francs, et, en 1876, il montait à 54,776,623 francs. Quand ces chiffres furent discutés au Reichstag, un député d'Alsace-Lorraine fit observer avec amertume qu’un pareil budget était dressé non en faveur de 1’Alsace-Lorraine, mais au profit de l’empire. M. de Bismarck en convint tout de suite, et il ajouta que les soldats allemands n’avaient pas versé leur sang pour l'Alsace-Lorraine. Ceux qui avaient compté sur le dégrèvement de l’impôt savent désormais à quoi s'en tenir sur les intentions paternelles du gouvernement central.

L'Alsace-Lorraine doit fournir 11 bataillons à la landwehr. On a pris soin, contre l'usage reçu en Allemagne, de les annexer à des corps d'armée étrangers à la province.

- Histoire. L'histoire de 1'Alsace-Lorraine est courte, mais douloureuse. Elle commence à VersaiIles, le 15 octobre 1870, par un décret du roi de Prusse, général en chef des armées allemandes, dont le premier article est ainsi conçu : « Quiconque rejoint les forces françaises est puni d’une confiscation de ses biens actuels et futurs et d'un bannissement de dix années. » L'A1sace-Lorraine, virtuellement unie dès lors au futur empire, était désormais empêchée de prendre part à la défense de cette patrie qui, dans la pensée déjà arrêtée de ses vainqueurs, ne devait plus être la sienne. Cette intention, nous ne la prêtons pas gratuitement aux conseils de Guillaume, et quand Bismarck, interprète des volontés de son maître, se trouva en présence de J. Favre, à Ferrières, il ne la déguisa pas un seul instant : « Il nous faut, dit-il, la clef de la maison. » Avec sa façon habituelle d’aller droit au but, il ne s’amusa. pas à des détours, il ne s’arrêta pas à invoquer le principe des nationalités dont on avait tant abusé avant lui : il réclama l’Alsace-Lorraine comme nécessaire à la sureté de l'empire. Il montrera plus tard la même roideur, la même netteté quand, au nom des droits des populations, on lui demandera de consulter les pays conquis sur la question de leur annexion à l’empire.

La cession de l'Alsace-Lorraine fut consentie par le gouvernement français dans les préliminaires de paix signés le 26 février 1871 et définitivement arrêtés par le traité de Francfort (10 mai 1871). Le 8 février, conformément à un article de l'armistice signé avec les Allemands, les Alsaciens-Lorrains avaient eu l'occasion de faire une imposante manifestation ; elle leur avait été fournie par les élections du 8 février 1871. Ces élections furent, dans les pays conquis, ce qu'elles auraient dû être dans le reste de la France, éminemment républicaines : sur 40 élus, 36 appartenaient au parti démocratique, et Gambetta était élu dans les quatre départements dont la perte totale ou partielle était déjà décidée. Les Alsaciens-Lorrains se montrèrent, ce jour-là, animés du véritable sens patriotique.

Les Alsaciens-Lorrains étaient Allemands en vertu de la force, qui prime le droit, comme on sait. Ce principe, énoncé par M. de Bismarck, étonna et indigna quelque peu le monde, et cette indignation fait l'éloge de notre siècle, qui, épris de la justice, semble résolu à mettre le droit au-dessus de la force ; quant aux siècles passés, ils n'ont jamais expérimenté que le terrible axiome de l'homme d'État prussien. M. de Bismarck n’a pas beaucoup compté sur le temps pour opérer l'assimilation des Alsaciens-Lorrains ; mais, en revanche, il a pleine confiance dans la force pour dompter les esprits, s’i1 ne peut gagner les cœurs. Il fut résolu, par ses conseils, que l'Alsace-Lorraine ne serait assimilée que progressivement au reste de l'empire ; qu'elle garderait provisoirement les institutions qu'elle tenait de la France ; que la constitution allemande ne lui serait appliquée qu’en 1873 (cette date fut, plus tard, reculée jusqu’en 1874). En attendant, 1'empereur Guillaume allait exercer sur le pays une véritable dictature. L'Alsace-Lorraine avait pu croire un instant qu’elle pourrait conserver encore quelques années les administrateurs auxquels elle s’était habituée ; mais elle apprit bientôt que le serment de fidélité à l'empereur Guillaume était imposé à tous les administrateurs, magistrats et employés ; c’était un moyen sûr de la livrer à l'administration et à la magistrature allemandes ; car il devait se trouver, dans ce pays exaspéré, bien peu d’hommes capables de jurer fidélité à l’empereur d'Allemagne. Ce fut la démission en masse. Huit magistrats seulement, sur presque deux cents, osèrent faire ce cruel sacrifice à leur situation. D’autre part, les députés envoyés à l'Assemblée nationale se retirèrent solennellement quand cette assemblée eut fait à la paix le sacrifice de leur patrie (1er mars 1871).

La dictature de Guillaume ne s'exerçait pas absolument sans contrôle ; il devait prendre l'avis du conseil fédéral en matière législative et celui du Reichstag en matière d’emprunt ; mais l'Alsace-Lorraine ne pouvait compter que les votes du conseil fédéral et du parlement allemand lui seraient plus favorables que la volonté absolue de l’empereur ; elle craignit, non sans cause, de rencontrer dans les deux assemblées une haine plus aveugle, un germanisme plus étroit que dans le gouvernement même de Guillaume.

Toutefois, le gouvernement impérial, dans le traité de Francfort, avait fait à l'opinion publique un semblant de concession, sur lequel les A1saciens-Lorrains se croyaient encore en droit de fonder quelque espérance. L’article 2 de ce traité est ainsi conçu : « Les sujets français originaires des territoires cédés, actuellement domiciliés sur ces territoires, qui entendront conserver la nationalité française, jouiront jusqu'au 1er janvier 1872 et moyennant une déclaration préalable faite à l'autorité compétente, de la faculté de transporter leur domicile en France et de s'y fixer, sans que ce droit puisse être altéré par les lois sur le service militaire, auquel cas la qualité de citoyen français leur sera maintenue ; ils seront libres de conserver les immeubles situés sur le territoire réuni à l’Allemagne. » Le même délai fut accordé pour l’option aux Alsaciens-Lorrains établis en France et dans les pays d’Europe autres que l'Allemagne ; il fut prorogé, pour les pays hors d'Europe, jusqu’au 1er octobre 1873.

On a beaucoup épilogué sur cet article du traité. On s’est demandé jusqu'à quel point il imposait, comme condition de l'option, la nécessité de l’émigration pour les Alsaciens-Lorrains domiciliés dans leur pays d'origine. Cette condition est exprimée, d'une façon un peu enveloppée peut-être, dans le traité, mais elle y est. Les optimistes affirmaient que l'Allemagne n’userait pas de ce droit rigoureux. Quand ses intentions furent bien connues à cet égard, l'émotion fut grande dans les pays annexés. Les déclarations d’option affluaient auprès des administrateurs allemands, au point qu'ils ne trouvaient plus le temps matériel de les recevoir. Mais beaucoup de ces braves gens, si résolus de ne jamais appartenir à l'Allemagne, devaient être retenus sur son territoire par l'impossibilité de s’expatrier. D’autre part, un dissentiment assez grave se fit jour parmi les partisans les plus décidés de la nationalité française. Abandonner le pays, laisser combler par des immigrants allemands les vides qu’on allait faire derrière soi, n'était-ce pas le plus sûr moyen de germaniser le pays et de faire, comme on disait alors, le jeu de Bismarck ? Nous ne savons ; mais, en tout cas, M. de Bismarck ne semblait pas vouloir jouer son jeu de cette façon, et il mettait tout en œuvre pour diminuer autant que possible le nombre des émigrants. Malgré tout, cependant, le pays se dépeuplait sensiblement ; les routes étaient couvertes, les gares encombrées de gens, pauvres ou riches, qui s’expatriaient volontairement. On crut tout d’abord à une dépopulation en masse ; il a fallu en rabattre plus tard, et nous sommes loin, aujourd'hui que les résultats sont connus, des chiffres annoncés dans le premier moment. Un premier fait pouvait fournir une donnée approximative sur le nombre des expatriés : la population de 1’Alsace-Lorraine, qui était en 1871 de 1,549,738 habitants, n'était plus en 1875 que de 1,529,408 habitants. C'est une différence de plus de 20,000 habitants, à laquelle il faudrait ajouter les émigrations déjà très-nombreuses que la guerre avait provoquées à la date du premier recensement. Quant aux options effectives, c'est-à-dire suivies d'émigration, le relevé officiel les fixe à 47,650 Alsaciens et 20,750 Lorrains, soit, en tout, 68,400 options effectives. 230,000 Alsaciens-Lorrains, domiciliés en France, ont également opté pour la nationalité française. Les déclarations d'option s’étaient élevées, en 1872, au chiffre de 374,346. La petite ville de Bischwiller a compté à elle seule 2,000 émigrants et 8 filatures fermées. Metz a perdu, par le fait de l'option, 2,700 habitants.

Ce grand mouvement fut régularisé et en partie favorisé par plusieurs associations, qui se formèrent en France en faveur des Alsaciens-Lorrains, et parmi lesquelles il faut citer la Ligue d’Alsace, qui subsiste encore et qui continue à veiller avec sollicitude sur les émigrants. Le gouvernement lui-même s’émut de la situation qui allait être faite aux optants par leur dévouement à la France. Une loi fut votée, le 21 juin 1871, qui accordait aux émigrants en Algérie 50,000 hectares de terrain au nord de Constantine. Ce territoire est aujourd’hui (1877) occupé par 397 familles, comprenant 1,936 personnes, et cette petite Alsace algérienne, établie dans 28 villages, est en pleine prospérité. D’autre part, l'industrie et le commerce parisien ont fait à nos malheureux compatriotes un accueil des plus fraternels, et il a presque suffi, dans ces dernières années, d’arriver de l'Alsace pour trouver dans la capitale une situation avantageuse.

Cependant, en Alsace-Lorraine, les évènements suivaient leur cours. La date précédemment fixée (1er janvier 1874) mettait fin à la dictature, mais non pas à l’état de siège, dont M. de Bismarck proclamait encore la nécessité. La constitution allemande était appliquée aux pays annexés. Les élections qu’elle ordonne avaient lieu. Ici, nous ne pouvons éviter de noter une grave erreur commise par l'Alsace-Lorraine, erreur qu’elle risque d’expier longtemps encore. La Prusse, au moment de ces élections, était en pleine lutte avec le parti clérical ; par une réaction naturelle, et où la politique et le patriotisme n’avaient pas nécessairement une part, le clergé catholique d’Alsace-Lorraine combattait, au nom de l’idée française, le gouvernement de M. de Bismarck. L’ardeur naturelle au cléricalisme, quand il est menacé dans ses positions, fit illusion aux patriotes alsaciens-lorrains ; ils virent des coreligionnaires politiques dans les défenseurs du Syllabus. Les élections de 1874, auxquelles 242,063 citoyens prirent part, sur 315,000 inscrits , donnèrent au parti dit « français » 191,782 voix ; mais, en réalité, c’était le parti clérical qui avait remporté une éclatante victoire. Ce résultat était fait pour irriter M. de Bismarck, mais non pour satisfaire la démocratie. Les Alsaciens-Lorrains ne devaient pas tarder à se repentir de leur faute. Dans une séance du Reichstag demeurée fameuse, après une déclaration digne et énergique de M. Teutsch, M. Raess, archevêque de Strasbourg, dont on connaissait, du reste, les relations avec le président de l'Alsace- Lorraine, crut pouvoir monter à la tribune et déclarer que lui et les catholiques de son diocèse acceptaient sans arrière-pensée les conséquences du traité de Francfort, c’est- à-dire, pour qui sait comprendre, la nationalité allemande. On savait déjà que les cléricaux n’ont pas de patrie sur la terre ; l'Alsace-Lorraine est cruellement punie pour l’avoir oublié. Ce coup inattendu a, non pas refroidi la démocratie française, mais doublé les regrets qu’elle éprouve de la perte de nos provinces. Elle attend, d'ailleurs, avec confiance une nouvelle épreuve, persuadée que l'expérience du passé suffira pour faire perdre au cléricalisme, dans l'Alsace-Lorraine, les fruits de ce triomphe momentané, qu’il attribue aux sympathies dont il serait l'objet dans le pays, mais qu’il doit, en réalité, au patriotisme des habitants, un instant égaré.