Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/A travers la vie (pittié) (supplément 2)

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Administration du grand dictionnaire universel (17, part. 1p. 393).

A travers la vie, par Francis Pittié (1885, in-18). Le général Pittié avait déjà publié un livre de poésies, qui avait pour titre : le Roman de la vingtième année. Pour donner l’idée exacte de l’inspiration qui dans A travers la vie anime le soldat-poète, il suffirait au besoin de faire un court emprunt au début et à la fin de ce nouveau livre. « Quelque jugement qu’on porte sur mon œuvre, dit-il dans sa préface, on y pourra constater, pendant une période de plus de trente années, la recherche ou la poursuite obstinée de l’idéal. » Puis, en adressant au pays des chimères son dernier hommage et son dernier voeu, il dit à la France :

Chevalier de la lyre, apôtre de l’épée,
Je veux, soldat armé pour l’honneur de ton nom,
Comme un vivant emblème unir sur mon pennon
Les fleurs de la légende aux fleurs de l’épopée.


Nous voilà donc prévenus : notre poète cherche l’idéal « à travers la vie ». Jeune, il le demande à l’art et à l’amour ; homme fait, il l’attend de la philosophie. L’amoureux était charmant, l’artiste délicat, le philosophe se montre mélancoliquement résigné :

Mai sur l’épaule des collines
Répand les fleurs comme un décor :
Cloches, ô cloches cristallines,
Cloches du cœur, sonnez encor

Juillet a mûri les javelles :
Gai, les longs soirs et les beaux jours !
Volez vers les amours nouvelles,
Ailes du cœur, toujours ! toujours !

L’hiver vient ; la nuit va descendre ;
Novembre embrume les sommets :
Flammes du cœur, faites-vous cendre !
L’amour est mort, et pour jamais.


Mais, au-dessus de ses incarnations diverses, un autre homme se dégage et les domine toutes : le patriote et le soldat va jusqu’à reprocher au poète d’avoir trop longtemps rêvé :

Certes, j’ai tendrement et paresseusement
Bercé mon faible cœur aux cadences des rimes ;
Épris des vals profonds et des neigeuses cimes,
O désert, j’ai goûté ton mol enivrement.
Hantant des lacs muets les tristesses sublimes,
Ou remplissant les bois du bruit de mon tourment,
J’ai tenté d’oublier, ne fût-ce qu’un moment,
La terre, impur jardin où fleurissent les crimes.


Mais ramené soudain à la réalité :

— Quoi ! me suis-je écrié, tandis qu’a mon côté,
Sous la fer des méchants, la vertu terrassée
S’épuise en vains efforts, et pleure et se débat,
Pour des rêves sans but j’oubliais le combat ?
Ceins le glaive vengeur, ô Muse courroucée !


Parfois le vers du général Pittié prend une solennité tragique, et se hausse jusqu’à devenir, sans effort, superbement épique. Tel est, par exemple, le morceau intitulé : la Colère de Pallas :

Dans la forêt immense et sinistre, parmi
Le frémissant amas des chênes centenaires,
D’un tragique sommeil je m’étais endormi.

Par delà les confins des orbites lunaires.
Rayant le sombre azur d’aveuglantes clartés,
Dans le ciel bas et lourd roulaient de sourds tonnerres.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Sur un char, d’où parfois un rouge éclair s’élance
L’immortelle Pallas m’apparut tout à coup,
Dans sa droite crispée étreignant une lance,

Ceinte du glaire, altiére, héroïque, debout ;
Du casque flamboyant dont se revêt sa tète
La crinière flottait éparse sur son cou, etc.


Nous mentionnerons encore, parmi les plus belles pièces du volume : les Martyrs, A Gambetta, Fides, Béatrice, Souvenir impérissable, le Voyage de la Vierge, etc. Enfin, nous citerons une dernière poésie, où malheureusement le général ne s’est montré que trop bon prophète :

Je m’épouvante du spectacle
De ce monde méchant et laid.
Où, du maître jusqu’au valet.
Tout à la vertu fait obstacle.

Par quelque impossible miracle,
Si Dieu ne nous sauve, en effet,
O France, ô France, c’en est fait,
Et voici l’horrible débâcle.

L’écume aux dents, la flamme aux yeux,
Pareils à des loups furieux,
Tes fils ensanglantent tes rues.

O honte ! et pendant ce temps-là,
J’entends dans les brumes accrues
Hennir les chevaux d’Attila.


Cette pièce est datée de janvier 1870.