Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Attila
ATTILA, surnommé le Fléau de Dieu, roi des Huns en 434, d’abord conjointement avec son frère Bléqa, dont le meurtre le rendit, en 442, le seul chef de toutes les hordes de Huns qui erraient dans les vastes contrées au nord du Pont-Euxin et du Danube. Ces peuples le considéraient comme le plus intrépide de leurs guerriers ; bientôt il leur inspira un enthousiasme superstitieux, en feignant d’avoir trouvé une épée divine (l’épée était le symbole de leur divinité). Vainqueur du monde barbare, qu’il voulait tout entier précipiter sur les deux empires romains, Attila commença ces grandes expéditions qui semblaient devoir submerger la civilisation antique, dévasta l’Europe du Pont-Euxin a l’Adriatique, soumit les empereurs d’Orient et d’Occident à un tribut annuel et aux plus avilissantes sujétions, s’avança, en 451, à travers la Germanie, franchit le Rhin, et promena la flamme et le fer dans la Gaule épouvantée. Aétius, général de Valentinien III, sauva ce qui restait de l’empire romain d’Occident, en liguant tous les barbares qui campaient dans les Gaules, et en écrasant le formidable chef des Huns aux plaines Catalauniques, près de Chalons-sur-Marne (451). Attila repassa le Rhin, se jeta l’année suivante en Italie, anéantit Aquilée et d’autres villes, et s’avança jusqu’à Rome, qui fut sauvée par les prières et les négociations du pape saint Léon. Le barbare se contenta, pour cette fois, de l’or qu’on lui prodigua et regagna ses campements du Danube, toutefois, en menaçant de revenir si on ne lui donnait la main d’Honoria, sœur de Valentinien (qui lui avait envoyé secrètement son anneau), avec la moitié de l’empire pour dot. C’est pendant cette invasion que les habitants de la Vénétie, fuyant devant les Huns, se réfugièrent dans les lagunes de l’Adriatique, d’où sortit Venise. Attila mourut en 453, au milieu des orgies d’un nouveau mariage. Son vaste empire fut démembré. Le conquérant barbare se regardait, dit-on, comme l’instrument des vengeances divines, comme le fléau de Dieu ; il mettait sa gloire à inspirer la terreur au monde : « L’herbe ne croit plus, disait-il, où mon cheval a passé. »
Le célèbre roi des Huns n’est pas toujours désigné sous le nom d’Attila ; cette dernière forme nous est venue probablement des historiens grecs, qui l’appellent en effet, Attila ou Attelos ; en Allemagne, il était populaire surtout dans les anciennes légendes, sous le nom d’Etiel ; il est très-probable que ces deux noms, Etzel et Attila, n’en faisaient qu’un seul au commencement, et que ce sont deux prononciations différentes du même mot. Plusieurs opinions contradictoires ont été émises sur l’origine de ce mot. Les uns prétendent que Etzel n’est que la corruption d’Attila, et qu’Attila, à son tour, est un diminutif régulièrement formé du gothique Atta, père : c’eût été non pas un nom propre, mais un surnom honorifique, comme la plupart des nations primitives en donnent à leurs chefs. Mais il semble assez étrange qu’un roi un ait reçu un titre emprunté à la langue gotique ; cependant on peut admettre que les Goths, qui entrèrent les premiers en relation avec le fléau de Dieu, traduisirent dans leur langue le surnom honorifique du roi, qui signifiait peut-être père, dans l’idiome hunnique, et que ce nom germanisé servit dès lors chez tous les peuples européens à désigner Attila. Du reste, dans les anciens poëmes germaniques et Scandinaves, on voit déjà le roi hun figurer sous les noms de Aetta, Atli ; on trouve même dans une poésie nordique le passage suivant, dans lequel l’auteur joue sur le mot Attila ; Atli ek heiti atall skall ek ther wera (ce qui correspond mot pour mot à l’allemand : Atli ich heiss, atall (scharf) ich dir werden), c’est-à-dire : Je m’appelle Atli, et je te serai terrible (atall).
Et même l’auteur de la Wilkina-ok Niflunga saga appelle le roi hun non pas Atli, mais bien Attila. Grimni fait remarquer au surplus que le radical atta, atti, œtti, signifie père dans la plupart des langues asiatiques encore parlées de nos jours. À ce propos, nous ferons remarquerde notre côté que, dans les idiomes tartares, et encore aujourd’hui dans le dialecte ottoman parlé à Constantinople par les Turcs, avec lesquels, les Huns présentent des affinités ethniques frappantes, le vocable ata a le sens de père, — et qu’il entre dans la composition de différents noms propres ou titres de dignités, tels qu’Ata-melik, Ata-bek, etc.
Un fait qui est encore assez curieux et digne d’être relaté, c’est que, dans différentes langues, le radical ata a les sens variés de père, de juge, de chef, de roi, de noble, etc., toutes fonctions ou qualités qui ne sont qu’une des manifestations du pouvoir absolu du père de famille dans la société antique ; ainsi, en Frise, Âttha, c’est le juge ; Attalus est le nom d’un roi des Marcomans, Aitala celui d’un roi maure, etc. Ainsi, suivant cette opinion, Attila dériverait de Atta, en gothique père, et le suffixe ila qu’il contient serait analogue à celui qui existe dans Rugila (nom du père d’Attila), dans Swintila, dans Chintila, etc.
Un autre rapprochement non moins intéressant à faire, c’est que, dans les écrivains orientaux, le Volga est appelé des différents noms de Alhel, Idel, Edel, Etil (en tartare Etzel), mots qu’on traduit généralement par le Volga roi, le fleuve prince.
Une autre opinion qui, elle aussi, ne semble pas trop invraissemblable, est celle qui veut rechercher l’étymologie d’Attila ou d’Etzel dans des langues qui peuvent avoir quelque affinité avec celle que parlaient les Huns. Ainsi, Otrokocsi, dans ses Origines unngaricœ, affirme que le nom d’Attila était Athila dans la langue hunnique, et signifiait feu, acier ; et il compare ce mot avec le mot hongrois etzel, qui signifie actuellement acier en magyar. C’est probablement pour cela qu’un de nos éditeurs les plus intelligents, M. Hetzel, prend, lorsqu’il écrit, le pseudonyme de Stafd, qui n’est autre chose, d’après la signification hongroise, que la traduction allemande de son véritable nom (stahl veut dire acier en allemand ; rapprochez de l’anglais steel).
Nous ferons de plus observer que le nom d’Etzel ou Hetzel se rencontre encore assez fréquemment chez les Allemands, et que d’autre part beaucoup de Hongrois s’appellent Attila.
Le roi des Huns joue sous le nom de Etzel un rôle considérable dans les poëmes cycliques des Niebelungen, et, sous celui de Alli dans les traditions Scandinaves. Les faits historiques ont été, il faut l’avouer, singulièrement interprétés et transposés dans les légendes poétiques ; mais ce n’est cependant pas un motif suffisant pour suspecter, comme quelques auteurs l’ont fait, l’authenticité de leur origine. Ainsi, il est bien évident, par exemple, que le thème des fantastiques légendes attribuées par les Orientaux à Iskander a bien pour point de départ, pour motif principal, la vie d’Alexandre le Grand telle que nous la connaissons par les données historiques des Grecs (V. Alexandre) ; et cependant Dieu sait si l’imagination des conteurs orientaux s’est abandonnée à ses inspirations les plus déréglées, dans l’Iskander Nâmê, par exemple. Le même phénomène a dû se passer pour Attila, et, en général, pour toutes les personnalités qui passent du domaine historique dans le domaine mythologique ; il s’opère alors un travail d’interprétation, d’amplification très-intéressant à suivre, et dont les récentes recherches de l’école allemande nous ont fait connaître avec certitude la marche. Non-seulement le fait historique est, dans ce cas, systématiquement et intrinsèquement altéré, mais il joue encore le rôle de point central autour duquel on groupe une foule de faits qui lui sont absolument étrangers, et qu’on lui assimile violemment. C’est alors que la tâche de l’historien devient difficile, lorsqu’il s’agit de résoudre ces agglomérations mystiques, ces nébuleuses de l’histoire, et qu’il faut en dégager des vérités positives. C’est une difficulté de ce genre qu’offre la légende d’Attila dans les poèmes germaniques et Scandinaves ; une foule de détails déroutent à première vue ; les différences même qui existent entre les versions germaniques et Scandinaves augmentent l’incertitude ; le roi des Huns est incorporé à cette troupe de héros dont il adopte le caractère en perdant son originalité primitive. Néanmoins, a l’aide de l’admirable méthode iss ie de la linguistique et créée par l’école de Grimm, Walter, Kun, Max Müller, Roth, Bensey, etc., on arrive à restituer, avec les récits fantaisistes des Niebelungen, le personnage historique dans son intégrité. Nous donnerons plus loin, avec l’analyse des Niebelungen, un échantillon exact des légendes auxquelles a donné naissance Attila.
Nous nous sommes borné, dans cette courte notice, à esquisser rapidement l’Attila de la tradition, sans entrer dans le détail des faits, afin d’éviter un double emploi avec l’article ci-dessous. Bientôt, sur les pas de M. Amédée Thierry, nous pénétrerons plus avant dans cette formidable histoire, nous analyserons la physionomie du grand barbare, d’après les résultats obtenus par les investigations laborieuses de l’éminent historien. V. Attila (Hist. d’)
Le nom d’un tel dévastateur devait rester proverbial, et, en effet, il revient souvent
sous la plume des écrivains ; c’est ainsi que La Fontaine a appelé son fameux Rodilard
Voici des allusions empruntées à d’autres auteurs :
« C’est le plus fameux chicaneur de notre province, et je ne pense pas que la Normandie en ait jamais porté un si redoutable. Son nom seul fait trembler les veuves et met en fuite les orphelins. Il n’y a pièce de pré ni de vigne, à trois lieues de lui, qui soit assurée à celui qui la possède. C’est Attila en petit, c’est le fléau, de Dieu dans son voisinage.
Que d’acteurs convoqués pour ce drame tragique !
La Prusse va bondir en trouant la Belgique ;
L’aigle de Pétersbourg, qu’un long vol fatigua.
S’est posé sur la cendre où fume encor Praga ;
Dès demain, vers son but il volera plus vite ;
N’entends-tu pas hurler l’Attila moscovite ?
Sur un sol ravagé rêvant d’autres débris.
Un pied sur la Vistule, il tient l’œil sur Paris. »