Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BALZAC (Jean-Louis GUEZ, seigneur DE), célèbre littérateur français

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Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 1p. 135-136).

BALZAC (Jean-Louis GUEZ, seigneur DE), célèbre littérateur français, né à Angoulême en 1594, mort en 1654. Il était fils d’un gentilhomme angoumoisin, Guillaume Guez, qui servit sous le duc d’Épernon, et qui, ayant fait bâtir un château, près d’Angoulême, au village de Balzac, ajouta depuis lors à son nom celui de sa châtellenie. Le jeune de Balzac, après avoir étudié chez les jésuites, fit à dix-sept ans un voyage en Hollande, pour y compléter son éducation. Il y connut le savant Baudius, et y fit paraître son premier ouvrage, intitulé Discours politique d’un gentilhomme français, dans lequel il se prononce pour la liberté et pour la réforme. Il se livra, en même temps, en compagnie de Théophile de Viau, à une vie de plaisirs si peu mesurés que sa santé en fut altérée, et que, depuis lors, il se voua au célibat sans beaucoup de mérite. Revenu en France en 1618, il se rendit près du duc d’Épernon, protecteur de son père, il vécut dans l’intimité du fils du duc, qui, devenu cardinal de Lavalette, l’emmena avec lui en Italie et en fit son agent d’affaires à Rome. C’est alors que Balzac commença à écrire des lettres qui eurent un grand retentissement. Lorsqu’il quitta l’Italie, en 1622, et qu’il se rendit à Paris, il y était déjà presque célèbre. Il reçut partout l’accueil le plus flatteur, et se vit recherché des plus grands personnages, au nombre desquels se trouvait l’évêque de Luçon, si fameux, depuis, sous le nom de cardinal de Richelieu. Son premier recueil de lettres, publié en 1624, obtint un succès prodigieux, non-seulement en France, mais dans toute l’Europe. Devenu tout à coup célèbre, Balzac eut aussitôt un grand nombre d’envieux, et, par conséquent, d’adversaires acharnés. À leur tête se trouvèrent deux feuillants, dom André de Saint-Denis, qui l’attaqua vivement comme plagiaire dans un livre intitulé : Conformité de l’éloquence de M. de Balzac avec celle des plus grands personnages des temps passés et des temps présents ; et le P. Goulu, général de l’ordre, qui, sous le titre de Pyllarque, publia contre lui la plus virulente des diatribes. Pour répondre à ces attaques passionnées, Balzac fit paraître son Apologie, sous le nom du prieur Ogier. Celui-ci, paraît il, en avait préparé les matériaux, mis en œuvre par Balzac lui-même avec un art consommé. Cette apologie où, avec le peu de modestie qui lui était habituel, Balzac se donnait les éloges les plus fastueux, ne fit qu’ajouter un aliment de plus au débat. Fatigué de cette lutte, il se détermina à vivre désormais dans la retraite. D’autres déceptions contribuèrent à lui faire prendre cette résolution. Il désirait obtenir un évêché ou tout au moins une riche abbaye ; mais pensant qu’on devait aller au-devant de lui, et qu’il ne devait point solliciter, il finit par déplaire à Richelieu. Le ministre l’accusa de vivre trop retiré, de ne pas se montrer à la cour, et ne lui donna jamais que le titre d’historiographe de France. Retiré au fond de sa province, dans son château de Balzac, il y passa la plus grande partie de sa vie, composant des ouvrages et se livrant tout entier au culte des lettres. Mais il ne vécut pas pour cela dans l’oubli et dans l’isolement. Non seulement il recevait des visites d’amis et de grands personnages, mais encore il était en correspondance journalière avec Chapelain, Costar, Voiture, etc., et les personnes du plus haut rang mettaient un prix inestimable aux lettres de l’ermite de la Charente, ainsi qu’on l’appelait souvent à l’hôtel de Rambouillet.

Les lettres de Balzac eurent un grand retentissement à l’époque où elles parurent ; l’auteur savait les lancer. « Comme elles contenaient toujours des choses très-flatteuses pour les personnes à qui il les adressait, dit Joseph de Maistre, on mettait quelque prix à se les communiquer ; on en faisait même des copies. Balzac avait compté sur la vanité de ses correspondants, et il ne s’était pas trompé dans ses calculs. Les louanges qu’il prodiguait aux autres devaient servir de véhicule à sa propre réputation. Au fond, ces lettres étaient bien faites pour faire sensation. Balzac, qui ne manquait pas de vues profondes, trouvait un langage hérissé de grec et de latin. Malherbe avait commencé par purger la poésie de ces locutions étrangères ; il avait du nombre et de l’harmonie sans cesser d’être correct ; Balzac voulut opérer dans la prose la même révolution que Malherbe dans les vers. Il ne pouvait y parvenir que par des écrits où le français parût avec tous ses avantages et dépouillé de cette superfétation d’érudition gréco-latine......... Balzac a mis dans ses lettres tout ce qu’il avait dans l’esprit et dans le cœur : les préjugés d’un érudit et les scrupules d’un grammairien, qui, peu satisfait de sa langue, qu’il trouve rude, informe, sèche, presque barbare, s’applique de toutes ses forces à lui donner de la correction, sans nuire au naturel ; de l’harmonie, sans lui ôter de la vigueur ; du coloris, sans l’énerver ; et cela, non-seulement quand il parle de choses d’un ordre élevé, mais encore lorsqu’il exprime les idées les plus simples. La première règle, c’est d’être naturel, et Balzac ne l’est point. Ce sont, il est vrai, chez lui des phrases irréprochables sous le rapport de la correction ; mais c’est aussi un flux intarissable de métaphores, d’hyperboles, de figures de tout genre, qui fatigue, épuise l’attention, et finit par devenir insupportable. Ce qui rend le défaut de Balzac plus extraordinaire, c’est qu’il savait très-bien apprécier la littérature de son temps, et voir ce qu’il y avait en elle de faux et d’exagéré. Il est plus aisé d’établir un précepte que de s’y conformer, surtout quand on se trouve dans la position de Balzac ; semblable au nouveau riche, qui met partout de la dorure, il a mis de l’esprit et de l’érudition partout ; il se regardait en quelque sorte comme le créateur d’un nouveau langage, et l’on sait que tous les arts commencent par l’exagération. Or, de l’exagération des idées au pédantisme il n’y a qu’un pas. Les admirateurs de Balzac avaient formé des associations où chacun était tenu, dit Ménage, « de prendre garde à parler correctement, et à ne pas faire de fautes dans les entretiens d’assemblées. » On sait que, dans un temps où il n’était pas facile d’être correct, une telle contrainte devait complètement exclure le naturel dans la conversation. À plus forte raison devait-il en être ainsi dans les lettres, où la parole écrite peut plus facilement s’assujettir à des règles. Il ne faut pas s’imaginer, au surplus, que tout le mérite de Balzac a consisté dans l’art d’arranger des mots d’une manière plus ou moins harmonieuse. Sous ces périodes sonores se cachent des idées justes, des aperçus ingénieux, des sentiments de l’ordre le plus élevé… Ses lettres sont dépourvues de l’agrément qu’offrent en général les correspondances privées, et dénuées d’ailleurs d’intérêt, car on n’y trouve ni anecdotes, ni détails familiers, ni épanchements de confiance ; mais elles peuvent paraître un monument précieux à conserver comme constatant l’état de la langue au milieu du XVIIe siècle et les efforts progressifs qu’elle a faits pour se polir, se perfectionner et se compléter. On y trouve, en effet, une foule de mots tout nouveaux, que l’on s’est empressé d’adopter et que l’usage général a consacrés, tels que féliciter, urbanité, bienfaisance, etc. On y trouve aussi des idées heureuses, que beaucoup d’écrivains postérieurs se sont appropriées.

Ces lettres, qui répondent si peu à l’idée que nous nous faisons aujourd’hui du style épistofaire, furent d’autant plus recherchées que la réputation de Balzac s’étendait plus au loin. On lui en demandait de toute part, dit M. Nisard ; on les colportait d’une maison à l’autre, on invitait les gens à dîner pour leur en faire la lecture. Balzac ne pouvait suffire à toutes les exigences ; … aussi se plaignait-il « d’être assassiné des civilités qui lui venaient des quatre parties du monde ; » mais, malgré tout cela, il était heureux de son malheur,… ce qui ne l’empêchait pas d’écrire à Chapelain ; « Vous ne sauriez croire combien je suis las du monde et dégoûté de moi-même. Toutes les choses qui m’ont chatouillé me blessent. J’estime autant un almanach qu’une histoire ; les simples mots de style me font mal à la tête. Plût à Dieu m’être défait de ma bonne ou mauvaise réputation, et j’ai envie de changer de nom, afin de ne plus prendre part à tout ce qui se dit de Balzac, et ne m’intéresser, ni de la louange, ni du blâme qu’on lui donne. »

On dit ces choses-là et souvent on n’en pense pas le premier mot ; cependant un aveu de Balzac ferait croire assez volontiers à sa franchise. Parlant un jour de Saumaise, il déclara « qu’une petite lettre lui coûtait plus qu’un volume ne coûtait à ce bienheureux écrivain, » et il disait à Scudéri : « J’admire votre facilité, votre abondance ; vous pouvez écrire plus de calepins que moi d’almanachs. »

En 1631, Balzac fit paraître le Prince, qu’il avait d’abord nommé le Ministre d’État. C’est, d’après M. Nisard, un portrait du prince, tel qu’un honnête rêveur peut le désirer, avec un caractère, des mœurs, des qualités qui n’existent que dans l’imagination. Trois ans après la publication de ce livre, qui fut censuré par la Sorbonne, Balzac, lors de la fondation de l’Académie française, fut appelé à en faire partie, et on l’exempta, par une faveur toute spéciale, d’assister aux séances.

Vers la fin de sa vie, il tomba dans la plus grande dévotion. Il fit construire des chambres au couvent des capucins d’Angoulême, pour s’y livrer à des pratiques de piété, fit distribuer de son vivant huit mille écus en œuvres pies, ce qui prouve qu’il ne se borna pas seulement à faire passer dans la langue le mot bienfaisance, et il légua, en mourant, une somme à l’Académie française pour y fonder un prix d’éloquence. C’est sous l’empire de ces idées qu’il écrivit son Socrate chrétien (1652), sorte de dissertation érudite et pompeuse sur l’excellence de la morale et de la religion. Après sa mort, on publia quelques ouvrages qui ajoutèrent encore à sa renommée : les entretiens, en 1657, et l’Aristippe, en 1658. (V, Aristippe.) On considère ce dernier ouvrage comme le chef-d’œuvre de Balzac. « Aristippe est mon bien-aimé, disait-il lui-même ; il est les délices de mes yeux et la consolation de ma vieillesse. Je l’ai fait et refait cent douzaines de fois, j’y ai employé toute ma science, tout mon esprit et tout celui des autres. »

En résumé, malgré la pompe emphatique et la recherche extrême qui déparent si souvent les écrits de Balzac, on ne saurait méconnaître la grande influence que son génie essentiellement oratoire a eu sur notre langue, et il doit être placé aux nombre de nos meilleurs écrivains eu égard à l’ordre des temps. « Il est utile à lire et à méditer, également propre à instruire et à former, dit Joubert ; souvent il dépasse le but ; mais il y conduit et il ne tient qu’au lecteur de s’y arrêter. »

Outre les ouvrages que nous venons de citer, Balzac a composé une satire intitulée le Barbon (1648) ; un nombre considérable de vers latins, sous le titre de Tres libri carminum (1650) ; une foule de dissertations et d’entretiens, notamment sa dissertation sur l’Herodes infanticida de Heinsius, etc. Ses Œuvres complètes ont été publiées à Paris (1665, 2 vol. in-folio). On a également un Choix des lettres de Balzac (1806) ; les Pensées de Balzac, précédées d’observations, par Moreau de Mersan (1807), et les Œuvres choisies de Balzac, données par Malitourne (1822).