Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BARRA (Joseph), enfant célèbre par son héroïsme

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Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 1p. 253).

BARRA (Joseph), enfant célèbre par son héroïsme, né à Falaise en 1780, tué àla fin de frimaire an II. (décembre 1793), appartenait à une famille pauvre et nombreuse qui était venue s’établir à Palaiseau, près de Versailles. Le jeune Barra, emporté par cette fièvre d’héroïsme qui soufflait sur toute la France à cette glorieuse époque, s’enrôla dans un régiment qui combattait en Vendée. Il faisait régulièrement passer sa solde à sa mère, devenue veuve. À l’affaire de Chollet, il fit prisonniers deux Vendéens ; mais, entraîné par son ardeur loin de ses camarades, il fut entouré d’ennemis qui, prenant en pitié sa jeunesse, le sommèrent de crier Vive le roi, Il répondit par le cri de Vive la république, et tomba percé de vingt coups de baïonnette, en embrassant sa cocarde tricolore. Il n’était âgé que de treize ans ! La Convention décréta que le buste du glorieux enfant serait placé au Panthéon, et qu’une gravure représentant son dévouement patriotique et sa piété filiale serait envoyée à toutes les écoles primaires. Sa famille reçut une pension de 1, 000 livres (27 frimaire an II). Une députation, en apportant son buste à la Convention, présenta sa mère, à laquelle le président donna l’accolade fraternelle (10 prairial).

L’héroïsme du jeune d’Assas républicain fut célébré en prose, en vers, sur les théâtres, dans les écoles, dans les sociétés populaires, dans les armées, etc. Tout le monde connaît la strophe des enfants, dans le Chant du Départ :

De Barra, de Viala le sort nous fait envie ;
Ils sont morts, mais ils ont vécu.

Le grand statuaire républicain, David d’Angers, a exposé au Salon de 1830 une belle statue de Barra expirant. Cette statue, achetée tout récemment par le prince Napoléon, est aujourd’hui au Palais-Royal.

Pour terminer dignement cette courte notice, qui n’est remplie que par une seule action, mais une action qui en vaut mille, nous sommes heureux de pouvoir citer les vers suuvants, composés sur la mort héroïque du jeune Barra, par Jacques Richard, lui aussi mort très-jeune, à vingt ans, et sur le berceau duquel la Muse aurait pu dire : Tu Marcellus eris ! Ces vers seront sans doute le seul souvenir que la biographie enregistrera de ce jeune poète ; c’est pour le Grand Dictionnaire une raison de leur ouvrir fraternellement ses colonnes :

C’était dans les grands jours de notre République,
Quand la Convention, de sa main héroïque,
Parmi les trahisons, les deuils, la lâcheté,
Conduisait, en chantant, la jeune Liberté.

Elle avait fait un signe, et d’espoir enflammées,
Du sol avaient surgi, soudain, quatorze armées !
Les humbles paysans s’étaient levés héros ;
À vingt ans, s’ils vivaient, ils étaient généraux,
Et, s’ils mouraient, martyrs ! Tous ces conscrits imberbes
Enfonçaient, d’un seul choc, des régiments superbes.
Aux peuples opprimés ils apportaient leurs lois ;
Des jeunes bras partaient les plus nobles exploits.
Ils étaient revêtes de sales souquenilles,
Mais des cœurs sans pareils battaient sous leurs guenilles !
À la voix du clairon, aux accents du tambour
Ils pâlissaient de foi, de colère et d’amour.
À leurs lèvres en feu, point de jactances vaines ;
C’est un sang généreux qui coule dans leurs veines,
Un sang prompt à sortir et tout prêt à couler !
Ils ignorent comment on fait pour reculer ;
La Révolution guide ces volontaires ;
Ils marchent derrière elle, intrépides, austères,
Aujourd’hui sur l’Adige et demain sur le Rhin,
En reprenant en chœur quelque viril refrain !
Au Nord comme au Midi, sur le Rhin, sur l’Adige,
La victoire est leur sœur, et leur nom est prodige.
On répète souvent qu’ils ont froid, qu’ils ont faim,
Mais on n’a jamais dit qu’ils aient eu peur. Sans pain,
Sans habits, mais le sein bouillant d’ardentes fièvres,
La république au cœur, la Marseillaise aux lèvres,
Ils vont par tous chemins et luttEnt pour tous droits,
Foulant sous leurs sabots trônes, sceptres et rois.

Un jour, on se battait au fond de la Vendée !
Les blancs couvraient la plaine, âpre mer débordée
D’hommes et de chevaux, de canons et de sang.
La Mort rasait le sol, et, de son bras puissant,
Joyeuse, elle couchait les escadrons à terre.
Les Bleus pliaient. — Un d’eux, un pâle volontaire,
Un enfant, les ramène et s’élance… Il est pris !
Environné soudain de poignards et de cris,
Il voit mille fusils menacer sa poitrine ;
Mais un muet dédain a gonflé sa narine !
Il regarde le ciel, et, d’un air exalté,
Il cherche ton divin sourire, ô Liberté !
Il sait qu’il va mourir, et trouve la mort belle.
Que lui font ces soldats qui l’appellent rebelle ?
Du geste il les défie ; il est même honteux
Et lâche de paraître hésiter devant eux.
Son dernier lit sera la sanglante broussaille ;
C’est là qu’il va mourir ! Tout à coup, il tressaille :
Ces mots sont arrivés à son cœur sans effroi :
« Il est sauvé, s’il veut crier : Vive le Roi ! »
Sauvés, ses jours offerts sur l’autel de la France ;
Sauvés, ses jours dorés bénis par l’espérance !
Et son bel avenir aux rayons éclatants,
Magnifique et serein comme un ciel de printemps !
Sauvé, son front promis aux lauriers de la gloire
Et que d’ardents baisers pressera la Victoire !
Sauvé, le frais trésor de sa jeunesse en fleur !
Sauvé, ce front naïf ignoré du malheur !
Grands arbres, claires eaux, des bruits et des ramages,
Mille doux souvenirs, mille chères images
Défilèrent en foule à ses yeux éblouis :
Il revit le passé, ses jours évanouis,
Une cabane aux bois, doigts tremblants, tête grise,
Et, filant, sur le seuil sa vieille mère assise ;
Le lit aux rideaux verts, l’armoire de noyer,
Et sa petite sœur jouant près du foyer,
Et l’aïeule affaissée, au front mélancolique.

Alors l’enfant cria : « Vive la République ! »
(Il avait quatorze ans), et d’un bras triomphant
Les défenseurs du droit égorgèrent l’enfant !

Ô Barra ! tes pareils étaient grands et sublimes !
Ils marchaient en chantant sur le bord des abîmes,
Ils marchaient, jeunes, fiers, se tenant par les mains,
Et le monde tremblait sous leurs pas surhumains !
Ils étaient les soldats de la cause éternelle,
La sainte Liberté les couvrait de son aile,
Le mâle enthousiasme habitait dans leurs seins,
Ils parcouraient l’Europe en rapides essaims,
Fougueux, escaladant la gloire au pas de course !
— Nous escaladons, nous, les marches de la Bourse !
Nous ne connaissons plus ni les désirs brûlants,
Ni les hymnes sacrés, ni les virils élans ;
Jeunes comme eux, Barra, nous sommes moins stoïques,
Nous ne brandissons plus dans nos mains héroïques
Que le verre où l’orgie allume ses ardeurs
Et la toque à plumet des joyeux débardeurs.
Si les jours de bataille étaient leurs jours de fête,
Nous avons bien vraiment d’autres soucis en tête !

Et la femme ! et le bal ! et les daims au hallier !
Ils allaient à la mort, nous allons à Bullier.

Barra (Mort de Joseph), statue en marbre de David d’Angers ; salon de 1839. Le jeune héros, couché à terre, sur le côté gauche, vient de rendre le dernier soupir. Il serre contre son cœur la cocarde tricolore, et tient encore, de la main gauche, une des baguettes avec lesquelles il Dattait la charge sur son tambour. Il semble protester, jusque dans la mort, de son dévouement à la République ; mais, aucun sentiment de haine n’a altéré la sérénité de son gracieux visage ; comme les héros antiques, il est tombé en souriant. David a fait preuve d’une grande habileté dans l’exécution de cette statue ; il a rendu en particulier, avec beaucoup de justesse, l’affaissement du corps que la vie a abandonné. On a vivement blâmé ce grand artiste d’avoir représenté entièrement nu le jeune tambour ; mais, selon nous, si la vérité historique souffre de cette concession faite à la manière classique, l’art n’y perd assurément rien. L’enfant, victime de son patriotisme, s’offre à nous dans toute la fleur de sa jeunesse, avec les formes nerveuses et souples d’un adolescent déjà endurci aux fatigues de la guerre. Nous faisons des vœux pour que cette belle statue, qui appartient au prince Napoléon, figure un jour dans-les galeries historiques de Versailles ; elle a sa place marquée dans ce musée dédié A toutes les gloires de la France.