Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/BONAPARTE (Mme Marie-Laetitia RAMOLINO), épouse du précédent, mère de Napoléon Ier

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Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 3p. 918-919).

BONAPARTE (Mme Marie-Laetitia RAMOLINO), épouse du précédent, mère de Napoléon Ier, née à Ajaccio le 24 août 1750, d’une famille patricienne. Bien qu’au milieu des discordes civiles qui déchiraient son pays, elle n’eût pu recevoir qu’une éducation médiocre, elle se fit toujours remarquer par la pénétration de son esprit et la rectitude de son jugement, autant que par l’élévation de son caractère. Elle était d’une beauté pleine d’éclat, dont la gravité mélancolique et la dignité sévère rappelaient à l’esprit le type idéal de la matrone romaine. En 1767, elle épousa Charles Bonaparte, dont elle partagea les périls lors de la résistance armée contre la conquête française ; elle le suivait à cheval, même pendant ses grossesses, dans ses expéditions et ses fuites à travers les montagnes. Devenue veuve en 1785, elle déploya le plus ferme caractère et veilla seule à l’éducation de ses enfants. Lorsque, en 1793, la Corse eut été livrée aux Anglais, elle fut obligée de fuir au milieu de mille dangers, et se réfugia avec son fils Lucien et ses trois filles à Marseille, où elle fut réduite aux subsides que la République accordait aux patriotes réfugiés, et où elle vécut dans un dénûment extrême jusqu’au moment où Bonaparte, devenu général en chef de l’armée d’Italie, put améliorer le sort de sa famille. Dès lors, elle suivit la fortune extraordinaire de son illustre fils ; reçut, en 1804, le titre de Madame Mère, eut un palais, une cour, dont les charges étaient remplies par les plus grands noms de l’ancienne monarchie; mais conserva, au milieu de cette grandeur inouïe de sa race, l’austère simplicité de sa vie passée. Il paraît même que, malgré le désir de l’empereur, elle poussait sa répugnance pour le faste et l’éclat jusqu’à la parcimonie, et qu’elle s’attachait moins à jouir du présent qu’à se prémunir contre les éventualités de l’avenir. Par une prévoyance de mère de famille dont la vie avait été douloureusement éprouvée, elle disait parfois, avec une gaieté pleine do mélancolie : Qui sait si je ne serai pas un jour obligée de donner du pain à tous ces rois ? On sait qu’en effet, plus tard, les économies accumulées par la sollicitude maternelle ne furent pas inutiles à tous ces rois devenus des proscrits. Après les désastres de Waterloo et la seconde abdication de Napoléon, Madame Mère se retira à Rome, où elle vécut dans une retraite profonde, protégée par le respect et la sympathie de toute l’Europe, portant avec une dignité admirable, et pendant plus de vingt ans encore, le poids de ses souffrances physiques (elle s’était cassé la cuisse), de ses angoisses morales et de ses immenses douleurs. Elle mourut en 1836, âgée de plus de quatre-vingt-cinq ans, d’une fièvre gastrite, emportant dans sa tombe la déchirante pensée que la France était à jamais fermée à tous les siens, et exprimant le désir qu’ils n’y rentrassent jamais qu’appelés par la volonté nationale.

Quelques dissidences passagères avaient existé entre le fils et la mère. Napoléon se rappelait avec une certaine amertume qu’elle s’était vivement opposée à ce qu’il prît le titre d’empereur, et oubliait difficilement sa préférence pour Lucien, qu’elle avait sans cesse soutenu, en disant.avec une grandeur d’âme toute cornélienne : « Celui de mes enfants que j’aime le plus, c’est toujours le plus malheureux. » Il se montrait aussi blessé de son aversion pour Marie-Louise. Cependant, en 1820, lorsque les fautes de la Restauration suscitèrent des révolutions en Espagne et en Italie, et qu’il se forma une conspiration bonapartiste, accusée de répandre des millions pour fomenter un mouvement en faveur de son fils, elle répondit noblement : « Je n’ai pas de millions ; mais si je possédais les trésors qu’on me suppose, je les emploierais à armer une flotte pour enlever mon fils de l’île de Sainte-Hélène, où la plus odieuse déloyauté le retient prisonnier. » En effet, quoi qu’on ait dit de ses immenses richesses, elle ne laissa qu’une fortune de 80,000 fr. de rente et environ 500,000 fr. de bijoux. Le plus bel héritage qu’elle légua à ses enfants fut l’exemple de sa modération dans la prospérité, de sa grandeur d’âme dans l’adversité.

Bonaparte (STATUE DE MARIE-LAETITIA), par Canova. L’attitude donnée à la mère de Napoléon par le célèbre statuaire est celle de l’Agrippine assise du Capitole. Quatremère de Quincy, à qui Canova avait envoyé d’Italie un carton gravé de sa statue, ayant témoigné par lettre à l’artiste la crainte qu’on ne l’accusât d’avoir copié servilement l’antique, Canova lui répondit : « Vous verrez un jour ma statue à Paris. Eh bien, je vous défie, vous et qui que ce puisse être, d’y trouver même un seul pli emprunté à quelque ouvrage que ce soit. Si j’ai posé ma figure à peu près comme l’est l’épouse de Germanicus, il ne s’y trouvera aucune autre espèce de ressemblance, je n’entends pas seulement dans la tête (ce qui va sans le dire), mais dans son ensemble, dans sa coiffure, dans le mouvement des jambes, dans le parti général des draperies, dans leur ajustement, dans les proportions du tout et dans les moindres détails. » L’objection faite par Quatremère fut reproduite par d’autres amateurs lorsque la statue arriva à Paris ; mais Visconti y répondit péremptoirement, par l’exemple même de l’antique, où l’on trouve, pour un grand nombre de sujets, la même attitude et la même composition répétée nombre de fois. Quatremère ne tarda pas à reconnaître lui-même ce qu’il y avait eu de précipité dans son observation. « Ceux qui connaissaient la statue d’Agrippine, dit-il dans son livre sur Canova, virent bien que l’artiste moderne avait fait asseoir sa figure sur un siège à dossier semblable, et dans la position qu’un pareil siège peut tout naturellement suggérer à la personne qui l’occupe ; mais on reconnut en même temps que sur ce siège était assise une tout autre personne ; qu’à cela près de certains rapprochements que produit le petit nombre d’attitudes prescrites par une position donnée, il n’existait pas la moindre similitude entre les deux personnes, soit dans la dimension et les proportions, soit dans les détails de l’ajustement, soit dans le caractère de l’ensemble, et surtout de la tête, portrait en quelque sorte vivant qui donnait la vie à tout le reste, soit pour la nature des étoffes et leur exécution. Le spectateur, en tournant autour de la statue, observait que chaque côté ou chaque aspect offrait, dans un parti de plis naturels et variés, comme une figure toujours nouvelle, sans cesser d’être toujours la même. Il n’y eut qu’une voix sur cet ouvrage. On disait que ce n’était plus une statue : elle semblait parler et prête à se lever. »

Le musée de "Versailles a deux portraits de Mme Laetitia peints par Gérard : dans l’un, elle est représentée assise près d’une table sur laquelle est une lettre ; le buste de Napoléon est placé au fond.