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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Beaucoup de bruit pour rien, comédie en cinq actes et en vers, de W. Shakspeare

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Administration du grand dictionnaire universel (2, part. 2p. 432-433).

Beaucoup de bruit pour rien, comédie en cinq actes et en vers, de W. Shakspeare. Le sujet de cette pièce, qui a quelques rapports avec l’épisode de Ginevra dans le cinquième chant d’Orlando furioso, a été emprunté par Shakspeare au Recueil d’histoires tragiques de Belleforest ; mais les circonstances accessoires et le dénoûment en sont très-différents :

Léonato, gouverneur de Messine, reçoit chez lui don Pèdre, prince d’Aragon, qui vient de triompher de la révolte de son frère naturel don Juan. Parmi les jeunes seigneurs qui se sont distingués, au premier rang est Claudio, le favori du prince. Claudio est amoureux de Héro, fille unique de Léonato ; le prince promet, pour favoriser son amour, de sonder lui-même Héro et de demander ensuite à Léonato la main de sa fille. Don Juan apprenant cela forme aussitôt le projet de contrarier les desseins de son frère et l’amour de Claudio. Ainsi finit le premier acte.

Au second acte, don Pèdre, ainsi qu’il l’a promis, obtient pour Claudio la main de Héro, non sans que don Juan ait donné une preuve de sa haine pour Claudio. Afin de lui inspirer de la jalousie, il lui a raconté que don Pèdre aime Héro et qu’il veut l’épouser. Les déclarations du prince viennent, un moment après, détromper Claudio : Don Pèdre forme ensuite le projet d’inspirer un amour réciproque à Béatrice, nièce de Léonato, et à Benedick, jeune seigneur, ami de Claudio, quoiqu’ils ne cessent de se poursuivre mutuellement de leurs railleries et qu’ils aient l’un et l’autre horreur du mariage. Héro, Claudio et Léonato lui promettent pour cela leur concours. Déjà, avant la fin du second acte, Benedick est habilement instruit de l’amour prétendu de Béatrice ; mais, pendant ce temps, don Juan, avec son affidé Borachio, prépare la rupture du mariage de Claudio avec Héro.

Au commencement du troisième acte, on apprend à Béatrice l’amour simulé de Benedick, à peu près par le même stratagème qui a déjà si bien réussi : Béatrice est prise au piège. Don Juan ayant tout préparé pour son entreprise, vient trouver don Pèdre et Claudio, et leur apprend que cette nuit même Héro recevra un amant chez elle. En effet, Borachio courtise Marguerite, suivante de Héro, en lui donnant le nom de sa maîtresse. Don Pèdre et Claudio entendent les paroles et sont témoins de l’entrevue. Mais Borachio est surpris par les watchmen, au moment où il raconte son aventure à son ami Conrad. Les deux constables Dogberry et Vergés l’amènent devant Léonato, qui les charge d’interroger eux-mêmes leur prisonnier. Pour lui, ne se doutant pas de ce dont il s’agit, il va assister au mariage de sa fille.

Le quatrième acte s’ouvre par la scène du mariage, qui est interrompu par le refus de Claudio et l’accusation portée contre Héro par son fiancé et par don Pèdre. Béatrice, pensant que Claudio est un imposteur, engage Benedick à se battre contre lui. Cet acte finit par la scène de l’interrogatoire de Borachio. Maintenant, qu’est devenue Héro, restée évanouie au pied de l’autel ? Elle n’est revenue à elle qu’après le départ de Claudio et de don Pèdre ; Son père répand le bruit de sa mort ; mais Benedick et Béatrice, ainsi que son père, sont dans le secret ; ils espèrent tous découvrir enfin l’innocence de Héro.

Au cinquième acte, Léonato provoque Claudio et don Pèdre ; son frère Antonio, père de Béatrice, les défie à son tour ; et enfin Benedick vient demander satisfaction à Claudio. Heureusement, ces querelles sont terminées par les aveux de Borachio. Léonato n’exige d’autre réparation de la part de Claudio que celle de publier l’innocence de Héro et d’accepter la main d’une de ses nièces. Il y consent avec joie. Le lendemain, Héro est ramenée le visage couvert d’un masque, et tout est expliqué. La comédie se termine par un double mariage. Don Juan, qui s’était déjà enfui de Messine, est ramené par les soldats du prince, qui lui réserve sa punition.

Les personnages les plus vivants et les plus animés sont ceux de Benedick et de Béatrice. Quelle originalité dans le dialogue un peu trop libre peut-être, combien d’incidents comiques naissent à chaque instant de leur aversion pour le mariage et de leur conversion subite ! Les deux constables Dogberry et Vergès, avec leur insuffisance, leur grave niaiserie, leurs lourdes bévues, sont des modèles du genre. Quelle connaissance profonde du cœur humain dans la peinture du caractère de don Juan, tourmenté du besoin de faire le mal, et qui se révolte même contre les bienfaits de son frère !

On ne s’étonnera pas qu’un si heureux mélange de sérieux et de gaieté ait valu à cette comédie, dès le temps de Shakspeare, les plus grands applaudissements. C’est une de celles que l’on voit encore avec plaisir sur les théâtres de Londres.

« Toutes ces péripéties si sérieuses, si douloureuses, aboutissent à l’issue la plus gaie, dit M. F.-V. Hugo. Tous ces désaccords se réconcilient, au milieu d’une salle de danse, dans un air de flûte ; et la tempête qui devait bouleverser tant d’existences jette son dernier souffle dans la joyeuse fanfare d’un bal. Et c’est ainsi que tous ces personnages, qui avaient cru de si bonne foi figurer dans une tragédie, n’ont joué en réalité que cette comédie exquise : Beaucoup de bruit pour rien. » Cette pièce fut enregistrée au Stationer’s Hall le 23 août 1600, et imprimée in-quarto dans le courant de la même année. Elle dut être représentée vers la même époque, car elle n’est pas mentionnée dans la liste des pièces de Shakspeare que publia Meres en 1598. Elle fut réimprimée dans l’édition générale de 1623, presque sans variation. Beaucoup de bruit pour rien a été remanié deux fois pour la scène anglaise : la première, en 1673, par Davenant, sous ce titre : la Loi contre les amants ; la seconde, en 1737, par un certain James Miller, sous ce titre : la Passion universelle.

Le titre même de cette comédie, Beaucoup de bruit pour rien, a passé en proverbe et est resté dans toutes les langues pour exprimer un dénoûment mesquin, ridicule, qui n’a aucune proportion avec les péripéties qui l’ont amené.