Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CAZOTTE (Jacques), littérateur

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 2p. 657-658).

CAZOTTE (Jacques), littérateur, né à Dijon en 1720. Il était fils d’un greffier des états de Bourgogne, et il rit ses études au collège des jésuites de sa ville natale. Il entra dans 1 administration de la marine et fut envoyé en 1747 à la Martinique, comme contrôleur des lies du Vent. Jouissant d’une position aussi avantageuse que considérée, il épousa Elisabeth Boignon, fille du président du tribunal de la Martinique, et acquit de nouveaux droits à la faveur du gouvernement par l’énergie avec laquelle il repoussa, en 1759, une attaqué tentée par les Anglais contre le fort Saint-Pierre. Il avait déjà fait une petite fortune quand la mort de son frère le mit en possession de biens considérables. En outre, le climat des Antilles avait altéré’ sa santé : il donna donc sa démission et revint en France avec sa famille. Quoiqu’il eût perdu une partie de sa fortune dans la banqueroute du fameux jésuite Lavalette (où sait que l’ordre offrit aux créanciers de les rembourser en messes), il put encore, grâce & l’héritage de son frère, mener une existence exempte de soucis et d’inquiétudes, tantôt à Paris, tantôt à son domaine de Pierry, près d’Epernay, et rie s’occuper que de littérature et de beauxarts. La première fois qu’il avait habité la capitale, il avait rencontré chez son compa CAZO

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triote Raucourt une société de poètes et, de littérateurs dont l’exemple et les entretiens avaient développé sa vocation naturelle. H avait alors composé quelques romances qui avaient eu du succès et que même on avait chantées à la cour. À la Martinique, il écrivit son çoSnie héroï-comique en prose, Olivier, qui lut publié en 1763 et favorablement accueilli par le public. Ce succès l’encouragea à faire paraître, en 1771 et en 1772, les jolis contes du Lord impromptu et du Diable amoureux. On a encore de lui les ouvrages suivants : les Mille et une fadaises ; la Guerre de l’Opéra ; la Patte de chat ; Contes arabes, formant une espèce de suite aux Mille et une nuits ; le Feu de Bagdad ; Rachel ou la Relie juive ; la Brunette anglaise, conte en vers, et autres fictions gracieuses où l’on trouve une richesse d’imagination quelquefois surabondante, une origw nalité souvent bizarre et une merveilleuse facilité de style et de composition. Cette facilité était telle, que Cazotte rima en une nuit un septième chant au poème de la Guerre de Genève (de Voltaire), et que ce pastiche fut assez habilement fait pour que tout le monde fût dupe de la mystification. Il composa également en une nuit, sur un mot donné, l’opéracomique des Sabots, qui fut représenté avec succès.

Chose singulière ! cet esprit d’une verve si pétillante finit par s’abandonner aux folles chimères, aux rêveries de l’illuminisme.

Il fut entraîné dans cette voie par son imagination, sans doute, mais aussi par une circonstance assez singulière. Dans son roman du Diable amoureux, il avait mis son héros aux prises avec des tentations diaboliques, et il avait suivi assez fidèlement les données de la démonologie. Les partisans de cette inepte doctrine s’imaginèrent facilement qu’il était un des leurs. Un disciple de Martinez Pasquali vint le trouver, dans l’espoir d’obtenir une plus complète initiation aux sciences occultes, et fut fort étonné d’apprendre que la roman en question n’était que le produit de l’imagination de l’auteur. Cet incident bizarre piqua vivement la curiosité de Cazotte, qui mit à profit ses relations avec son nouvel ami pour se faire initier aux doctrines des martinistes. S’il ne devint pas un cabaliste proprement dit, il s’engagea du moins, de plus en plus, dans une religiosité mystique et dans un surnaturalisme qui le classaient parmi les illuminés les plus chimériques.

Avec une telle direction d’idées, il était impossible qu’il éprouvât aucune sympathie pour les principes de la Révolution. Aussi sa prononça-t-il hautement contre cette grande rénovation, et fut-il un de ceux qui s épuisaient à donner à la cour des conseils, des avis, et à indiquer chaque jour de nouveaux moyens de résistance. Il entretint à ce sujet une longue correspondance avec Ponteaur le secrétaire de la liste civile, et lui envoya à plusieurs reprises des plans d’évasion pour la famille royale et des moyens, suivant lui, infaillibles d’écraser la Révolution. Cette correspondance fut saisie, après le 10 août, chez l’intendant de la liste civile, Laporte, et Cazotte fut mis en arrestation. Sa fille Elisabeth le suivit dans sa prison pour l’assister. Tous deux étaient h l’Abbaye lors des massacres de septembre. La malheureuse jeune fille avait été séparée du vieillard dès le commencement des exécutions ; dès lors, elle n’eut plus qu’une pensée : rejoindre son père, le sauver ou mourir avec lui. Tout à coup elle l’entend appeler, puis descendre l’escalier au milieu d’un bruit d’armes ; avant qu’on ait pu l’arrêter, elle s’élance, elle atteint le vieillard, elle l’enlace de ses bras, elle communique aux terribles juges l’irrésistible sympathie de son amour filial, et désarme les tueurs eux-mêmes par sa tendresse héroïque, par ses larmes et ses supplications. Non-seulement le vieillard fut épargné, mais encore on le reconduisit en triomphe avec sa fille jusqu’à son logis. Peu de temps après, il fut arrêté de nouveau, et le tribunal du 17 août ordonna la reprise des poursuites contre lui. Sur le conseil de son défenseur, il déclina la compétence du tribunal extraordinaire, par ce motif qu’il avait été jugé déjà et absous par le peuple. Ce déclinatoire ne fut pas admis. Les faits étaient d’ailleurs patents et avérés, et le tribunal n’avait qu’à appliquer les décrets portés contre ceux qui avaient préparé la répression du 10 août. Cazotte fut condamné à mort, ce qui inspira te beau vers si connu :

Des bourreaux l’ont absous, des juges l’ont trappe.

Ces juges, d’ailleurs, enchaînés par une législation inflexible, ne purent reluser leur pitié et leur estime à l’infortuné vieillard. En l’envoyant à la mort, ils rendirent hautement hommage à sou courage et à sa probité, ca qui est beaucoup entre Français. L’accusateur public lui dit : » Pourquoi faut-il que ja vous trouve coupable après une "vie vertueuse de soixante-douze lins ! Mais il ne suffit pas d’être bon époux et bon père, il faut encore savoir être bon citoyen. ■

En prononçant la sentence, le président lui dit avec émotion et gravité : ■ Vieillard, envisage la mort sans crainte ; songe qu’elle n’a pas le droit de t’étonner ; ce n’est pas un pareil moment qui doit effrayer un nomme tel que toi, »

Cazotte monta intrépidement les degrés do l’échafaud et mourut en prononçant ces paroles : « Je meurs comme j’ai vécu, fidèle à mon Dieu et à mon roi, • (25 septembre 1792.)

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« Nous devqns rapporter ici une prétendue prophétie de Cazotte sur la Révolution, au sujet de laquelle on a fait beaucoup de bruit.

L’histoire est racontée par La Harpe, et elle a été exploitée depuis par les feuilletonistes et les compilateurs de contes ljleus.

Donc, suivant l’auteur de Warwck et du Cours de littérature, Cazotte se trouvait, un soir de 17S8, à un souper chez la duchesse de Grarnmont (sœur de Choiseul), en compagnie de Malesherbes, Chamfort, Sylvain Bailly, Condorcet, Vicq-d’Azyr, Roucher, La Harpe, Nicôlaï, et beaucoup d’autres, hommes et femmes, appartenant tous à la société élégante et au monde philosophique. Les convives célébraient à l’envi le triomphe, regardé comme prochain, de la philosophie et de la raison, la ruine de la superstition et du fanatisme. Un seul était silencieux et rêveur, Cazotte. Interrogé, il se lève, et d’un ton d’inspiré : « Messieurs, dit-il, vous savez que je suis un peu prophète ; en bien 1 soyez satisfaits : vous serez tous témoins de la sublime révolution que vous rêvez. Mais quand cet heureux temps sera venu, vous, monsieur de Condorcet, vous vous empoisonnerez dans un cachot ; vous, Chamfort, vous vous couperez les veines de vingt-deux coups de rasoir ; vous, Bailly, Malesherbes, Roucher, vous périrez sur 1 échafaud ; vous, duchesse de Grammont, vous serez conduite au supplice dans une charrette, tout comme la reine, et vous n’aurez même pas de confesseur ; le dernier supplicié qui

Iouira de cette prérogative ne sera autre que e roi de France... Et tout cela arrivera sous le règne de la raison, de la liberté et de la philosophie, etc., etc. »

Nous abrégeons, on le comprend, cet inepte récit, et nous ne ferons pas à nos lecteurs l’injure de croire qu’il soit nécessaire de le discuter en détail pour leur en démontrer la fausseté. A priori, on pourrait déjà nier hardiment cette prophétie, que La Harpe, bien entendu, n’a révélée que longtemps après les événements qu’elle annonce, et dont rien, absolument rien, n’a transpiré à l’époque où elle est censée avoir eu lieu.

Peut-être quelques personnes ont-elles été dupes de cette mystification ; mais, sincèrement, cela ne fait pas l’éloge de leur bon sens et de leur raison.

Il est d’autant plus inutile de discuter cette assertion absurde, que celui qui l’a produite, et qui seul la garantissait, l’a démentie lui-même en termes positifs et formels. La Harpe a laissé, en effet, dans ses papiers une note de sa main, dans laquelle il déclarait que cette scène était-de son invention et qu’il n’avait eu que l’intention de composer une fiction poétique. Son exécuteur testamentaire, M. Boulard, a trouvé cette note et l’a rendue publique.

D’un autre côté, l’Anglais William Burt, dans un ouvrage intitulé : Observation on the curiosities <tf nature, a prétendu avoir été témoin du fait. Mais la déclaration posthume de La Harpe ne laisse évidemment aucun doute à cet égard.

Ce qu’il y a de possible, c’est que Cazotte a pu facilement prédire d’une manière générale une révolution que Voltaire et Rousseau avaient annoncée dix ans à l’avance et que tout le monde alors regardait camme imminente. Quant aux détails qui donnent un caractère si merveilleux à la prédiction, il est hors de doute que ce sont des ornements inventés après coup.

On a publié, en 1817, les œuvres de Cazotte (4 vol. in-S<>).

— J.-Scévole Cazotte, son fils, a porté les armes contre la France dans l’armée de Condé. Il a publié ses mémoires en 1839, sous le titre de : Témoignage d’un royaliste. Il est mort en 1853 ; il était alors l’un des conservateurs de la bibliothèque de Versailles.

— Elisabeth Cazotte, fille de Jacques, a pris rang parmi les héroïnes de la Révolution. On vient de voir avec quel courage et quel dévouement filial elle disputa la tête de son père. À la suite du malheur immense qui venait de la frapper, elle ne s’occupa plus que de consoler sa mère, et, après avoir occupé pendant quelques jours tous les esprits, elle rentra dans l’obscurité. Mais l’histoire a conservé le souvenir de son dévouement filial, et sa mémoire vivra éternellement.