Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CHABOT (François), conventionnel montagnard

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 3p. 828).

CHABOT (François), conventionnel montagnard, né à Saint-Geniez-Dol (Rouergue) en 1759, décapité en 1794. Il avait été capucin avant la Révolution et d’une piété exaltée, que la lecture des livres philosophiques modifia ensuite singulièrement. Lors de la suppression des congrégations religieuses, il sortit de son couvent, déjà gagné à la cause de la Révolution, continua toutefois d’exercer les fonctions de la prêtrise, accepta l’un des premiers la constitution civile du clergé, et devint grand vicaire de Grégoire, évêque constitutionnel de Blois. Cette position, où il montra un patriotisme actif, stimulé par l’ambition de jouer un rôle dans les événements, le fit nommer député à l’Assemblée législative par le département de Loir-et-Cher. Il siégea à l’extrême gauche, et, de concert avec Merlin et Basire, soutint vivement la dénonciation du fameux comité autrichien, attaqua Dillon, Duportail, Montmorin, Bertrand de Molleville et autres, à cause de leurs manœuvres contre-révolutionnaires, et se fit une grande popularité par sa véhémence, sa parole facile et sa vigilance farouche. C’était d’ailleurs un homme distingué, instruit, sincèrement rallié aux idées nouvelles, et qu’il ne faudrait pas juger entièrement d’après les caricatures que les ennemis de la Révolution en ont faites. Chabot, l’ex-capucin Chabot, il ne faut pas l’oublier, fut une sorte de cible qui reçut les flèches de tous les partis. Ces épaves de l’ancien monde, ces ex-prêtres et ces ex-nobles, quelque sincères qu’ils fussent dans la foi nouvelle, étaient naturellement portés à faire oublier leur origine par une ardeur souvent excessive. Avec son emportement méridional et un penchant naturel pour l’intrigue, Chabot ne prêtait que trop le flanc aux attaques. On connaît la fameuse épigramme qui fut lancée contre lui et ses amis, et dont nous donnons ici une des variantes :

     Vit-on jamais rien de plus sot
           Que Merlin, Basire et Chabot ?
           Connut-on jamais rien de pire
           Que Chabot, Merlin et Basire ?
           Et jamais rien de plus coquin
           Que Chabot, Basire et Merlin ?

Cette épigramme ne brille pas plus, d’ailleurs, par l’esprit que par la bienveillance. Elle est fort injuste, au moins à l’égard de Basire, qui était un homme honnête et pur. La probité de Merlin a été attaquée, mais il n’y a aucune preuve à cet égard. Quant à Chabot, on n’avait alors rien à lui reprocher sous ce rapport. Aucun des trois ne méritait de telles épithètes. Que Merlin, le vaillant défenseur de Mayence, fût un sot et un coquin, c’est ce qui semblera bien absurde à ceux qui connaissent l’histoire. Mais c’est avec des inepties de cette force qu’on a longtemps jugé les hommes de la Révolution et que les jugent encore quelques esprits étroits qui ne connaissent de cette grande époque que les mots terreur et massacres de septembre, et qui professent à l’égard de Robespierre et de Danton des opinions empruntées à nos grand’mères, naïves et saintes femmes auxquelles la République, en lutte avec toute l’Europe, avait enlevé les fils. À la veille du 10 août, Chabot s’agita beaucoup et contribua au soulèvement du faubourg Saint-Antoine. Le 15, il parla en faveur des patriotes de Lyon, fit réintégrer Chalier dans ses fonctions de membre de la commune de cette ville, destituer les administrateurs contre-révolutionnaires du Rhône, et refuser toute indemnité pour la suppression des droits féodaux. Lors des massacres de septembre, il est avéré qu’il contribua très-énergiquement à sauver la vie à plusieurs prêtres, et notamment au respectable abbé Sicard.

Réélu à la Convention nationale, il se trouva compris dans une dénonciation de Narbonne pour avoir reçu de l’argent de la cour ; mais il ne fut donné aucune preuve de ce fait, bien invraisemblable, si l’on se souvient des violentes attaques de Chabot contre le parti de la cour. Il est évident que, s’il avait reçu de l’argent, il l’avait bien mal gagné ; car, jusqu’à la chute de la royauté, on ne peut citer une seule occasion où il ne se soit prononcé pour les mesures les plus radicalement révolutionnaires.

Dans le procès de Louis XVI, il vota la mort, comme ses collègues de la Montagne, et s’opposa néanmoins au bannissement de tous les Bourbons, réclamé par Buzot, manifestant en cette circonstance, comme la plupart des montagnards, une entière confiance dans les opinions révolutionnaires du duc d’Orléans. Il combattit aussi l’idée d’une dictature mise en avant par Marat, contribua à la chute des girondins, appuya le décret qui transforma la cathédrale de Paris en temple de la Raison, et se singularisa, dit-on, par une affectation de négligence dans ses vêtements qui touchait à la malpropreté (dans le but de se donner un vernis de sans-culottisme).

En octobre 1793, il épousa la sœur d’un banquier autrichien, Frey, qui lui apporta une dot de 100,000 livres ; et, prévoyant sans doute que ce mariage donnerait lieu à quelques soupçons, l’annonça aux Jacobins, où il lut son contrat, et obtint que la Société nommât une députation pour assister au mariage. Devenu opulent, et mêlé d’ailleurs à des manœuvres qui sont restées fort obscures, Chabot, dont on n’avait voulu qu’exploiter l’influence au profit de certaines spéculations financières, se laissa facilement entraîner dans des intrigues d’agiotage qui se liaient à un complot financier, où se trouvait mêlé le fameux intrigant royaliste, baron de Batz. Il reçut de l’argent pour corrompre des membres de la Convention, et spécialement le malheureux Fabre d’Églantine, dans le but de falsifier un décret relatif à l’ancienne compagnie des Indes. Les conventionnels Julien (de Toulouse), Delaunay (d’Angers), trempaient dans cette dangereuse intrigue, dont Fabre et Basire furent les victimes, sans en être les complices.

Effrayé bientôt des manœuvres ténébreuses dans lesquelles il avait accepté un rôle, Chabot alla les dénoncer au Comité de sûreté générale, en remettant 100,000 livres qu’on lui avait données pour corrompre Fabre, et en prétendant ne s’être mêlé à cette affaire que pour en saisir tous les fils et déjouer les projets des conjurés. Ses explications parurent peu satisfaisantes, et peu de temps après il fut arrêté avec Basire, qui n’était coupable que d’avoir reçu quelques-unes de ses confidences, sans trop les comprendre et sans les révéler.

Emprisonné au Luxembourg, Chabot, qui avait espéré se tirer de cette vilaine affaire, quoiqu’il eût bien réellement participé à la falsification du décret et aux manœuvres d’agiotage, écrivit vainement à Robespierre les lettres les plus suppliantes ; il fut renvoyé devant le tribunal révolutionnaire, jugé en même temps que les dantonistes, qui se plaignirent amèrement d’être accolés a des fripons, et enfin condamné à mort. Il prit du sublimé corrosif, mais conserva assez de vie pour être conduit à l’échafaud (5 avril 1794). Sur la charrette, le malheureux se releva moralement par un touchant remords de justice et d’amitié. Au milieu des souffrances qu’il endurait, il ne songeait qu’à son ami, innocent, et qu’il entraînait avec lui, et il ne cessait de s’écrier : « Ah ! pauvre Basire, tu n’as rien fait ! »

Voilà le caractère de ces temps vraiment héroïques : de la grandeur jusque dans la faiblesse, une certaine force jusque dans les défaillances. Aujourd’hui, la corruption est tellement entrée dans nos mœurs que, si l’on se frappe la poitrine, c’est de regret de n’avoir pas réussi au gré de ses convoitises.