Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CHABOT (Philippe DE), comte de Charny et de Buzançois, grand amiral de France

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 3p. 827-828).

CHABOT (Philippe DE), comte de Charny et de Buzançois, grand amiral de France, né vers 1480, mort en 1543. Il fut aussi connu de son temps sous le nom d’Amiral do Itrîon, de la seigneurie de Brion qui appartenait à sa famille. Ses premières années s’écoulèrent au château d’Amboise, où, de même que plusieurs autres jeunes seigneurs, tels qu’Anna de Montmorency, Montchenu, Robert de La Marck, etc., il partagea les jeux guerriers du comte d’Angoulème. Aussi, lorsque ce prince fut monté sur le trône, sous le nom de François Ier, il conserva pour Chabot une faveur et une estime toutes particulières, et, k diverses reprises, lui confia des missions importantes. Après l’évasion du connétable de Bourbon, ce fut lui que le roi, alors k Lyon, chargea de conduire k Paris la reine et ses fils et d’empêcher qu’aucun mouvement éclatât dans la capitale.

En 1424, Marseille, assiégée par les impériaux et par Bourbon, était sur le point de se rendre, lorsque Chabot, k la tête de 200 lances et de 3,000 fantassins, parvint k pénétrer dans cette ville, dont il fit bientôt après lever le siège. L’année suivante, il montra moins les talents d’un général que l’ardeur d’un soldat, en conseillant au rot de livrer la bataille de Pavie. Il chercha ensuite k réparer son erreur en combattant avec la plus grande valeur et ■ y fîst si bien, dit Brantôme, que Je roi lui donna la charge d’amiral. « Il avait partagé le sort de son maître et avait été conduit avec lui prisonnier en Espagne. En 1520, il fut chargé d’aller en Italie obtenir do CharleSrQuint la ratification du traité de Cambrai. Six ans plus tard, il reçut le commandement en chef de la guerre contre le duc do Savoie, et, après avoir, dans une campagne rapide, conquis presque tout le Piémont, il tenait ce prince assiégé dans Verceil et allait, 828

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par !a prise de cette ville, assurer la conquête d’une partie de l’Italie, lorsque le cardinal de Lorraine, qui se rendait» Rome pour négocier la paix, lui persuada de s’arrêter au milieu de ses succès. Ce fut la une faute que François Ier ne pardonna pas k l’amiral, et qui devint eu quelque sorte le point de départ de la disgrâce qui le frappa plus tard. À son retour d’Italie, Chabot trouva la cour partagée en deux camps par la rivalité de la duchesse d’Etampes, maîtresse du roi, et de Diane de Poitiers, maitresse du jeune duo d’Orléans, auquel la mort de son frère aîné François (1536) venait de donner le titre de Dauphin. L’amiral eut le tort de se mêler à ces intrigues et devint le chef du parti de la duchesse d’Etampes, tandis que Diane avait pour principal allié le connétable de Montmorency, l’homme le plus puissant de la cour, devant lequel le chancelier et les grands courbaient humblement la tête, et qu’ils n’osaient traiter que de monseigneur. Chabot ne se crut pas obligé k tant de déférence envers un ancien camarade d’enfance et continua de l’appeler, comme par le passé, bon compagnon et mon frère. L’orgueilleux connétable en conçut contre son rival une haine qui devint d’autant plus vive, qu’elle dut rester longtemps inactive, a cause du crédit tout-puissant de la duchesse d’Etampes sur l’esprit du roi. Cette haine trouva enfin l’occasion d’éclater. En 1539, François Ier résolut de faire exercer des poursuites contre ceux qui s’étaient enrichis aux dépens de l’État, et Montmorency vit là un moyen de perdre l’amiral, dont le luxe et la magnificence étaient extraordinaires, même au milieu de cette cour fastueuse. Il présenta au roi des relevés de comptes qui prouvaient que Chabot s’était approprié une partie des revenus de l’État dans son gouvernement de Bourgogne. Chabot, mandé auprès du roi pour se justifier, lui répondit ivec hauteur et l’ut arrêté. Le 8 févribi 1540, une commission, présidée par le président Poyet, qui était vendu au connétable, le condamna a 1,500,000 livres d’amende, au bannissement et a la confiscation de ses biens, comme coupable de concussion, d’exactions, de malversations et autres entreprises sur l’autorité royale ; à tous ces chefs d’accusation Poyet ajouta ceux d’infidélités et de déloyauté. Le jugement fut d’abord approuvé par François I«, dont le ressentiment contre l’amiral n’était pas encore apaisé ; mais la duchesse d’Etampes ne cessa d’intercéder en faveur du condamné, et ses larmes triomphèrent k la lin de la résistance du roi. L’amiral obtint des lettres de grâce, fut déchargé de l’amende et rétabli dans ses emplois. Bien plus, le connétable ayant été disgracié peu de temps après, Chabot fut appelé a lui succéder dans une partie des fonctions qu’il occupait k la cour. Mais il ne devait pas jouir longtemps de ce retour de la faveur de son maître. Il mourut un an plus tard du chagrin que lui avait causé sa condamnation, du moins k ce que prétend Brantôme, qui s exprime ainsi k ce sujet : « Depuis, le pauvre nomme ne proufita de son corps, car dès lors son pouls s’arresta et cessa tout à coup par telle véhémence de peur ? qu’oncques depuis il ne le put retruuver, m jamais put estre trouvé par quelque grand et expert médecin qui fut. • Bien qu’il portât le titre de grand amiral.de France, Chabot ne se distingua jamais personnellement comme homme de mer ; mais il ne négligea pas la marine, et ce fut grâce k la protection qu’il accorda k Jacques Cartier que ce dernier fut chargé par le roi d’un voyage d’exploration dans l’Amérique septentrionale, voyage qui eut pour résultat la découverte du Canada. Il existe k la Bibliothèque impériale un recueil manuscrit en 2 vol. in-fol. des Lettres de l’amiral de Brion, écrites en 1525. On trouve en outre des détails curieux sur son procès dans le livre VI des Recherches de Pasquier.

Léonor de Chabot, fils de l’amiral, lui fit élever un magnifique tombeau, à la description duquel nous consacrons l’article suivant.

Chabot (statue de Philippe de), chefd’œuvre de Jean Cousin, musée du Louvre. Cette statue, qui est en albâtre de Lagny, ornait autrefois le monument que Léonor de Chabot fit ériger k la mémoire de son père dans l’église des Célestins, à Paris, en 1543. Elle fut recueillie, à l’époque de la Révolution, dans la musée des monuments français, aux Petits-Augustins. et passa ensuite dans la galerie d’Angouleme, au Louvre. Elle représente l’amiral k demi couché, accoudé sur son casque et semblant se reposer, par un doux sommeil, de ses longues fatigues. Il porte, par-dessus son armure, lo cordon de Saint-Michel, et une cotte d’armes sur laquelle sont gravées ses armoiries, et il tient k la main son sifflet de commandement. Son casque, dont il a déchargé sa tête, et ses gantelets, qui sont près de lui, montrent qu’il n’est pas mort au milieu des combats, ce que l’on indique, sur les monuments de cette époque, par le casque en tête, les mains couvertes de leurs gantelets et armées de l’épée. Cette statue, de grandeur naturelle, a été attribuée k Paul Ponco ; mais il a été prouvé depuis que c’était un ouvrage de Jean Cousin. d’ar la fierté de sa pose et la hardiesse de l’exécution, a dit M. de Clarac, cette statue est digne du ciseau de Michel-Ange, dont elle rappel !» le style. Malgré l’armure, le corps a beaucoup de souplesse ; la tête, pleine de force et de caractère, est d’un bon travail ; on y retrouve un

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Î>eu du style des têtes antiques d’Hercule, et a manière simple et large dont cette figure est drapée a beaucoup de rapport avec «elle de la belle statue connue sous le nom de Phocion. Une partie des armoiries dont est blasonnée la cotte d’armes est parlante. Le petit poisson k grosse tête plate se nomme chabot dans le Poitou, à ce que nous apprend Millin, dans ses Antiquités nationales (I, 55). » Le piédestal qui porte la statue est décoré d’un bas-relief en marbre, où sont représentés un des ancêtres de Philippe de Chabot et sa femme, tous deux endormis. Sous ce tombeau figuraient autrefois l’apôtre saint Paul et le grand prêtre Melchisédech, soutenant une femme qui personnifiait la Fortune. On suppose que Philippe de Chabot dut avoir une vénération particulière pour saintPaul, car il a été représenté avec les attributs de cet apôtre, dans une des peintures en émail exécutées par Léonard Limosin, d’après les dessins de Jannet, pour orner le tombeau de François Ier. Le comte Cieognara cite le monument de Chabot comme le chef-d’œuvre de la sculpture française au xvie siècle.