Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CHARLES II, le Mauvais, fils de Philippe d’Évreux et de Jeanne de France, fille de Louis X le Hutin

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Administration du grand dictionnaire universel (3, part. 4p. 1014).

CHARLES II, le Mauvais, fils de Philippe d’Évreux et de Jeanne de France, fille de Louis X le Hutin, né en 1332, mort en 1387. Il hérita du comté d’Évreux et de la Navarre, fut couronné à Pampelune en 1350, et terrifia dès les premiers jours ses sujets par la répression impitoyable de quelques troubles qui avaient éclaté. Il avait été élevé à la cour de Philippe de Valois et était réputé l’un des plus brillants chevaliers de son époque pour sa bravoure, sa beauté, sa libéralité, son éloquence et une instruction rare alors parmi les grands et les gens de guerre. Il n’a cependant laissé dans notre histoire qu’un nom sinistré et dont on avait fait un épouvantail pour les enfants. Quoiqu’on ait ajouté à ses crimes réels des crimes imaginaires, quoiqu’il n’ait pas été beaucoup plus mauvais que la plupart de ses contemporains, et que sa conduite ait été peut-être autant le résultat de sa position personnelle que de son caractère, il a pourtant mérité en grande partie son odieuse réputation, et sa vie a été fatale à la France, qu’il a déchirée par ses brigandages, ses intrigues et ses trahisons multipliées. Sa mère, Jeanne de France, avait été, en vertu des prétendues prescriptions de la loi salique, écartée du trône de France, dont elle était la plus proche héritière (v. Philippe de Valois). De là la haine de Charles le Mauvais pour les Valois, qui pouvaient lui sembler des usurpateurs. Le roi Jean, pour l’apaiser, lui donna sa fille Jeanne en mariage (1353) avec les villes de Mantes et de Meulan pour dot. Mais il n’avait cessé de le considérer comme un rival et il l’irrita imprudemment par ses procédés, et surtout en repoussant ses prétentions sur les comtés de Champagne, de Brie et d’Angoulême, prétentions fondées peut-être suivant le droit féodal. Charles avait un parti puissant dans le royaume et ses possessions en Normandie le rendaient redoutable. Il fit assassiner le connétable Charles de la Cerda, favori du roi, qui lui était hostile. Jean, ne pouvant l’atteindre, feignit de lui pardonner, et, après une série d’hostilités et de réconciliations, le fit arrêter par trahison à Rouen (1355), en même temps qu’il faisait massacrer tous les seigneurs de sa suite, et lui infligea une dure captivité. Échappé de sa prison après la défaite de Poitiers et pendant la captivité du roi (1356), Charles se présenta dans Paris, où ses malheurs l’avaient rendu populaire, charma le peuple par ses harangues latines et françaises, s’allia avec Étienne Marcel et les bourgeois contre le dauphin et la cour, et parvint à se faire nommer par les Parisiens capitaine général de Paris. Cependant, ce prétendu champion de la cause populaire tirait de grosses sommes d’argent des bourgeois, qui s’étaient engoués de lui, s’emparait du cours de la Seine et de la Marne et ravageait l’Île-de-France, pillant indistinctement les bourgs et les châteaux, massacrait les Jacques à Clermont et faisait couronner leur chef d’un trépied de fer rouge. Ces exploits diminuèrent un peu sa popularité. Les bourgeois lui fermèrent Paris, que voulut vainement lui livrer Marcel, encore plein d’illusions sur ce personnage. Le roi de Navarre s’en dédommagea en recommençant ses courses et ses pillages à la tête de ses bandits, en s’alliant avec les Anglais, en s’emparant d’une multitude de places et de châteaux forts et en désolant le royaume dont il se croyait frustré. Le traité de Brétigny lui assura ses domaines en France. Il retourna en Navarre en 1361, fit quelques expéditions en Espagne, prenant alternativement parti pour Pierre le Cruel et pour Henri de Transtamare, et, les trahissant tous les deux, essaya ensuite de se rapprocher du roi de France en même temps qu’il traitait avec les Anglais, et envoya ses deux fils en otage à Charles V, qui n’attendait qu’un prétexte pour le dépouiller. Ses trahisons, ses complots, ses entreprises n’en fournissaient que trop l’occasion contre lui. Il fut accusé d’avoir tenté de faire empoisonner le roi et les princes (accusation qui n'a point paru fondée) ; Duguesclin et le duc de Bourgogne se jetèrent sur la Normandie, qui fut rapidement conquise, à l’exception de Cherbourg, que Charles livra lui-même aux Anglais pour en obtenir des secours ; ses capitaines, Jacques Du Rue et Du Tertre, furent décapités. Il obtint enfin la paix (1479), mais aux conditions les plus dures, et il était fort affaibli lorsqu’il mourut. Sa mort, telle que la rapportent un grand nombre d’historiens, est empreinte d’un caractère tragique et l’on y voulut voir une punition du ciel. Pour ranimer ses forces épuisées par la débauche, il s’enveloppait dans un drap mouillé d’esprit-de-vin ; un valet imprudent y mit accidentellement le feu, et le malheureux prince périt dans des tourments affreux. On a quelque raison de douter de l’exactitude de ce récit, traité de fable par les historiens de la Navarre.