Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CONDÉ (Louis-Henri-Joseph, duc DE BOURBON, prince DE), ''le dernier des Condés''

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Administration du grand dictionnaire universel (4, part. 4p. 868).

CONDÉ (Louis-Henri-Joseph, duc de Bourbon, prince de), le dernier des Condés, né en 1756. Sa fin mystérieuse et tragique a été l’un des grands événements des premiers jours du règne de Louis-Philippe et a donné lieu, comme on le sait, aux plus étranges accusations. Il avait épousé en 1770 Louise-Marie-Thérèse-Bathilde d’Orléans, sœur du duc de Chartres (depuis Philippe-Égalité), ce qui le rendit oncle du prince qui devait monter sur le trône en 1830. De ce mariage naquit l’infortuné duc d’Enghien, qui périt fusillé dans les fossés de Vincennes. En 1778, à propos d’une insulte faite à sa femme par le comte d’Artois au bal de l’Opéra, le prince de Condé (alors duc de Bourbon) eut avec son cousin un duel qui fit beaucoup de bruit en son temps, mais qui eut une issue presque ridicule. Après avoir croisé le fer pour la forme, les deux princes, séparés par leurs témoins, d’après un ordre du roi, se réconcilièrent publiquement. Toutefois, en 1780, une séparation définitive eut lieu entre le duc et la duchesse de Bourbon. Deux ans plus tard, le prince assista au siège de Gibraltar, mais ne joua qu’un rôle d’apparat. Lors de la convocation de l’Assemblée des notables, il signa avec son père la fameuse protestation des princes contre les idées nouvelles et le suivit dans l’émigration. Il servit sous ses ordres dans les bandes connues sous le nom d’armée de Condé, qui combattirent contre la France dans les rangs de la coalition, et se retira en Angleterre après le licenciement de cette armée. C’est là qu’il reçut en 1801 la douloureuse nouvelle de l’exécution de son fils unique, le duc d’Enghien. En 1814, il rentra en France avec Louis XVIII, fit de vaines tentatives, lors du retour de l’île d’Elbe, pour soulever les départements de l’Ouest, et se vit contraint d’accéder à une capitulation et de s’embarquer pour l’Espagne. C’était d’ailleurs un homme absolument nul sous tous les rapports, et qui même était dépourvu de bravoure personnelle.

Pendant la Restauration, il vécut écarté des affaires, dont l’éloignait son incapacité aussi bien que sa paresse. La mort de son père l’avait fait prince de Condé. Dernier rejeton d’une famille illustre, mais également étranger aux soucis de la politique et à ses périls, il semblait vouloir accoutumer à l’ombre ce nom qui allait s’éteindre, et qui avait brillé d’un si vif éclat dans les derniers siècles de le monarchie. Confiné dans sa petite cour de Saint-Leu ou de Chantilly, il faisait de la chasse son unique occupation. Lors de la révolution de 1830, il fut profondément troublé par les nouveaux malheurs de sa famille, mais il ne jugea pas à propos de la suivre dans l’exil, et il reconnut sans difficulté son neveu comme roi des Français.

Le faible vieillard était alors entièrement dirigé par une femme dont le nom a souvent retenti dans la polémique des journaux et dans le prétoire des tribunaux. C’était une Anglaise, Sophie Dawes, née Clarke, dont le passé était assez équivoque, et que le prince avait mariée à un gentilhomme de sa maison, le baron de Feuchères, loyal soldat, dont la bonne foi trompée servit à couvrir pendant quelque temps le scandale d’amours adultères. Douée d’un grand esprit d’intrigue, spirituelle et gracieuse, avide, impérieuse, insinuante, le baronne de Feuchères avait obtenu par son ascendant le don testamentaire des domaines de Saint-Leu et de Boissy, en 1824, et plus tard diverses donations s’élevant au chiffre de 1 million, ainsi que le produit de la forêt d’Enghien. Mais poursuivie par une secrète inquiétude, craignant que la mort du prince ne la laissât exposée aux attaques d’héritiers dépouillés par elle et aux procès que provoque la captation, elle s’attacha de longue main à lier ses intérêts à ceux d’une famille puissante, afin de se ménager un patronage efficace. On ne saura jamais sans doute la vérité entière sur les relations de cette femme avec la famille d’Or1éans. Ce qui est certain, c’est qu’en 1827 la pieuse duchesse Marie-Amélie (depuis reine) lui écrivait des lettres gracieuses, l’encourageait dans son projet de faire adopter par le prince le duc d’Aumale comme héritier et lui promettait chaleureusement son appui, au nom de sa reconnaissance de mère. Il est pénible, sans doute, de voir une femme aussi vertueuse que la duchesse d’Orléans associer sa tendresse maternelle à des sollicitations au moins équivoques ; mais c’est là un fait avéré. De son côté, le duc suivit cette affaire avec la sollicitude passionnée que les d’Orléans ont toujours apportée à leurs affaires d’intérêt. Sollicité, harcelé de toutes parts, le prince de Condé, après de longues hésitations, finit par céder de guerre lasse, mais non sans de cruelles anxiétés, tant l’idée de laisser l’héritage des Condés à une famille de régicide lui paraissait une forfaiture et une impiété. Toutefois, il se contenta d’abord de promettre. Le duc d’Orléans fit préparer par un de ses hommes d’affaires, M. Dupin, un projet de testament en faveur du duc d’Aumale, qu’on se proposait de soumettre à la signature du prince. Celui-ci, malgré les promesses qui lui avaient été arrachées, éludait toujours, et projetait même de s’arracher par la fuite aux obsessions et au despotisme de la baronne. Il était assailli de craintes de toute nature, jusqu’à s’oublier à dire devant des témoins :« Une fois qu’i1s auront obtenu ce qu’ils désirent, mes jours peuvent courir des risques. » Enfin, après une nouvelle scène extrêmement violente entre lui et Mme de Feuchères, il se décida à rédiger et à signer un testament par lequel il instituait le duc d’Aumule son légataire universel et assurait à la baronne, soit en terre, soit en argent, un legs d’environ 10 millions (30 août 1829). Cette action décisive ne lui rendit pas la tranquillité, et il s’abandonna de plus en plus à ses puériles terreurs de vieillard et à sa mélancolie. La révolution de Juillet, arrivée sur ces entrefaites, augmenta les tourments et les chagrins du malheureux prince. Il avait repris ses projets de fuite, et il fixa définitivement son départ pour le 31 août 1830. Les préparatifs se poursuivaient en secret ; mais il semble impossible que la baronne n’en fût pas instruite. Le 26 août au soir, le prince se coucha tranquillement comme à l’ordinaire ; aucun bruit, aucun mouvement inaccoutumé ne troubla cette nuit. Le lendemain matin, quand le valet de chambre Lecomte vint frapper à la porte de son maître, il ne reçut aucune réponse ; la porte était fermée en dedans au verrou. On dut l’enfoncer. Un affreux spectacle s’offrit alors à la vue des assistants. Le prince était pendu, ou plutôt accroché à l’espagnolette de la fenêtre, par deux mouchoirs passés l’un dans l’autre, les genoux ployés, les pieds traînant sur les tapis, en sorte que, dans les dernières convulsions de la vie, il n’eût eu qu’à se dresser sur ses pieds pour échapper à la mort. Cette circonstance écartait l’hypothèse du suicide et frappa tous les assistants ; cependant les divers procès-verbaux rédigés dans cette journée conclurent tous, à travers beaucoup d’inexactitudes que devait relever une enquête ultérieure, au suicide par strangulation. L’opinion publique s’émut profondément de cet événement tragique et mystérieux, et, en rapprochant une série de circonstances caractéristiques, beaucoup de personnes en arrivèrent à émettre l’opinion que le prince ne s’était pas donné la mort, qu’il n’aurait pu se la donner dans de telles conditions, et qu’il avait été victime d’un assassinat. Les princes de Rohan, héritiers collatéraux, intentèrent à Mme de Feuchères un procès en captation, que d’ailleurs ils perdirent. Cette dame, il est à peine nécessaire de le dire, était sous le coup des plus terribles soupçons, et elle n’en fut pas moins accueillie à la cour, à la grande stupéfaction de l’opinion publique, qui réclamait hautement une enquête. Une instruction fut commencée à Pontoise dans le mois de septembre, mais rien ne fut négligé pour assoupir l’affaire, et le conseiller rapporteur, M. de la Huproie, se montrant résolu à trouver la vérité, on le mit soudainement à la retraite. Une série de procès accessoires fatiguèrent l’attention sans lui donner satisfaction complète sur le point principal. Jamais le redoutable problème ne fut éclairci. Des raisons de convenance, on le conçoit, nous font une loi de ne pas descendre dans les détails de cette ténébreuse affaire. Il convient de rappeler cependant que des soupçons de complicité osèrent remonter jusqu’à Louis-Philippe. Accusation injuste, sans aucun doute, mais que le nouveau roi eût noblement repoussée en répudiant une succession entachée de pareils soupçons, ce qu’il ne fit point. Au surplus, si la baronne de Feuchères fut coupable d’un crime, ce qui, après tout, est encore un problème, on ne saurait en inférer que la famille d’Orléans ait trempé d’une manière quelconque dans une aussi abominable action ; mais la grande faute du gouvernement d’alors est de n’avoir pas fait tout ce qui était nécessaire pour qu’une enquête loyale et sévère apportât la lumière dans ce drame mystérieux. Quoi qu’il en soit, nous n’entendons incriminer en rien la mémoire du roi Louis-Philippe et de cette noble et digne famille, qu’en France tous les esprits patriotiques estiment à bon droit.

Le duc d’Aumale, suivant l’une des clauses du testament, avait donné le nom de Condé à l’aîné de ses fils, qui est mort en 1866. Il a écrit, en outre, une histoire de la famille de Condé, dont la publication n’a pas été autorisée en France.