Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/CUSTINE (Adam-Philippe, comte DE), constituant, général

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Administration du grand dictionnaire universel (5, part. 2p. 690).

CUSTINE (Adam-Philippe, comte de), constituant, général, né à Metz en 1740, décapité le 28 août 1793. Suivant les coutumes plus plus qu’étranges de l’ancien régime à l’égard des familles nobles, il fut nommé à l’âge de sept ans sous-lieutenant au régiment de Saint-Chamans, et suivit en cette qualité le maréchal de Saxe dans la campagne des Pays-Bas. Il revint ensuite achever ses études à Paris, entra à sa sortie du collège dans le régiment du Roi et fit une partie de la campagne de Sept ans, dans laquelle il devint capitaine au régiment de Schomberg. Choiseul créa pour lui un régiment de dragons, qui prit le nom de Custine, et dont il eut le commandement jusqu’en 1780. À cette époque, le gouvernement français ayant destiné le régiment de Saintonge (infanterie) pour l’Amérique, Custine traita avec le chef de ce corps et en obtint le commandement. Il se distingua en plusieurs occasions pendant la guerre de l’indépendance américaine, et reçut, à son retour, le grade de maréchal de camp et le gouvernement de Toulon. En 1789, il fut nommé député aux états généraux par la noblesse du bailliage de Metz. Il vota assez généralement avec la gauche, mais ne joua qu’un rôle effacé dans la grande assemblée. Après la session, il fut employé aux armées, et mis à la tête d’une division de l’armée du Rhin dans la campagne de 1792. Il défendit Landau avec vigueur, commanda quelque temps le camp de Soissons, puis fut rappelé à l’armée du Rhin, alors sous le commandement de Biron, s’empara de Spire par un coup de main hardi (29 septembre), et enfin, entraîné par les excitations des patriotes allemands, envoya un détachement à Worms, qui ouvrit ses portes sans combat, et marcha lui-même sur Mayence, qui capitula sans coup férir, le 21 octobre. Ces conquêtes brillantes ne furent pour ainsi dire qu’une marche triomphale ; les populations des bords du Rhin, comme celles de la Savoie, accouraient au-devant des soldats de la République et se donnaient avec enthousiasme à la France et à la Révolution.

Au premier bruit de la prise de Mayence, Coblentz s’attendait si bien à recevoir les Français que l’électeur s’enfuit avec son ministre et son gouvernement. Si Custine eût marché d’un pas rapide sur cette ville ainsi terrifiée, il y entrait sans brûler une cartouche, cela est hors de doute ; les Prussiens, contenus de ce côté, pressés d’autre part par Kellermann, se trouvaient obligés de se rejeter en Westphalie ; la conquête de la Belgique était facilitée, celle de la Hollande rendue possible ; nous étions maîtres du cours du Rhin. Tous ces faits sont aujourd’hui en pleine lumière, et le parti militaire a tant de fois accusé la République d’injustice envers les généraux que ce sont là des détails utiles à rappeler.

Sourd aux sollicitations de ses amis et de son état-major, aux vœux de l’armée, aux ordres du ministre de la guerre, Custine préféra courir à Francfort, dont les richesses l’attiraient, et il n’eut pas plus tôt été admis dans cette ville républicaine et neutre qu’il lui arracha 1, 500, 000 florins ; extorsion bien propre, on le reconnaîtra, à refroidir l’ardente sympathie de ces peuples.

Pendant ce temps, les Prussiens avaient continué leur marche et s’étaient répandus sur la rive droite du Rhin, après avoir pris Coblentz ; ils se présentèrent enfin devant Francfort au nombre de 50, 000 hommes commandés par le roi de Prusse et le duc de Brunswick. Custine quitta la ville en emportant presque toute l’artillerie, et se retrancha derrière la Nidda, en faisant face à la place au lieu de la couvrir, et en prêtant le flanc aux Prussiens. L’historien militaire Jomini dit à ce sujet : « Il prit toutes ses mesures comme s’il avait voulu sacrifier la garnison. » Cette garnison ne comptait guère plus de 2, 000 hommes. Custine écrivit au commandant, van Helden, de— se défendre énergiquement, et au besoin de mettre le feu à la ville si elle se montrait hostile. D’après van Helden, il se croyait assuré d’être secouru. Il n’en fut rien cependant, et, à la suite d’une attaque secondée par le soulèvement d’une partie de la population, Francfort fut occupé par les Prussiens. Custine n’avait pas bougé. Chose étrange, pendant ce siège si court, son fils, qui déjà avait été mêlé à des négociations suspectes (voyez l’article ci-dessous), eut une entrevue secrète avec le duc de Brunswick, puis se rendit à Francfort pour conseiller au commandant d’évacuer la ville, en insinuant aux habitants que l’intention de son père était de leur épargner les horreurs d’un siège (lui qui avait donné l’ordre de se défendre à toute extrémité). On peut consulter, pour les détails de ces contradictions, la Relation de la prise de Francfort, par le général van Helden (La Haye, 1798) ; les Mémoires d’un homme d’État, etc.

Après l’abandon de Francfort, celui de Mayence. Rentré dans cette dernière ville, Custine fit travailler aux fortifications, mais se fit détester des troupes par une sévérité brutale, jusqu’à faire fusiller de sa propre autorité des soldats accusés de pillage, mais qu’il eût fallu au moins juger. Aristocrate d’opinion et de caractère, il affichait un mépris cynique pour l’autorité civile, traitait les patriotes allemands avec une insolence de soudard, menaçait de la corde le respectable docteur Hoffmann, président de la convention mayençaise, et, pour répondre a des réclamations très-légitimes et très-modérées des Mayençais, faisait dresser cinq potences dans cette admirable ville qui avait embrassé avec autant de dévouement que d’enthousiasme le parti français. En outre, il ne parlait de la Convention nationale qu’en des termes soldatesques et orduriers, et se vantait publiquement de faire des papillotes avec les décrets qui lui étaient envoyés. Ses relations secrètes avec le roi de Prusse et le duc de Brunswick ont été niées, bien qu’elles soient à peu près certaines, mais ce qui est hors de doute, c’est qu’il écrivit à Houchard de ménager les Prussiens.

Dès l’ouverture de la campagne de 1793, il quitta Mayence, où il laissait une garnison de 10, 000 hommes, mais sans vivres, après avoir entassé dans la place une grande partie de l’artillerie enlevée à Strasbourg, comme s’il eût voulu à la fois rendre la reddition de Mayence inévitable et préparer un riche butin à l’ennemi. En même temps il écrivait à la Convention qu’il n’y avait rien à craindre sur le sort de la place, et qu’elle était approvisionnée pour longtemps.

Il repassa le Rhin, suivi par l’armée prussienne (mars), et après divers échecs se mit en sûreté derrière les lignes de Weissembourg, et, bien qu’il fût à la tête de 35, 000 combattants, recula encore, et parla même de se réfugier sous le canon de Strasbourg. « J’ai 104, 000 Allemands sur les bras ! » écrivait-il. Or il n’était alors suivi que par le corps du prince de Hohenlohe, qui comptait à peine 30, 000 hommes, et il ne l’ignorait point. Vivement attaqué pour sa conduite à Francfort et à Mayence, il s’était défendu en accusant fort injustement Kellermann et d’autres. Couvert par les girondins, qui dominaient encore à l’Assemblée, et qui étaient les protecteurs officiels des généraux et fonctionnaires antijacobins, on lui donna comme renfort l’armée de la Moselle (avril). Il n’agit point davantage, perdit un temps précieux dans une inconcevable inaction, tandis que Mayence soutenait son siège héroïque, et enfin, le 17 mai, se décida à faire un simulacre d’attaque et fut repoussé. Il alla prendre alors le commandement de l’armée du Nord, ne fit rien pour secourir Condé et Valenciennes, et même dégarnit d’une partie de son artillerie la ville de Lille, menacée d’un nouveau siège. Qu’un tel entassement de fautes, qualifiées d’incompréhensibles par le général Jomini et par tous les gens du métier, ait donné lieu à des accusations de trahison, c’est ce qui ne peut paraître surprenant, surtout quand on considère que ces fautes correspondaient à des négociations clandestines, dont il est difficile de contester la réalité.

Mais, en écartant même cette accusation de trahison, il est évident qu’on trouve assez de motifs dans la conduite de Custine et dans ses opérations pour justifier une accusation capitale, surtout en tenant compte des circonstances et des résultats. En temps ordinaire même, pas un conseil de guerre ne l’eût acquitté.

Après la chute des girondins, qui l’avaient soutenu jusqu’alors, il fut attaqué avec un redoublement d’énergie, et tenta vainement de conjurer l’orage en affectant un zèle servile, mais peu sincère et fort tardif, pour la Convention et la Montagne. Danton s’écria le 22 juillet : « La nation a des doutes sur Custine, il faut qu’il soit jugé ! »

Mandé à Paris par le conseil exécutif (29 juillet), il fut décrété d’accusation quelques jours après, et traduit le 15 août devant le tribunal révolutionnaire. Les débats durèrent jusqu’au 27 ; plus de cent témoins furent entendus, généraux, représentants, commissaires du pouvoir exécutif, etc., et la plus grande liberté fut laissée à la défense. Custine prit très-souvent la parole, avec une véhémence extrême et parfois pour accuser les autres, sans que jamais les juges l’aient une seule fois interrompu. Le compte rendu de son procès, qui ferait la matière d’un volume et qui remplit 85 pages de l’Histoire parlementaire (t. XXVIII), prouve avec quel soin on rechercha la vérité. Cependant, si l’on s’en rapportait à certaines publications inspirées par l’esprit de parti, il semblerait que Custine a été systématiquement sacrifié. Et pour ne citer qu’un exemple, la Biographie universelle (l’article est de Michaud jeune) rapporte le procès en omettant la date du jour où il a commencé ; en sorte qu’on pourrait croire qu’il n’a duré qu’un jour, d’autant plus que ce qui a rapport au jugement se termine ainsi : « Toute la conduite militaire et politique du général Custine fut jugée dans la même séance. » Or ce procès mémorable a rempli, pendant près de deux semaines, les longues audiences du tribunal révolutionnaire !

Le 27 août, à neuf heures du soir, Custine fut condamné à la peine de mort. Il fut exécuté le lendemain.

Suivant ses apologistes mêmes, c’était un général médiocre et tout à fait incapable de remplir un grand commandement. Un de ses aides de camp, le général Baraguey-d’Hilliers, a publié sur lui des Mémoires (1794) où il le traite parfois avec une certaine sévérité.