Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Coréen, enne

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CORÉEN, ENNE s. et adj. (ko-ré-ain, è-ne). Géogr. Habitant de la Corée ; qui appartient à cette contrée ou à ses habitants. Les Coréens. Les missions coréennes.

— s. m. Linguist. Langue coréenne : Parler le CORÉEN.

Encycl. Linguist. La langue coréenne est un idiome polysyllabique qui, dans la classification linguistique, occupe une place intermédiaire entre le groupe japonais et la famille tartare. Le coréen, malgré la position, géographique du peuple qui le parle, diffère donc radicalement du chinois, avec lequel il semblerait qu’il dût offrir de nombreuses affinités. Le coréen possède une écriture alphabétique appelée ghin-boun, parfaitement déterminée, qui se compose de treize voyelles ou diphthongues, correspondant aux sons a, eu, o, ou, ou, i, a bref, é, , ya, yeu, yo, you, et quatorze consonnes usuelles représentant nos articulations k, n, t, r, m, p, s, ts, h, ng, kh, th, ph, tsh ; il existe en outre une série de quatre consonnes g, d, b, z, presque exclusivement consacrées à la transcription des mots étrangers. La direction générale de l’écriture n’est pas constante ; quelquefois elle procède de gauche à droite, quelquefois de haut en bas (à l’instar des lignes verticales du chinois et du mandchou). Les éléments de ce système graphique, qui s’exécutent à l’aide du pinceau chinois ou japonais, sont, d’après quelques orientalistes, des fragments de caractères chinois, pris avec une valeur purement phonétique. D’autres philologues ont cherché des rapports entre l’alphabet coréen et l’alphabet choub ou thibétain carré. Voici quelle est, à ce sujet, l’opinion de M. de Rosny. Dans deux articles récents, publiés dans le Journal asiatique, ce savant cherche à établir que l’idiome coréen a des analogies de formes très-sensibles avec l’alphabet thibétain. Ces analogies de formes, outre l’intérêt intrinsèque qu’elles peuvent présenter aux yeux des philologues, seraient aussi du plus grand intérêt pour l’ethnographie et l’histoire, car si l’on parvenait à démontrer que l’alphabet coréen a été emprunté aux Thibétains, on serait naturellement amené à conclure que l’histoire coréenne est intimement liée par ce point à celle du continent asiatique, et l’on aurait ainsi une précieuse indication sur les origines encore mal connues de cette contrée. Déjà un savant sinologue anglais, M. Wylie, avait soupçonné cette origine possible, et tenté de rapprocher l’alphabet coréen de l’alphabet dévanagari, dont l’alphabet thibétain n’est qu’une modification. Dans cette hypothèse, ce seraient les missionnaires bouddhistes, dont l’active propagande n’a d’autre point de comparaison que la propagande actuelle des missions chrétiennes, qui auraient introduit en Corée l’alphabet en question avec les dogmes et la civilisation bouddhiques. Ce résultat est confirmé par les témoignages positifs et formels d’auteurs chinois et coréens. recueillis par M. L. de Rosny. Dès le ive siècle de notre ère, le bouddhisme avait pénétré en Corée sous toutes ses faces, et ce fut là sa dernière étape avant d’arriver à l’archipel japonais. C’est également par cet intermédiaire que s’exerça l’influence si profonde de la langue et de la littérature chinoises sur la culture intellectuelle du Japon. Les doctrines de Confucius y florissaient à côté des dogmes bouddhiques, comme c’était le cas en Chine.

M. de Rosny conclut que, sans admettre que l’alphabet coréen soit exclusivement basé sur celui du thibétain ou du sanscrit, il faut reconnaître que c’est de cette dernière langue que l’écriture coréenne tire un caractère rigoureusement alphabétique, voyelles et consonnes distinctes. La prononciation coréenne, comme on a pu le voir d’après l’alphabet ci-dessus, est beaucoup plus compliquée que la prononciation chinoise ; les mots suivants appartiennent évidemment à une langue qui s’éloigne considérablement du monosyllabisme sourd des Chinois : hour, feu ; hanar, ciel ; pyeur, étoile ; mour, eau ; haram, vent ; tor, pierre ; saram, homme ; nirkur, lire ; sar, acheter ; hourour, couler, etc.

Quoique le coréen diffère absolument du chinois au point de vue grammatical, il lui a cependant emprunté directement un nombre considérable d’expressions servant à désigner principalement certaines idées abstraites, religieuses, littéraires, scientifiques, etc., que les Coréens, comme les Annamites, comme les Japonais, ont adoptées avec la civilisation de l’Empire du milieu. Ces mots chinois ont été non-seulement transcrits phonétiquement, mais les caractères idéographiques eux-mêmes qui y correspondaient ont passé dans l’écriture coréenne. Les caractères chinois introduits dans le coréen ne sont pas prononcés exactement comme ils le seraient par la bouche d’un Chinois parlant la langue mandarine ; cette prononciation coréenne est analogue à celle des dialectes anciens qu’on trouve encore usités dans les provinces du Fou-kien et du Kouang-toung, et elle est caractérisée par la présence du l et du r employés comme articulations finales ; soleil, en chinois ji, prononciation coréenne jir ; par les conversions du ch en s, du n en ng, du tch en ts, du f en p. Ces différentes permutations constituent ce qu’on appelle le dialecte sinico-coréen. En résumé, la langue coréenne peut donc s’écrire à l’aide d’un système graphique entièrement alphabétique ; souvent elle adopte, pour représenter un certain ordre d’idées, des caractères hiéroglyphiques chinois, qu’elle peut ou prononcer en chinois, avec quelques légères variantes constituant le dialecte sinico-coréen, ou lire en prononçant le mot coréen correspondant. Ainsi, par exemple, le mot ciel pourra s’écrire hanar avec l’alphabet coréen, ou par l’idéogramme chinois tièn, ciel, qu’on prononcera en sinicocoréen tyœn, ou en coréen pur hanar. Cette complication est une des difficultés de la langue coréenne.

Quoique offrant par son lexique peu de rapports avec le japonais, le coréen est cependant classé par M. de Rosny, auquel nous empruntons une partie de ces détails, dans la famille japonaise, à cause de ses nombreuses affinités grammaticales avec les idiomes îartares, dont le japonais est en quelque sorte le point initial. La grammaire coréenne présente en effet tous les traits caractéristiques des langues agglutinantes. Les substantifs invariables, généralement monosyllabiques ou dissyllabiques, se déclinent à l’aide de postpositions venant s’accoler au radical, qui ne souffre aucune modification. Ces postpositions sont na pour le génitif (comparez le ning ouïgour, le no japonais, le ni mandchou, le yin mongol, le ing ou ning turc, etc., qui remplissent les mêmes fonctions) ; nour pour le datif, rou pour l’accusatif, poutour pour l’ablatif. Généralement le nombre du substantif est indiqué par le contexte ; quand on veut le désigner d’une manière spéciale, on le répète, on y postpose un terme indiquant la pluralité (procédé chinois). La construction offre ce grand principe commun à toutes les langues tartares : le mot déterminé suit toujours le mot déterminant. La désinence caractéristique des adjectifs est r ; le comparatif s’exprime en faisant suivre le terme de comparaison d’une des postpositions exprimant l’ablatif isya. La phrase suivante donnera une idée de la formation du comparatif, et de la construction coréenne en général : « Cette tasse à vin est plus grande que cette tasse à thé, » se traduira en coréen par : i sour-tsan i tsawan-isya kountai. Littéralement : cette vin-tasse, cette thé-tasse-de grande (est). Le superlatif se rend en joignant au positif des particules ayant le sens de très, beaucoup, etc. La numération coréenne, de même que la numération chinoise, est décimale. Les pronoms personnels, analogues à ceux du chinois, servent à indiquer la possession, en précédant au génitif l’objet possédé. Nos autres pronoms ont également leurs correspondants en coréen. Le verbe, qui, comme l’adjectif, a pour désinence caractéristique l’articulation r, est absolument invariable comme le verbe chinois, malais, siamois. On a cru cependant, principalement dans la langue vulgaire, découvrir quelques rudiments d’une conjugaison déterminée par l’emploi de la désinence a ou ta pour le passé, o pour le futur. Il existe une forme spéciale pour le verbe négatif, et le coréen emploie à différents usages plusieurs auxiliaires (oui-har, être, faire ; isir, avoir, être, etc.) Les conjonctions sont généralement sous-entendues. Les prépositions sont inconnues ; les postpositions les remplacent. En général, la construction, comme du moins on a pu le remarquer dans quelques ouvrages coréens traduits du chinois, est extrêmement concise. Quant à la littérature coréenne, elle nous est actuellement à peu près inconnue ; les quelques échantillons que l’on en possède se réduisent à des traductions presque littérales de quelques ouvrages classiques et élémentaires de l’Empire du milieu, tels que le Tsien-tseu-wen (livre des mille caractères).

— Ethnogr. Suivant M. Klaproth, le fond de la population coréenne proviendrait d’une race particulière de l’Asie centrale, aujourd’hui disparue. Siebold distingue deux races très-différentes, dont l’une se rapprocherait incontestablement du type mongol, et l’autre du type européen, autrement dit caucasique. Cette coexistence de deux races aussi incompatibles avait amené M. Callery à croire qu’il fallait, au point de vue linguistique, regarder le coréen comme le chaînon si longtemps et si inutilement cherché de la race chinoise se rattachant à la race indienne. Il donne à ce propos sur le langage coréen quelques détails caractéristiques, d’où il résulte que les mots polysyllabiques seraient formés d’une racine dérivée du chinois et de syllabes additionnelles empruntées à d’autres langues. Le mécanisme organique de l’idiome le classe plutôt parmi les idiomes polysyllabiques que monosyllabiques. M. L. de Rosny admet en partie ces conclusions, tout en faisant cependant quelques réserves.