Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/DOOLIN DE MAYENCE, héros célèbre dans les chansons de geste et les romans du cycle carlovingien

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Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 4p. 1106).

DOOLIN DE MAYENCE, héros célèbre dans les chansons de geste et les romans du cycle carlovingien. Les vieux jongleurs n’admettaient que trois chansons de geste : les aventures de Pépin et celles de Garin de Monglane formaient le sujet des deux premières ; Doolin de Mayence était le héros de la troisième. Cependant il est certain que ses hauts faits ne furent écrits, tels que nous les possédons, qu’après ceux de ses descendants, fils et petits-fils, Aymon de Dordogne, Beuve d’Anglemont, Ogier de Danemark, Renaud et Girard de Roussillon : d’où l’on peut conjecturer que sa chronique resta quelque temps oubliée, que les jongleurs trouvèrent plus d’intérêt à raconter les prouesses d’Ogier ou de Renaud, et que ce fut plus tard, à la fin du xiiie siècle, qu’un poète s’avisa de rechercher ce qui se rattachait au berceau de la famille de tous ces preux, à Doolin, leur ancêtre, telle que cette légende avait été écrite « par les saiges clercs de ce temps-là. »

Doolin est le fils du comte Guy de Mayence. À la suite d’un vœu, son père se retire dans un ermitage, et le sénéchal de sa maison veut contraindre à l’épouser celle qui se croit veuve du comte. Doolin et ses frères sont jetés à l’eau, mais ils survivent comme par miracle et se cachent dans les Ardennes, forêt singulière où, dans ce temps-là, se rencontraient des lions et des tigres. Un ermite, qui n’est autre que le comte Guy, devenu aveugle pour avoir voulu enfreindre son vœu, élève le petit Doolin dans le but de se venger du traître sénéchal. L’enfant grandit ; à quinze ans, il tue un bœuf d’un coup de poing et renverse un arbre à coups de lance. Armé chevalier, il part à la recherche du manoir paternel, du traître sénéchal et de sa mère, tenue au pain et à l’eau dans une oubliette, et qui ne sera délivrée que lorsqu’un champion luttera contre deux chevaliers pour elle. Dans son chemin, il tue un géant et enlève sa fille, la jolie Nicolette ; mais cela ne le détourne pas de son but pieux ; il fait assembler les barons, provoque le sénéchal et un de ses complices, les blesse tous deux, délivre sa mère et est reconnu souverain de Mayence. Telle est la jeunesse de Doolin.

Son âge mur ne le cède en rien pour les prouesses à son jeune âge. Il s’en va provoquer Charlemagne en personne, le grand empereur, qui l’a appelé homme de rien, enfant trouvé et ribaud. Un ange intervient heureusement, et le preux, avec son suzerain, part contre les Sarrasins à la recherche de Flandrine, qu’il veut épouser, sur le portrait qu’on lui en fait, car il a complètement oublié Nicolette. Flandrine est la fille de l’Andigant, roi des Sarrasins, qui, pour le moment, sont en Saxe. Doolin épouse Flandrine à la barbe de i’Andigant, qui la lui refusait ; mais le lendemain de ses noces, malgré ses grands coups d’épée et ceux de Charlemagne, malgré les têtes cassées et les hommes fendus en deux, Doolin est fait prisonnier. Les ennemis se servent de lui comme d’une cible, et lui jouent cent mauvais tours ; il souffrirait longtemps s’il ne reconnaissait dans un coin Durandal, la fameuse épée, tombée au pouvoir des mécréants ; il la prend sous prétexte de montrer aux assistants un coup d’escrime, et, une fois ainsi armé, engage un combat terrible. Comme les héros de l’Arioste, il n’en laisse pas échapper un seul ; tout le monde est tué, et il reste paisible possesseur de Flandrine.

La chanson de geste de Doolin de Mayence a été écrite par un trouvère inconnu. M. Pey en adonné une édition, d’après un manuscrit de Montpellier, dans la Collection des anciens poètes français (1859, in-16). C’est une œuvre considérable, de plus de onze mille vers, mais la première partie, l’enfance de Doolin et ses amours avec Nicolette, a un bien plus grand charme que la seconde. Le début est peut-être une œuvre originale ; pour la suite, le poëte n’a fait que rajeunir de vieilles chroniques, et le tour en est beaucoup moins piquant.

Le poëte allemand Alxinger a fait d’après notre vieux poëme français, dont il possédait sans doute un manuscrit, une composition épique portant le même titre, Doolin de Mayence (1787) ; c’est une œuvre remarquable comme intelligence de la littérature des trouvères, comme restitution de leur style et de leurs tournures archaïques.