Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/DUGUAY-TROUIN (René), un des plus illustres marins français

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Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 4p. 1358-1360).

DUGUAY-TROUIN (René), un des plus illustres marins français, né à Saint-Malo le 10 juin 1673, mort à Paris le 27 septembre 1736. Il appartenait à une famille de marins. Son père lui-même, Luc Trouin, sieur de La Barbinais, était à la fois capitaine de vaisseau et armateur. Néanmoins, le jeune René fut destiné à l’état ecclésiastique et envoyé au collège de Rennes, où il prit la soutane et fut même tonsuré, son père espérant lui obtenir, par la suite, quelque riche bénéfice par le crédit de l’évêque de Malaga, frère naturel du roi d’Espagne, qui protégeait la famille Trouin. Mais le tempérament bouillant du futur corsaire se fût mal accommodé de la vie calme et tranquille d’un riche prébendier. Luc Trouin étant mort en 1688, René, qui avait alors quinze ans et qui achevait sa rhétorique à Rennes, fut envoyé par sa mère étudier la philosophie à Caen. Là, notre héros commença à négliger ses études pour la danse, les femmes, le jeu, la paume et l’ escrime. Tombé tout à fait dans le désordre, il fit diverses escapades et poussa jusqu’à Rouen et même jusqu’à Paris. Son frère aîné, ayant appris quelle conduite il menait, le fit revenir à Saint-Malo, où l’on ne tarda pas à l’embarquer comme volontaire sur le corsaire la Trinité, dans laquelle la maison La Barbinais-Trouin avait un fort intérêt. La Trinité appareilla le 13 novembre 1689 ; Duguay-Trouin avait alors seize ans et demi. Cette première campagne fut rude pour lui : le temps fut tellement mauvais que le mal de mer ne lui laissa pas un instant de répit jusqu’à son retour à Saint-Malo. L’année suivante, après plusieurs sorties assez heureuses, la Trinité fut désarmée ; puis, quelque temps après, elle reprit la mer et fit, sur les Anglais et les Hollandais, différentes prises auxquelles Duguay-Trouin contribua par le courage et le sang-froid dont il fit preuve dans ces divers engagements.

L’année suivante, il demanda lui-même à. remonter comme volontaire sur le Grenedan, bâtiment corsaire de 18 canons et de 205 hommes d’équipage, qui rencontra, le 21 août 1691, par le travers de la baie de Bantry, quinze vaisseaux marchands anglais qui portaient depuis 14 jusqu’à 28 canons. Sur les instances de Duguay-Trouin, le capitaine du Grenedan aborda le vaisseau commandant anglais le François-Samuel, armé de 28 canons, et l’enleva rapidement, ainsi que deux autres, l’Europe et les Sept-Étoiles. Duguay-Trouin fit prisonnier lui-même le capitaine du François-Samuel et montra dans toute cette affaire une telle valeur, qu’à son retour à Saint-Malo sa famille jugea qu’elle pouvait lui confier un petit commandement. Le capitaine Duguay-Trouin avait fini son apprentissage. Il n’était encore âgé que de dix-huit ans.

Le premier bâtiment que le jeune homme eut à commander fut une petite frégate de 14 canons, assez mauvaise marcheuse, nommée le Danycan. Il dirigea sa croisière sur les côtes d’Islande, qu’il ravagea. L’année suivante, il passa sur le Coëtquen (ou le Couesquen), frégate corsaire de 18 canons et de 140 hommes d’équipage. Il appareilla de Saint-Malo le 4 juin 1692, en compagnie d’une autre frégate, le Saint-Aaron, commandée par Jacques Welche. Le 22 juin, à la hauteur du cap Cornouailles, le Coëtquen et le Saint-Aaron rencontraient trente bâtiments marchands anglais escortés par deux frégates de 16 canons. Pendant que Jacques Welche courait sur les marchands, Duguay-Trouin attaquait bravement les deux frégates et s’en emparait après une heure d’un combat assez vif. Les deux capitaines revenaient avec leurs prises à Saint-Malo, quand ils rencontrèrent une division anglaise qui leur reprit deux bâtiments marchands et à laquelle ils eurent bien de la peine à échapper eux-mêmes. Duguay-Trouin fit encore deux autres prises anglaises avant de rentrer au port, où il arriva le 14 août. Tel fut l’heureux début d’une carrière que devaient signaler tant d’éclatants faits d’armes.

Après avoir fait encore, de décembre 1692 à avril 1694, plusieurs courses fructueuses, soit sur des corsaires appartenant à sa famille, soit sur des bâtiments de l’État, Duguay-Trouin se remit à la mer le 29 avril 1694, sur la Diligente, frégate de 40 canons et de 250 hommes d’équipage. Le 12 mai suivant, la Diligente tomba dans une escadre anglaise de six vaisseaux de guerre qui tenaient la mer sous le pavillon de sir David Mitchel, contre-amiral de l’escadre bleue d’Angleterre, savoir : le Commandant, l’Aventure, le Monk, le Cantorbéry, le Dragon et le Ruby. Duguay-Trouin, voyant qu’il était perdu, résolut de vendre chèrement sa vie. Pendant douze heures, le héros, avec sa seule frégate, soutint le combat contre les six vaisseaux de guerre ; enfin, privé de presque tout son équipage, prêt à couler bas, blessé lui-même d’un boulet à la hanche, il amena son pavillon. La Diligente suivit ses vainqueurs à Plymouth et Duguay-Trouin fut enfermé dans une prison, sur le bord de la mer. Heureusement, il sut inspirer une passion ardente à une jolie marchande de cette ville, qui lui facilita les moyens de s’évader. Il s’échappa nuitamment sur une petite barque, avec son lieutenant, son maître d’équipage, son chirurgien et son valet de chambre, et, après une traversée de quarante-huit heures sur une mer assez mauvaise, il aborda le 20 juin, à huit heures du soir, sur la côte de Bretagne, à deux lieues de Tréguier, d’où il se rendit à Saint-Malo.

Aussitôt qu’il fut remis de ses fatigues, Duguay-Trouin alla prendre, à La Rochelle, le commandement du François, beau vaisseau de 48 canons, armé par son frère aîné. Le François appareilla dans les premiers jours d’octobre 1695 et débuta par amariner cinq vaisseaux marchands, puis un sixième, le 3 janvier 1696 : après quoi il attaqua une flotte marchande anglaise, escortée par deux vaisseaux de guerre, le Nonsuch, de 50 canons, et le Boston, de 72 canons. Après un magnifique combat, le Nonsuch et le Boston amenaient leur pavillon. Mais le Nonsuch arriva seul au Port-Louis, le 24 janvier, avec son vainqueur ; le Boston, emporté au large par une tempête, fut repris par quatre corsaires de Flessingue. À la suite de ce combat, Duguay-Trouin reçut une épée d’honneur et l’invitation de se joindre, avec son François, à l’escadre du marquis de Nesmond, en rade de La Rochelle. L’escadre appareilla le 20 juillet de l’île d’Aix. Pendant cette campagne, Duguay-Trouin trouva l’occasion de montrer la plus brillante valeur. Il soutint un beau combat contre l’Espérance, vaisseau anglais de 76 canons, et contribua à la prise de deux vaisseaux de la compagnie des Indes et d’un gros bâtiment marchand. L’escadre étant rentrée à Brest le 1er septembre, le François remit à la mer le 7, avec le Fortuné. Ils amarinèrent, sur les côtes du Spitzberg, trois vaisseaux de guerre anglais qui arrivaient des Indes orientales avec un chargement des plus riches.

Après cette fructueuse campagne, Duguay-Trouin fit un voyage à Paris. Il fut très-bien accueilli à la cour et présenté au roi. Après un séjour de quelques mois à Paris et à Versailles, il se rendit au Port-Louis, d’où il appareilla le 7 juillet avec son ancienne prise anglaise, le Nonsuch, devenu le Sans-Pareil, pour les côtes d’Espagne. Le 27, il surprit deux vaisseaux hollandais qu’il amarina sans peine ; mais, le lendemain 28, il rencontra toute une escadre anglaise à laquelle il parvint à échapper, à force d’audace et d’habileté. Deux mois après, Duguay-Trouin retourna croiser sur les côtes d’Espagne avec le Sans-Pareil et la Léonora, petite frégate de 16 canons, dont il avait donné le commandement à l’un de ses frères cadets, Étienne Trouin, âgé de dix-neuf ans et demi. Cette campagne fut assez malheureuse ; Duguay-Trouin y perdit son jeune frère dans un engagement avec les Portugais et ne fit qu’une seule prise, un navire hollandais richement chargé, du reste. L’année suivante, le vaillant capitaine appareilla le 15 mars, de Brest, avec le Saint-Jacques-des-Victoires, le Sans-Pareil et la Léonora, pour aller attaquer la flotte de Bilbao sur les côtes d’Espagne ; le 23, il eut connaissance de cette flotte, qui se composait d’un grand nombre de bâtiments marchands escortés par trois vaisseaux de guerre hollandais de première force, le Nassau, le Delft, vaisseau commandant de 54 canons, et l’Houslaerdick, de 54 canons. Au moment d’engager le combat, Duguay-Trouin fut rallié par deux frégates corsaires de Saint-Malo, l’Aigle-Noire et la Faluère. L’action fut des plus meurtrières ; les Hollandais se défendirent avec la plus grande bravoure, et ce ne fut qu’après cinq abordages successifs que le Saint-Jacques-des-Victoires, que montait Duguay-Trouin, put faire baisser pavillon au Delft ; plus de la moitié de l’équipage et bon nombre d’officiers étaient hors de combat ; enfin, le Saint-Jacques-des-Victoires avait été si maltraité lui-même pendant l’action, que, avant de rentrer au port, il faillit périr au milieu d’une tempête qui vint à éclater. Les trois vaisseaux de guerre hollandais et douze ou quinze bâtiments marchands furent le prix de cette belle victoire, à la suite de laquelle Duguay-Trouin fut admis dans la marine royale avec le titre de capitaine de frégate légère. Il retourna à Versailles à cette occasion ; mais il n’y demeura pas longtemps. La paix de Ryswick fut conclue sur ces entrefaites ; elle dura quatre ans, de 1697 à 1701. Duguay-Trouin passa ces loisirs forcés à Saint-Malo et à Brest.

En 1702, lors de la guerre de la succession d’Espagne, il reçut le commandement de deux frégates, la Bellone et la Railleuse, avec lesquelles il appareilla de Brest le 31 juillet. Il fit d’abord, à la hauteur des Orcades, trois prises hollandaises qu’une tempête fit échouer sur les côtes d’Écosse ; puis la Bellone, séparée de la Railleuse par les vents contraires, rencontra un vaisseau de guerre hollandais de 38 canons, nommé le Saint-Jacques, qu’elle attaqua et prit après un brillant combat d’une demi-heure ; mais une effroyable tempête étant survenue, la Bellone, complètement démâtée, eut la plus grande peine à regagner Brest.

L’année suivante (1703), le roi chargea Duguay-Trouin d’aller détruire la pêche des Hollandais sur les côtes du Spitzberg, avec les trois vaisseaux l’Éclatant, le Furieux et le Bienvenu. Il mit son pavillon sur l’Éclatant et appareilla le 20 mai. Rencontré, le 7 juillet, à la hauteur des Orcades, par quinze gros vaisseaux de guerre hollandais, il réussit à leur échapper, à force de manœuvres savantes et habiles ; puis il arriva le 30 juillet au Spitzberg, où il prit vingt vaisseaux baleiniers, en rançonna ou brûla quarante, et en coula bas six autres, et, sans les brouillards qui survinrent, il en eût détruit bien davantage. L’année suivante, il appareilla de Brest avec le Jason et l’Auguste, de 54 canons, et la corvette la Mouche, de 8 canons. Ayant rencontré une flotte marchande de trente voiles qui sortait de la Manche sous l’escorte d’un vaisseau de guerre anglais de 54 canons, nommé la Coventry, il aborda et enleva celui-ci avec son vaisseau le Jason, après trois quarts d’heure de combat, pendant que l’Auquste amarinait douze bâtiments marchands. Après cette belle campagne, Duguay-Trouin sortit de nouveau avec le Jason et l’Auguste. Deux vaisseaux de guerre anglais de 66 et de 56 canons, le Rochester et le Modéré, étant arrivés sur nos marins pour les réduire, l’Auguste lâcha pied et laissa son compagnon se tirer tout seul d’affaire, ce qui n’empêcha pas celui-ci d’arriver à Brest, mais non sans des pertes cruelles. L’année suivante (1705), le Jason mit à la voile avec l’Auguste et la frégate la Valeur, que Duguay-Trouin avait placée sous le commandement du plus jeune de ses frères, Nicolas Trouin. Il enleva d’abord, après une heure et demie de combat, un gros vaisseau de guerre anglais de 72 canons, nommé l’Élisabeth ; puis il attaqua et réduisit, après une résistance acharnée, un corsaire flessinguois de 40 canons, l’Amazone, pendant que la Valeur, séparée de ses deux conserves par un coup de vent, était attaquée par une frégate corsaire de 44 canons. Nicolas Trouin se défendit avec la plus grande vaillance, mais il fut blessé mortellement d’une balle à la hanche et mourut quelques jours après, à Brest, dans les bras de son frère désespéré. À la fin du mois de juillet de cette même année, ayant remis à la voile avec le Jason et l’Auguste, Duguay-Trouin tomba dans une escadre anglaise de vingt et un vaisseaux de guerre, à laquelle le Jason échappa seul et par miracle. Il termina la campagne en amarinant, le 31 août, deux riches bâtiments hollandais, puis deux frégates anglaises, et, quelques jours après, trois autres vaisseaux de même nationalité.

Duguay-Trouin fut enfin nommé capitaine de vaisseau cette même année (1705) ; il avait alors trente-deux ans environ. On l’envoya, l’année suivante, défendre Cadix menacé d’un siège, avec son vaisseau le Jason, le Paon, corsaire flessinguois qu’il avait pris l’année précédente, et l’Hercule, de 54 canons, capitaine de Druis. En se rendant à Cadix, il rencontra la flotte du Brésil, qui apportait à Lisbonne les revenus de cette riche colonie portugaise, sous une forte escorte. Il ne craignit pas cependant de s’attaquer à celle-ci, et, sans la maladresse de l’Hercule et une série de circonstances fatales, il se serait emparé d’un bâtiment d’une valeur immense, évaluée à plus de deux millions du piastres. Duguay-Trouin s’accorda mal avec le gouverneur de Cadix : aussi se hâta-t-il de remettre à la mer dès que sa présence n’y fut plus nécessaire. En revenant à Brest, il amarina une frégate anglaise de 36 canons, le Gaspard ; ainsi que douze bâtiments marchands sur les quinze qu’elle était chargée d’escorter. Duguay-Trouin fut nommé chevalier de Saint-Louis à la suite de cette campagne, et reçut, en outre, le commandement d’une escadre de six vaisseaux de la marine royale, avec laquelle il appareilla, dans l’espoir de se trouver sur le passage de la flotte du Brésil, qu’on attendait incessamment ; mais elle lui échappa encore et il revint à Brest sans l’avoir rencontrée. Là, il fut rejoint par le comte de Forbin, avec une escadre de six vaisseaux de guerre. Les deux escadres appareillèrent de Brest le 18 octobre, pour aller, sur les côtes anglaises, détruire un convoi de troupes que la reine d’Angleterre envoyait au roi de Portugal. Le 21, elles rencontrèrent une flotte escortée par cinq gros vaisseaux de guerre, parmi lesquels le Cumberland, portant le pavillon de l’amiral anglais sir Richard Bonard. Duguay-Trouin, qui était à l’avant-garde, s’avança contre le Cumberland et lui fit baisser pavillon après une affaire des plus chaudes ; puis il arriva sur le Devonshire, autre vaisseau anglais, qu’il coula bas. Deux autres, le Chester et le Ruby, et nombre de vaisseaux marchands furent encore amarinés, et, sans les lenteurs maladroites ou calculées de Forbin, la flotte entière eût été détruite. Forbin n’en osa pas moins s’attribuer la plus belle part de cette magnifique victoire. Duguay-Trouin reçut, en récompense de sa brillante campagne, une pension de 1,000 livres, qu’il fit reverser sur son capitaine en second, M. de Saint-Aubay, qui avait été très-grièvement blessé à l’abordage du Cumberland. Il se rendit à Versailles après ce succès et profita de l’excellent accueil qu’il reçut du roi pour en obtenir l’avancement de ses officiers.

L’année suivante (1708), il appareilla de nouveau, avec les six vaisseaux de son escadre, pour aller attendre au passage la flotte du Brésil ; il la manqua encore cette fois ; mais, ayant reconnu sept vaisseaux de guerre envoyés au-devant de cette flotte par le roi de Portugal, il voulut les attaquer ; malheureusement, les conseils de ses capitaines en second lui ayant fait perdre un temps précieux, les sept vaisseaux lui échappèrent aussi grâce à une violente tempête qui dispersa son escadre. Après cette malheureuse campagne, Duguay-Trouin ne trouva pas d’armateurs pour faire les frais d’un armement considérable, malgré sa brillante réputation, et ne put appareiller qu’avec un seul vaisseau de guerre, l’Achille, et trois frégates, l’Amazone, la Gloire et l’Astrée. Sorti de Brest vers la mi-février, il rencontra, le 2 mars, une flotte marchande anglaise escortée par trois vaisseaux de guerre de 70, 60 et 54 canons ; il l’attaqua vivement, mais l’agitation de la mer ne lui permit pas de s’en rendre maître. Trois fois l’Achille aborda le commandant anglais, trois fois la violence des vagues le rejeta à distance ; en outre, quatorze vaisseaux marchands, auxquels Duguay-Trouin avait fait baisser pavillon, purent profiter du mauvais temps pour s’échapper ; trois prises seulement arrivèrent au port. Cette courte croisière, si aventureuse et si agitée, fut loin de décourager Duguay-Trouin : il reprit la mer dès que la Gloire et l’Achille furent rétablis. Ayant rencontré, à l’entrée de la Manche, un gros vaisseau de guerre anglais de 60 canons, nommé le Bristol, il l’aborda vigoureusement et s’en empara, après trois quarts d’heure d’une mêlée des plus sanglantes ; mais ce vaisseau, très-maltraité pendant l’action, ne tarda pas à couler bas. Sur ces entrefaites arrivèrent quatorze vaisseaux de guerre anglais qui se mirent à donner la chasse à la Gloire et à l’Achille ; la Gloire fut rejointe et prise, mais l’Achille fut plus heureux et réussit à arriver à Brest le 20 mai. Peu de temps après, Duguay-Trouin et son frère aîné, La Barbinais-Trouin, reçurent des lettres de noblesse.

Nous passerons rapidement sur les nouveaux faits d’armes de Duguay-Trouin pour arriver à celui qui devait répandre son nom dans toute l’Europe. Fatigué d’avoir tant de fois attendu la flotte du Brésil sans pouvoir jamais la rencontrer, il résolut d’aller la chercher au point même d’où elle partait chaque année pour se rendre en Europe. Ayant obtenu l’autorisation du ministre et du roi, il réussit à trouver neuf armateurs qui se constituèrent en société pour faire les frais de cet armement. Le 3 juillet 1711, Duguay-Trouin appareilla pour l’Amérique avec sept vaisseaux de guerre, huit frégates et deux traversiers à bombe. Le personnel, en y comprenant les états-majors, les équipages des vaisseaux et les troupes de débarquement, se montait au chiffre de 5,684 hommes, suivant Ozanne, ou de 5,824 hommes, suivant M. de La Landelle. Le 2 juillet, l’escadre mouilla aux îles du Cap-Vert ; le 11 août, elle passa la ligne, et le 12 septembre, après une traversée de trois mois et dix jours, elle arriva en vue de Rio-Janeiro. Dès le lendemain, elle forçait l’entrée de la baie sous le feu des batteries portugaises et allait s’embosser hors de portée de canon au fond de cette baie. Les troupes furent débarquées sans obstacle les jours suivants. Le 20 septembre, Duguay-Trouin, étant arrivé sous les murs de la place après diverses attaques préliminaires, fit une sommation au gouverneur, qui n’en tint nul compte. L’assaut définitif fut fixé au lendemain 21 septembre, au point du jour ; mais, dans la nuit, les assiégés gagnèrent les montagnes, de sorte que Duguay-Trouin trouva une ville ouverte et fit son entrée sans rencontrer de résistance. Une fois dans la place, il s’y fortifia, puis envoya aux habitants de Rio-Janeiro, réfugiés dans un camp retranché, un parlementaire chargé de leur proposer de racheter leur ville, sous peine, en cas de refus, de la voir rasée et détruite. Après quelques hésitations, que la fermeté de Duguay-Trouin fit bientôt cesser, il fut convenu que, moyennant 610,000 cruzades, 5,000 caisses de sucre et des bestiaux en quantité, la ville serait remise aux habitants. En conséquence, Duguay-Trouin remit à la voile le 13 novembre, avec son escadre. En revenant en Europe, il eut une mer si mauvaise, que l’escadre fut dispersée et deux des principaux vaisseaux, le Magnanime et le Fidèle, engloutis ; les autres durent gagner un port chacun de leur côté. Duguay-Trouin arriva le 6 février en rade de Brest, avec six vaisseaux. Malgré la perte du Fidèle et du Magnanime, les bénéfices des intéressés furent encore de 92 pour 100. Duguay-Trouin reçut de la cour, en récompense, une pension de 2,000 livres sur l’ordre de Saint-Louis et le titre de commandant de la marine à Saint-Malo. Cette étonnante expédition, qui fut, du reste, la digne clôture de l’ère navale du règne de Louis XIV, couronna glorieusement les exploits de l’héroïque marin de Saint-Malo. La paix d’Utrecht, signée le 11 avril 1713, vint lui permettre de prendre du repos. Il se retira définitivement à Saint-Malo. Au mois d’août 1715, il se rendit à Versailles et reçut du roi le brevet de chef d’escadre des armées navales.

Le roi étant mort peu de temps après, Duguay-Trouin retourna à Saint-Malo, où il demeura paisiblement jusqu’en 1723, époque à laquelle le cardinal Dubois, premier ministre du Régent, l’appela à faire partie du conseil des Indes. Le 1er mars 1728, il fut nommé commandeur de l’ordre de Saint-Louis et lieutenant général le 27 du même mois. Un an plus tard, il reçut le commandement de la marine à Brest, avec la surveillance des côtes de Bretagne. Enfin, en 1731, il reçut du ministre de la marine, de Maurepas, le commandement d’une escadre destinée à punir les corsaires barbaresques des dommages incessants qu’ils causaient à notre commerce. Duguay-Trouin appareilla de Toulon, le 3 juin, avec quatre magnifiques vaisseaux de guerre, l’Espérance, le Léopard, le Toulouse et l’Alcyon. Les Barbaresques, effrayés, donnèrent toutes les satisfactions que l’on voulut, et l’escadre revint le 1er novembre à Toulon, sans avoir versé de sang, mais non sans avoir rempli son but. La guerre ayant paru un instant sur le point de se rallumer, Duguay-Trouin reçut l’ordre d’armer une escadre à Brest et d’en prendre le commandement ; mais la paix se rétablit et Duguay-Trouin dut désarmer son escadre. Peu après, les infirmités que le vaillant marin avait gagnées dans ses nombreuses et glorieuses campagnes s’aggravèrent à tel point, qu’il dut se faire transporter à Paris, où il mourut à l’âge de soixante-trois ans.

Duguay-Trouin, à toutes les qualités de l’homme de mer, joignait celles de l’homme privé : il était adoré de ses officiers et de ses matelots ; son désintéressement était tel, qu’après ces courses fructueuses qu’il avait faites il mourut presque pauvre. Il était aussi d’une modestie extrême. Il a laissé des Mémoires qui, publiés une première fois sans son autorisation en 1730, parurent à Paris en 1740 ; depuis, il en a été publié un grand nombre d’éditions ; la plus récente date de 1853. La vie de Duguay-Trouin a été écrite plusieurs fois, entre autres par l’abbé Manet et Charles Cunat, tous deux de Saint-Malo, et par Ad. Bodin (Paris, 1866, in-18).

La statue de cet intrépide marin, œuvre de Molchneth, décore l’ancienne place d’Armes de Saint-Malo, qui porte aujourd’hui le nom de place Duguay-Trouin ; on voit, en outre, à la mairie de la même ville, son portrait en pied, et au musée de Versailles sa statue de marbre noir de Carrare exécutée par Dupasquier.

— Bibliogr. Duguay-Trouin, Mémoires depuis 1689 jusqu’à 1712, publiés par Pierre de Villepontoux (Paris, 1730, 2 vol. in-12) ; par Pierre-François Godard de Beauchamps (Paris, 1740, in-4o, ou 2 vol. in-12 ; Amsterdam, 1748, 2 vol. in-12) ; trad. en angl. (Londres, 1742, 2 vol. in-12) ; Thomas, Éloge de Duguay-Trouin, lieutenant général des armées navales (Paris, 1761, in-8o), couronné par l’Académie française ; trad. en allem. (Carlsruhe, 1764, in-8o) ; Guys, Éloge de R. Duguay-Trouin (Marseille, 1761, in-8o) ; Richer, Vie de R. Duguay-Trouin (Paris, 1784, in-18 ; 1802, in-12 ; 1812, in-12 ; 1816, in-12 ; 1835, in-12 ; Troyes, 1835, in-12) ; de la Landalle, Histoire de Duguay-Trouin (Paris, 1844, in-12).

Duguay-Trouin (statue de), par Dupasquier ; palais de Versailles. L’illustre marin est revêtu d’un riche costume militaire ; il est décoré de l’ordre du Saint-Esprit et porte sur son baudrier les armoiries qui lui furent données par Louis XIV : deux fleurs de lis et une ancre. Il tient un pistolet dans la main droite, qui est baissée, et saisit de la main gauche la poignée de son épée. Il est coiffé d’un chapeau orné de plumes et tourne la tête un peu en arrière, vers la gauche, comme pour inviter son équipage à le suivre.

Cette statue, qui est le meilleur ouvrage de Dupasquier, a plus de 3 mètres de hauteur ; primitivement, elle était destinée à décorer le pont Louis XVI (pont de la Concorde). Elle a été exposée, pour la première fois, au Salon de 1817, et réexposée en 1822. Réveil, qui en a donné une gravure au trait dans la Galerie des arts et de l’histoire (V. pl. 427), dit que Dupasquier a représenté Duguay-Trouin à l’attaque de Rio-Janeiro, en 1711.

La Bourse de Nantes est décorée d’une statue de Duguay-Trouin, sculptée par de Bay père vers 1810.

Le musée de Versailles a deux portraits à l’huile de Duguay-Trouin, l’un qui a été attribué, sans preuve, à Largillière ; l’autre qui est l’œuvre d’un artiste nommé Graincourt et qui décorait autrefois l’hôtel de la Marine, à Versailles. Le premier de ces portraits a été gravé, plus ou moins fidèlement, par Petit, par Bradel, par le pantographe de Gavard ; lithographie par Hesse, etc. Un des plus anciens portraits gravés que l’on ait de Duguay-Trouin est l’œuvre de Larmessin. Le célèbre marin a le visage jeune et animé ; il a une grande perruque et porte un habit par-dessus sa cuirasse. Au bas de l’ovale qui encadre ce portrait à mi-corps, on voit les armoiries données par Louis XIV, les fleurs de lis et l’ancre, avec cette devise : Dedit hœc insignia virtus. Il y a d’autres portraits de Duguay-Trouin gravés par A.-L. de Lalive, par V. Vangelisty (1776), par Pierron, par Couché, par Landon (au trait), par Mme  de Cernel (en couleur), etc.