Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/DU GUESCLIN (Bertrand), connétable de France, un des plus grands hommes de guerre de notre pays

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Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 4p. 1360-1362).

DU GUESCLIN (Bertrand), connétable de France, un des plus grands hommes de guerre de notre pays. Il naquit, à ce que l’on croit, vers l’an 1314, au château de la Motte-Broon, près de Rennes (Ille-et-Vilaine), et mourut en 1380, sous les murs de Châteauneuf-Randon, près du Puy-en-Velay.

Froissart l’appelle Du Guesclin, et ce nom a prévalu ; mais les documents le nomment Glacquin, Gléaquin, Glayaquin, Glesquin, Gleyquin, Claikin. Dans tous les cas, il est d’origine bretonne et personnellement il croyait descendre d’un roi maure nommé Hakin, qui aurait jadis conquis la Bretagne et que Charlemagne aurait chassé du pays — Charlemagne n’alla jamais en Bretagne — vers l’an 775. Il est plus probable que la famille de Du Guesclin était une branche de celle de Dinan. Quoi qu’il en soit, par ses alliances avec les Rohan, les Craon et autres maisons illustres de la province, elle était dès longtemps tenue en haute estime dans le monde féodal du XIVXe siècle. D’après Froissart et d’Argentré, deux chevaliers de la famille Du Guesclin, Olivier et Bertrand, avaient suivi Godefroy de Bouillon en Palestine lors de la première croisade.

Du Guesclin était l’aîné de dix enfants : la nature ne l’avait pas avantagé sous le rapport physique. On lit dans un manuscrit en vers de la Bibliothèque impériale (n° 7224) :

Mais l’enfant dont je dis et dont je vois parlant,
Je crois qu’il not si lait de Resnes à Disnant,
Camus estoit et noir, malotru et massant ( ?)
Li père et la mère si le héoient tant…

La légende lui donne d’ailleurs une stature moyenne, le teint brun, le nez camus, des yeux verts, de larges épaules, de longs bras et de petites mains. Ses manières étaient à l’avenant : il était « rude, malicieux et divers en couraige. » Dans son enfance, il divisait les compagnons de son âge en petites troupes, puis les battait et les blessait les uns après les autres. Son père fut même obligé de l’enfermer à cause de ses méfaits. Pourtant une demoiselle Tiphaine, dont il devait faire sa femme, prédit dès lors qu’il deviendrait un grand chevalier.

Les mauvais traitements que son humeur lui faisait encourir le rendirent encore plus farouche. Quand on essayait de l’humilier, il se mettait en fureur, prenait un bâton et frappait sans regarder. Cela ne l’empêcha pas de devenir bon enfant et prodigue, mais néanmoins il ne fut endurant à aucune époque de sa vie. Il ne fut pas possible de lui apprendre à lire ; de guerre lasse, son précepteur l’abandonna. Le maître d’armes eut plus de succès. À seize ans, il se rend à Rennes et terrasse un athlète vainqueur de douze compétiteurs. Un tournoi donné en 1338, à l’occasion du mariage de Jeanne de Penthièvre héritière du duché de Bretagne, avec Charles de Châtillon, comte de Blois, fournit au jeune Du Guesclin un moyen de se faire connaître au loin. Toute la noblesse de France et d’Angleterre y fut convoquée. Renault Du Guesclin, père de Bertrand, s’y était rendu et avait laissé son fils au château. L’enfant, âgé de seize ans, fut contraint, pour y venir, de monter sur une jument de haras, son père ayant emmené tous ses chevaux. Dans ce piètre équipage, il alla se mêler à la fête, honteux de son rôle et jaloux de se distinguer à la vue des chevaliers les plus illustres du temps. Un gentilhomme vaincu sortait de la lice. Bertrand le suit jusqu’à sa maison, lui expose son désir de combattre et finit par le persuader de lui prêter son cheval, ses armes et son équipement. Du Guesclin arrive sur la lice, se fait ouvrir la barrière et demande à combattre. Son début fut magnifique. Il renversa son adversaire ; qui tomba évanoui sur le terrain. Renault Du Guesclin se présente pour venger le chevalier mis à terre ; mais son fils, qui le reconnaît à sa cotte d’armes et à son écu, refuse le combat. Néanmoins, il fournit douze courses dans lesquelles il fut constamment vainqueur. Dans la dernière rencontre, un coup de lance lui ayant enlevé la visière de son casque, son père le reconnut et l’emporta en triomphe. Il reçut le prix de la lutte, qu’il alla offrir généreusement au chevalier qui lui avait prêté son cheval et ses armes.

Il n’en fallait pas plus pour illustrer un homme de guerre au XIVe siècle. Bertrand Du Guesclin devint en un moment le lion du jour. Il avait pris pour devise : Notre-Dame-Guesclin, et cette devise, inscrite sur son écu, devint la terreur des chevaliers sur le champ de bataille comme dans les fêtes de la noblesse.

La fameuse querelle de Jean de Montfort et de Charles de Blois, aspirant tous deux au duché de Bretagne, ne tarda pas à donner à Bertrand Du Guesclin l’occasion qu’il cherchait de se faire une renommée qui ne fût pas appuyée sur des succès de tournois. Il prit parti pour le comte de Blois et assista au siège de Vannes parmi les partisans de son nouveau maître. On l’avait mis à la tête de vingt hommes d’armes, avec lesquels il résista toute une nuit aux efforts d’un détachement de troupes anglaises fort de 3,000 hommes. Charles de Blois, que les Anglais avaient pris, ayant été mis en liberté à charge de payer une caution, Bertrand Du Guesclin fut au nombre des gentilshommes, parmi lesquels était aussi le sire de Beaumanoir, qui se rendirent à Londres afin de remettre entre les mains d’Édouard III les deux fils du comte de Blois, envoyés en otages au roi d’Angleterre. On cite la fière réponse qu’il fit à Édouard III : « Nous observerons la trêve si vous l’observez vous-même, et nous la romprons si vous la rompez. »

De retour en France, il rendit des services dans la guerre d’escarmouches qui suivit la mise en liberté du comte de Blois. C’était l’année de la funeste bataille de Poitiers. Bertrand Du Guesclin, assisté de trois compagnons d’armes, tandis que le gros de ses forces était caché à quelque distance, s’engage sur le pont de Fougerai, en costume de bûcheron, ayant sur le dos une charge de bois ; la porte s’ouvre ; il assomme la garde avec l’aide de ses acolytes et force la place à se rendre. La même année, il accomplit à Rennes un fait d’armes encore plus surprenant. Une armée anglaise assiégeait la ville. Du Guesclin, escorté de cent hommes d’armes, pénètre à la pointe du jour dans le camp ennemi, frappe à tort et à travers sur les Anglais à demi éveillés, enlève un convoi de deux cents chariots chargés de provisions et parvient à entrer dans Rennes avec cette riche proie. Le général ennemi, qui était le duc de Lancastre, voulut le voir et lui envoya un de ses fidèles, du nom de Bembro. Celui-ci dit à Du Guesclin : « Vous avez pris Fougerai ; vous avez tué Bembro, mon parent, qui en était gouverneur ; je désire venger sa mort et demande à faire trois coups d’épée contre vous. — Six, répondit Du Guesclin en serrant la main de son adversaire, et plus si vous voulez. » Bembro fut tué ; mais les Anglais, témoins de sa mort et furieux de la perte d’un homme qui avait dans leurs rangs la même réputation que Du Guesclin parmi les chevaliers français, sommèrent le duc de Lancastre de donner l’assaut à la ville de Rennes. L’assaut eut lieu ; mais Du Guesclin, à la tête de 500 hommes, réussit à incendier une énorme tour de bois construite par le duc de Lancastre sous les murs de la ville, enfonça les troupes de Pembroke et du duc de Lancastre lui-même, qui dut lever le siège immédiatement.

Charles de Blois, ayant pu rentrer dans la ville de Rennes, fit don à Du Guesclin du domaine de la Roche-de-Rieu et l’arma chevalier de sa propre main. La vogue était aux équipées individuelles, où les Français étaient toujours vainqueurs, tandis que les Anglais gagnaient les grandes batailles. Il n’importe, l’honneur était sauf, et Du Guesclin soutenait la gloire de la patrie dans des combats qui, aujourd’hui, n’auraient aucune importance militaire. Il en livra un en 1359, durant le siège de Dinan, bloqué par le duc de Lancastre, dont le souvenir a été conservé par l’histoire. Une trêve avait été convenue entra les deux partis. Durant la trêve, un frère de Du Guesclin, surpris presque sans armes par un chevalier anglais, Thomas de Canterbury, fut retenu prisonnier. Thomas de Canterbury était un fier-à-bras jaloux de la réputation de Du Guesclin. Sa violence n’avait d’égale que son orgueil, et ses crimes l’avaient rendu redoutable aux yeux de tous. « Il a voulu vous insulter et avoir l’occasion de se battre avec vous, dit-on à Du Guesclin. — Il l’a trouvée, répondit-il, et je le ferai repentir de l’avoir cherchée. » Là-dessus il va trouver le duc de Lancastre et lui expose le fait. On fit venir Thomas de Canterbury, qui prétendit avoir eu le droit d’arrêter le frère de Du Guesclin et provoqua celui-ci. « Vous voulez vous battre, lui dit-il, je le veux bien aussi, et je vous ferai connaître pour un méchant et un traître. » Le duel eut lieu en présence des principaux officiers des deux camps et Thomas de Canterbury éprouva un échec si honteux qu’il fallut le chasser des rangs de l’armée anglaise. Du reste, le siège de Dinan fut bientôt levé.

La France était dans un triste état : les provinces étaient au pouvoir de l’ennemi ou ruinées et rançonnées par des compagnies de malandrins. Le roi Jean, n’ayant pu payer sa rançon, était retourné en captivité. Le pis était que le moral du pays était encore plus bas que sa situation matérielle. L’anarchie était au comble et la misère publique indicible.

Du Guesclin offrit cependant son épée au régent, qui devait être Charles V. On lui accorda une compagnie de cent hommes d’armes et le gouvernement de Pontorson. Il se mit à guerroyer en Normandie. Ce fut pendant cette guerre de partisans qu’il épousa Tiphaine Raguenel, femme avisée, d’une haute naissance et une des plus riches héritières de Bretagne. Le jour même où on célébra ses noces à Pontorson, Du Guesclin livrait aux Anglais un combat opiniâtre. Peu de temps après, Charles de Blois, sur le point de rompre une trêve conclue avec les partisans de Montfort, consulta Du Guesclin : « Quel indigne conseiller, lui dit celui-ci, a pu vous suggérer ce dessein ? Je vous conjure de ne rien commander qui puisse ternir votre gloire. Vous avez le droit pour vous ; vous avez une armée : ce sont des avantages qui suffisent pour vaincre vos ennemis. » Les hostilités recommencèrent, malgré les conseils de Du Guesclin, qui reprit sa vie aventureuse et fut bientôt choisi pour général en chef par Charles de Blois. Le siège de Bécherel, une défaite partielle de Montfort, qui vint attaquer Du Guesclin dans ses lignes, signalèrent son début dans le commandement en chef. Il se disposait à livrer une grande bataille dans la lande d’Evran, quand l’intervention des évêques mit fin à la lutte. Il fut convenu que la Bretagne serait partagée entre les deux prétendants. Du Guesclin fut donné en otage à Montfort ; puis, la guerre ayant recommencé, comme on ne rendait pas au héros sa liberté, il s’enfuit auprès du régent, qui lui donna le commandement d’une armée envoyée en Normandie contre le roi de Navarre, Charles le Mauvais. On était en 1364 : le roi Jean venait de mourir à Londres. La France, divisée par les factions et ouverte de tous les côtés à l’invasion étrangère, était à la veille de succomber. « La première affaire pour le nouveau roi, dit M. Michelet (Histoire de France, t. III), c’était de redevenir maître du cours de la Seine. Mantes et Meulan étaient au roi de Navarre ; Boucicaut et Du Guesclin les prirent par une insigne perfidie, « et tantôt se saisirent des portes et se mirent à crier : Saint-Yves Guesclin, et commencèrent à tuer et découper ces gens, » dit Froissart. Les deux villes payèrent tout le mal que les Navarrais avaient fait aux Parisiens. Les bourgeois eurent la satisfaction d’en voir pendre vingt-huit à Paris. »

Les Navarrais, fortifiés d’Anglais et de Gascons commandés par le captal de Buch, voulaient se venger et faire quelque chose pour empêcher le roi d’aller à Reims. Du Guesclin vint bientôt au-devant d’eux avec une bonne troupe de Français, de Bretons et aussi de Gascons. Le captal recula vers Évreux. Il s’arrêta à Cocherel, sur un monticule : mais Du Guesclin eut l’adresse de lui ôter l’avantage du terrain ; il sonna la retraite et fit semblant de fuir. Le captal ne put empêcher ses Anglais de descendre ; ils étaient trop fiers pour écouter un général gascon, quoique grand seigneur et de la maison de Foix. Il fallut qu’il obéît à ses soldats et les suivît en plaine. Alors Du Guesclin fit volte-face ; les Gascons qu’il avait de son côté avaient fait, à trente, la partie d’enlever le captal du milieu de ses troupes. Les autres chefs navarrais furent tués, la bataille gagnée… Charles V donna à Du Guesclin une récompense telle que jamais roi n’en avait donné : un établissement de prince, le comté même de Longueville, héritage du frère du roi de Navarre. Ce fut la même année (1364) que le sort de la Bretagne fut décidé, et Du Guesclin prit une grande part à cet événement. Le roi le donna avec mille lances au comte de Blois. Celui-ci en fit naturellement son général en chef. Les deux armées de Montfort et de Charles de Blois se rencontrèrent à Auray. « Montfort et les Anglais, dit encore M. Michelet, étaient sur une hauteur, comme le prince de Galles à Poitiers. Charles de Blois ne s’en inquiéta pas. Ce prince dévot, qui croyait aux miracles et qui en faisait, avait refusé, au siège de Quimper, de se retirer devant le flux. « Si c’est la volonté de Dieu, disait-il, la marée ne nous fera aucun mal. » Il ne s’arrêta pas plus devant la montagne, à Auray, que devant le flux à Quimper. »

Charles de Blois était le plus fort. Beaucoup de Bretons, même de la Bretagne bretonnante, se joignirent à lui, sans doute en haine des Anglais. Du Guesclin avait rangé cette armée dans un ordre admirable. « Chaque homme d’armes, dit Froissart, portait sa lance devant lui, taillée à la mesure de cinq pieds, et une hache forte, dure et bien acérée, à petit manche, « et s’en venoient ainsi tout bellement le pas. Ils chevauchoient si serrés qu’on n’eût pu jeter une balle de paume qu’elle ne tombast sur les pointes des lances. » Jean Chandos regarda longtemps l’ordonnance des Français, « laquelle en soy-même il prisoit durement. » Il ne s’en put taire et dit : « Que Dieu m’ayde, comme il est vray qu’il y a icy fleur de chevalerie, grand sens et bonne ordonnance. »

Charles de Blois fut tué avec ses meilleures troupes, Du Guesclin jeté à terre et fait prisonnier (29 septembre 1364). « Rendez-vous, messire Bertrand, lui avait dit Chandos, cette journée n’est pas la vôtre. » La paix fut conclue entre la France et l’Angleterre. Malheureusement, l’organisation sociale du moyen âge était faite pour la guerre. Qu’auraient pu faire en temps de paix tous ces gens d’armes, ayant reçu une éducation purement militaire et n’estimant d’autre métier que la guerre ? Ils s’adonnaient au brigandage et parcouraient le pays, pillant et volant, sous le nom de grandes compagnies. Quelque temps après la conclusion de la paix, les grandes compagnies des provinces du Midi comptaient au moins 30,000 hommes dans leurs rangs.

Du Guesclin, dont la rançon avait été fixée à 100,000 livres, se chargea de débarrasser les provinces des grandes compagnies. Le roi l’avait autorisé à employer au besoin toutes les forces du royaume pour les exterminer, car on les savait appuyées par le roi d’Angleterre et le roi de Navarre. Du Guesclin fit demander aux principaux chefs un sauf-conduit et alla les trouver dans les plaines de Chalon-sur-Saône, où ils avaient établi leur quartier général. « La plupart d’entre vous, leur dit-il, ont été autrefois mes compagnons ; vous êtes tous mes amis. Vous n’êtes point faits pour ravager et ruiner des provinces, mais pour les conquérir et pour les conserver. Je sais où la nécessité peut porter les hommes les plus vertueux. Je viens vous donner les moyens, en subsistant avec honneur, de combattre avec gloire : l’Espagne presque entière gémit dans les fers des Sarrasins ; vous aimerez mieux être les libérateurs d’un grand peuple que de ruiner une nation entière. Au reste, pour vous aider à faire ce voyage, le roi vous fait don de 200,000 florins d’or. Nous trouverons peut-être quelqu’un sur la route qui nous en donnera autant, car je prétends être du voyage avec mes amis. » Le quelqu’un dont il s’agit était le pape d’Avignon, qu’on se proposait de dévaliser avant d’entrer en Espagne. Les malandrins acceptèrent avec reconnaissance les propositions de Du Guesclin. On le prit pour général en chef, et l’élite de la noblesse de France s’empressa d’aller se ranger sous ses ordres. C’était une sorte de croisade. Arrivée à la hauteur d’Avignon, l’armée demanda au pape l’absolution de ses péchés, plus 200,000 livres. On ne pouvait pas faire moins pour des gens qu’on voulait absoudre. Le pape offrit l’absolution, mais d’argent point. L’incendie des environs d’Avignon décida le souverain pontife à transiger. On convint qu’il donnerait 100,000 livres, lèverait l’excommunication lancée contre les grandes compagnies, et qu’on s’en irait tranquillement, ce qu’on fit, car, au bout de quelques mois, l’armée française avait traversé le Languedoc et l’Aragon pour se rendre en Castille (1365). Du Guesclin allait défendre le bâtard Henri de Transtamare contre son frère, Pierre le Cruel, roi légitime de Castille. Ce dernier avait empoisonné sa femme, Blanche de Bourbon, belle-sœur du roi Charles V. Du Guesclin détrôna facilement Pierre le Cruel, et fit couronner à Burgos le prétendant Henri de Transtamare. Le gentilhomme breton devint lui-même possesseur du comté de Transtamare, dot de l’épouse du nouveau roi de Castille, mais qu’elle lui céda en témoignage de reconnaissance. On lui donna aussi le comté de Soria, on le nomma duc de Molina, et il reçut, en outre, le titre de connétable de Castille et de Léon.

Comme on le suppose, les grandes compagnies françaises s’en étaient donné à cœur joie dans un pays riche comme l’Espagne du moyen âge, civilisée par les Arabes. Aussi le prince Noir, le duc de Lancastre, Chandos et le captal de Buch n’eurent pas de peine à rétablir les affaires de Pierre le Cruel. Du Guesclin était revenu en France. Il réunit à la hâte 10,000 hommes de troupes françaises et bretonnes, força les Pyrénées et courut se ranger sous les ordres de Transtamare, qui avait rassemblé près de 100,000 hommes à Navarete. Du Guesclin lui conseillait d’éviter une bataille décisive. « Vous serez vaincu, lui dit-il ; je vous le prédis, je vous l’assure ; la nuit me trouvera mort ou prisonnier ; mais ce n’est pas moi qui y perdrai le plus. » Le combat fut livré et perdu (1367). Du Guesclin, sur le point d’être pris, entendit Pierre le Cruel crier à ses gens : « Point de quartier à Du Guesclin. » Le bon chevalier se jeta sur lui, le renversa d’un coup d’épée et dit au prince Noir en lui tendant son arme : « J’ai du moins la consolation de la rendre au plus vaillant prince de la terre. — Eh bien ! messire Bertrand, lui dit le captal de Buch, vous m’avez pris à Cocherel, mais je vous tiens aujourd’hui (il était chargé de le garder). — Oui, mais, fit Du Guesclin, à Cocherel, je vous ai pris moi-même ; ici, vous ne faites que me garder. » Pierre le Cruel, qui n’avait été qu’étourdi, voulut, quand il fut revenu à lui, assassiner Du Guesclin. Le prince Noir le retint et protégea le prisonnier, qu’on évacua sur Bordeaux.

Henri de Transtamare se réfugia en France et trouva le moyen de s’aboucher avec Du Guesclin dans sa prison de Bordeaux. Il s’agissait d’abord de procurer la liberté au héros. « Bah ! dit le sire d’Albret au prince Noir, il y a des gens, monseigneur, qui osent mettre ce guerrier au-dessus de vous ; il y en a même d’assez téméraires pour soutenir que la crainte seule vous empêche de lui rendre la liberté. — Je ne crains personne, dit le prince Noir, et je ferai taire ces gens-là en mettant tout à l’heure Du Guesclin en liberté : qu’on me l’amène ici. » Quand le gentilhomme fut là, le prince de Galles lui dit : « Vous êtes libre ; c’est pour prouver que je vous estime, mais que je ne vous crains point. — N’est-il pas vrai, monseigneur, reprit Du Guesclin, que vous vous repentez d’avoir servi ce traître de don Pèdre (il n’avait pas rempli ses engagements envers le prince Noir), qui vous a trahi à son tour ? Puisque je suis libre, je fais serment que don Henri chassera ce faux prince et qu’il remontera sur le trône. » Comme on voulait le mettre à rançon : « Souvenez-vous bien, dit-il, que je suis un pauvre chevalier. — Eh bien, dit le prince Noir, vous payerez 100 livres seulement, et moins si vous le désirez. — C’est trop peu : j’offre 100,000 florins d’or. — C’est trop, reprit le prince. — Alors j’en donnerai 70,000 et je n’en rabattrai rien : c’est mon dernier mot. — Mais, dit le prince anglais, s’il est vrai que vous êtes pauvre, où trouverez-vous tant d’argent ? — J’ai des amis ; les rois de France et de Castille ne m’en laisseront pas manquer, et il y a cent chevaliers bretons qui vendraient leurs terres pour faire la somme. »

La princesse de Galles fit accepter 30,000 florins d’or à Du Guesclin. Si le héros avait voulu écouter les propositions de Chandos et d’autres seigneurs de la cour du prince Noir, il eût eu de quoi payer sa rançon avant de sortir de Bordeaux. Ce fut une fête générale sur la route de Paris à Bordeaux ; Charles V fit rendre les honneurs souverains au prisonnier de Navarete, qui n’eut rien de plus pressé que d’accomplir la mission qu’il s’était imposée de replacer Henri de Transtamare sur le trône de Castille. Le roi de France et le pape d’Avignon l’aidèrent de leur mieux, l’un en fulminant contre Pierre le Cruel, l’autre en fournissant des troupes et de l’argent à Du Guesclin. Pierre le Cruel appela les rois maures à son secours ; ils furent battus près de Cadix par Du Guesclin. Alors l’Afrique mauresque vint au secours du prince excommunié, mais ce fut en vain ; il fut de nouveau vaincu et pris. On a vu plus haut qu’il avait voulu tuer Du Guesclin prisonnier ; on dit que, dans une entrevue qui eut lieu entre Du Guesclin et Pierre le Cruel, en présence de Henri de Transtamare, don Pedro voulut saisir le poignard de son frère et en frapper Du Guesclin. Toujours est-il que celui-ci l’étendit mort à ses pieds.

En France, on fit Du Guesclin connétable en son absence, et à son retour (1370) il prit le commandement de l’armée française. Les Anglais étaient aux portes de Paris ; il les chassa et leur prit la Normandie. Après cette expédition, le roi le choisit pour parrain de son second fils, Louis de France, duc d’Orléans. « Monseigneur, dit-il à l’enfant en lui mettant son épée dans la main, je vous fais présent de cette épée, priant Dieu qu’il vous fasse la grâce et qu’il vous donné tel et si grand cœur que vous soyez un jour aussi preux et aussi bon chevalier que fut oncques roi de France. » Puis, dans une campagne faite en Guyenne, après maints combats heureux, il emporta Limoges, Saint-Sever, Poitiers, Châtellerault, La Rochelle, Fontenay-le-Comte, Thouars, Niort, etc. D’autres expéditions au Nord et en Bretagne, où Montfort avait appelé les Anglais, le placèrent à la tête des plus grands généraux du siècle. Les Anglais et Montfort furent vaincus ; le connétable poursuivit les fugitifs, réduisit dans des combats journaliers leur armée de 60,000 à 6,000 hommes. Enfin, une incursion heureuse dans le comté de Foix et la prise de Lourdes (1373) forcèrent le prince de Galles à demander la paix. Pourtant Montfort était rentré en Bretagne avec une armée anglaise commandée par le duc de Lancastre. Charles V cita Montfort, vassal de la couronne, à comparaître à son tribunal, et, sur son refus, déclara la Bretagne réunie à la France. Du Guesclin, chargé d’exécuter la sentence, fut abandonné de ses Bretons et réduit à l’impuissance. Ses ennemis le desservirent, en outre, auprès du roi, qui crut à une trahison secrète. Du Guesclin déposa l’épée de connétable et écrivit (fit écrire) au roi une lettre de justification. Charles V, honteux de ses soupçons, lui envoya des ambassadeurs. « Beau cousin, lui dit le duc de Bourbon, des flatteurs avaient surpris le roi ; il vous prie de rester à son service, et voilà l’épée de connétable que je vous rapporte de sa part. — Je dois tout aux bontés du roi, dit Du Guesclin, mais je n’ai garde de m’exposer davantage à une disgrâce pareille à celle qui vient de m’arriver. C’est trop pour un homme de ma sorte d’avoir été soupçonné une seule fois. Je vais mourir en Espagne, où je porterai le désespoir de n’être pas mort en France un an plus tôt. » Les envoyés du roi lui laissèrent cependant l’épée de connétable, qu’il emporta dans son voyage en Espagne. En route, il s’arrêta sous les murs de Châteauneuf-Randon, qu’assiégeait le maréchal de Sancerre, ami de Du Guesclin. La soif de combattre le reprit, et il dirigea plusieurs assauts. Le gouverneur avait promis de se rendre dans quinze jours s’il n’était pas secouru. Du Guesclin tomba malade et mourut dans l’intervalle. Le gouverneur, fidèle à sa parole, apporta les clefs de la ville sur le cercueil du connétable. Celui-ci, se sentant mourir, dit à Sancerre en lui remettant l’épée de connétable : « Elle m’a aidé à vaincre les ennemis de mon roi, mais elle m’en a donné de cruels auprès de lui. Je vous la remets et je proteste qu’elle n’a jamais trahi l’honneur que le roi m’avait fait en me la confiant. » Il ajouta, en se tournant vers les officiers qui l’entouraient : « Souvenez-vous qu’en quelque pays que vous fassiez la guerre les gens d’Église, les enfants et le pauvre peuple ne sont point vos ennemis. »

Il mourut le 13 juillet 1380, quelques mois avant Charles V. De grands honneurs furent rendus à sa mémoire, et Charles V voulut qu’il fût enterré à Saint-Denis, dans le tombeau des rois de France. En 1389, Charles VI lui fit faire de nouvelles funérailles encore plus magnifiques que celles de 1380. Du Guesclin ne laissa qu’un fils naturel. Il avait épousé en secondes noces Jeanne de Laval, fille de Jean de Laval, sire de Châtillon, dans l’espérance d’avoir un héritier légitime ; ses vœux ne furent point exaucés, et sa succession revint à son frère, Olivier Du Guesclin, le compagnon ordinaire de ses exploits.

Il est assez difficile aujourd’hui de porter sur Du Guesclin un jugement exact. « La vie de ce fameux chef de compagnies, dit M. Michelet, qui délivra la France des compagnies et des Anglais, a été chantée, c’est-à-dire gâtée et obscurcie, dans une sorte d’épopée chevaleresque (Roumant de Bertrand Du Glaicquin), que l’on composa probablement pour ranimer l’esprit militaire de la noblesse. Nos histoires de Du Guesclin ne sont guère que des traductions en prose de cette épopée. Il n’est pas facile de dégager de cette poésie ce qu’elle présente de sérieux, de vraiment historique. »

D’après le même écrivain, « cet intraitable batailleur était pourtant, comme sont volontiers les Bretons, bon enfant et prodigue, souvent riche, souvent ruiné, donnant parfois tout ce qu’il avait pour racheter ses hommes ; mais, en revanche, avide et pillard, rude en guerre et sans quartier. Comme les autres capitaines de ce temps, il préférait la ruse à tout autre moyen de vaincre, et restait toujours libre de sa parole et de sa foi. Avant la bataille, il était homme de tactique, de ressource et d’engin subtil. Il savait prévoir et pourvoir. Mais, une fois qu’il y était, la tête bretonne reparaissait, et il plongeait dans la mêlée, et si loin qu’il ne pouvait pas toujours s’en retirer. Deux fois il fut pris et paya rançon. » Citons aussi le jugement que porte Henri Martin sur Du Guesclin : « Aussi susceptible que qui que ce fût sur le point d’honneur individuel, et toujours prêt à descendre en champ clos contre tout venant, il regardait l’application des idées du point d’honneur à la guerre comme une absurdité, et, dès qu’il se trouvait en campagne à la tête d’une troupe de gens d’armes, il ne connaissait plus d’autre but que le succès ; la force ouverte ou la ruse, tout lui était bon. Quoique terrible sur le champ de bataille, il aimait de prédilection les surprises nocturnes, les embuscades, les stratagèmes où se déployait son esprit inventif ; il aimait à combiner ses mouvements, à étudier les accidents du terrain, à mettre à profit toutes les circonstances qui pouvaient influer sur le sort des armes. Il voyait dans la guerre une science et non un jeu de hasard. Ce n’était pas là, comme on l’a dit, détruire la poésie de la guerre chevaleresque, c’était rendre la vie au génie militaire de la France, étouffé sous cette chevalerie de théâtre qu’avaient mise en faveur les premiers Valois. La passion intelligente du guerrier pour son art était certes quelque chose de puissant et d’élevé, et Bertrand Du Guesclin apparaissait aux masses sous un aspect qui n’était rien moins que prosaïque. On racontait qu’une nonne, juive convertie, experte en chiromancie, avait prédit autrefois que cet enfant si malvenu de ses proches serait « honoré entre tous ceux du royaume de France. » Les astres confirmaient les prédictions de la chiromancie, et le terrible soldat avait pour femme une savante « astrologienne, » qui donnait le ciel pour garant au succès de ses entreprises ; bien des gens la croyaient fée. Plus tard, quand Bertrand fut au comble de la renommée, on prétendit que Merlin avait présagé sa venue en parlant d’un guerrier qui portait un aigle sur son écu. »

— Bibliogr. Consulter les ouvrages suivants : le Triomphe des neuf preux…, avec l’ystoire de Bertran de Guesclin (Abbeville, 1487, in-fol. goth., fig. ; Paris, 1597, in-fol. goth., fig., trad. en espagnol par Antonio Rodriguez ; Lisbonne, 1530, in-fol. goth., fig.) ; Bertrand Du Guesclin (in-fol. goth., fig. ; c’est un roman historique qui a été réimprimé sous différents titres) ; Prouesses et vaillances du preux chevalier Bertrand Du Guesclin, jadis connétable de France et seigneur de Longueville (Paris, 1521, in-4o goth., fig. ; Lyon, 1529, in-4o goth., fig. ; même ouvrage que le précédent) ; les Faitz et gestes de noble et vaillant chevalier Bertrand Du Guesclin (Paris, Jehan Bonfons, in-4o goth., fig. ; autre édition du même ouvrage) ; Histoire de messire Bertrand Du Guesclin, connétable de France, duc de Molines, comte de Longueville et de Burgos, écrite en prose l’an 1387, à la requête de messire Jean d’Estouteville, et nouvellement mise en lumière par Me  Claude Ménard (Paris, 1618, in-4o ; anc. traduct. en prose d’une chronique en vers) ; Histoire de B. Du Guesclin, composée nouvellement et donnée au public avec plusieurs pièces originales, par P. Hay du Chastelet (Paris, 1666, in-fol. ; 1693, in-4o) ; Anciens mémoires du XIVe siècle, où l’on apprendra les aventures de la vie du fameux Bertrand Du Guesclin, nouvellement traduits par Jacq. Le Febvre (Douai, 1692, in-4o, dans la Collect. universelle des Mém. relat. à l’hist. de France, t. III-IV ; dans la Collect. Petitot, t. IV-V ; dans la Collect. Michaud et Poujoulat, t. III) ; Vie de Bertrand Du Guesclin, dans les Vies des hommes illustres de France, par d’Auvigny (Paris, 1743, in-12, t. VIII) ; Histoire de Bertrand Du Guesclin, par Guyard de Berville (Paris, 1767, 1772, 1827, 2 vol. in-12 ; Tours, Mame, 1843, et souv. réimpr. depuis par la même maison en 1 vol. in-12 ; on connaît aussi plusieurs autres abrégés de cette histoire) ; Vie de Bertrand Du Guesclin, connétable de France, par A. Mazas (Paris, 1829, 2 part. en 1 vol. in-8o, t. III des Vies des grands capitaines français du moyen âge, avec un titre particulier) ; Chronique de Du Guesclin, collationnée sur l’édition originale du XVe siècle et sur tous les manuscrits, avec une notice bibliographique et des notes, par Fr. Michel (Paris, 1830, in-18, fig.) ; Chronique de Bertrand Du Guesclin, par Cuvelier, trouvère du XIVe siècle, publiée pour la première fois par E. Charrière (Collect. des docum. inédits sur l’histoire de France, Paris, 1839, 2 vol. in-4o : cette chronique est en vers monorimes) ; Chronique de Du Guesclin, dans le Panthéon littéraire (Paris, 1841, gr. in-8o) ; Archéoloqie armoricaine : notes recueillies sur B. Du Guesclin (Rennes, s. d., br. in-4o) ; Histoire de Bertrand Du Guesclin, considérée principalement sous le rapport stratégique, poliorcétique et militaire en général, par de Fréminville (Brest, 1841, in-8o, lithogr.) ; Bertrand Du Guesclin, par C. Fallet (Rouen, 1850, 1862, 1863, in-8o) ; Bertrand Du Guesclin en Bretagne, par L.-H. de Bérard (Dinan, 1862, in-8°). Consultez encore les Chroniques de Froissart ; les Chroniques de Saint-Denis ; l’Histoire de Languedoc, par D. Vaissette, t. IV, p. 577 ; D, Martène, Thesaurus anecdotorum, t. III, p. 1501 ; D. Morice, Histoire de Bretagne, t. II ; de Carné, les Fondateurs de l’unité nationale en France (t. Ier, 1856, 2e édit.).

Duguesclin (la mort de, drame héroïque en trois actes, en vers, joué pour la première et la dernière fois au mois d’août 1807, au Théâtre-Français. L’auteur, qui ne s’est pas fait nommer, le public ayant plus que froidement accueilli sa pièce, a cru devoir la faire imprimer, toujours sans se nommer, et personne n’a levé le voile de l’anonyme sous lequel il est resté caché, La catastrophe de ce « drame héroïque » est la mort de Du Guesclin. Il était bien naturel que, dès le commencement de la pièce, on parlât de sa maladie : la première scène est le bulletin de sa santé ; à la seconde scène, il paraît malade, et le duc d’Anjou vient lui conseiller de voir un médecin ; au second acte, on vient savoir de ses nouvelles ; au troisième, il recommande son âme à Dieu ; il meurt enfin, et le public enterre… la pièce.

Du Guesclin (LA RANÇON DE) ou les Mœurs du XIVe siècle, comédie en trois actes et en vers, par Arnault, de l’Académie française, représentée à Paris, sur le Théâtre-Français, en février 1814. La première édition in-8° est de 1814 ; la pièce fait partie du tome III des Œuvres d’Arnault (Paris, 1826, in-8°).

L’œuvre n’a pas obtenu un très-grand succès sur la scène ; elle supporte mieux la lecture. Le principal reproche articulé contre l’auteur est qu’il a rabaissé le caractère de Du Guesclin en le montrant sous un jour familier. Du Guesclin n’a pas besoin d’échasses ; mais ce qui est malheureusement vrai, c’est que l’auteur ignore absolument ce que c’est que la couleur historique. Arnault s’est néanmoins attaché scrupuleusement à ne rien inventer. « Tous les faits, dit-il, représentés ou rappelés dans ce drame sont historiques ; l’on n’a inventé que le cadre qui les réunit. Quant aux mœurs, ce sont celles de l’époque, reproduites avec une fidélité scrupuleuse. »

Le poète a fait précéder sa pièce d’un prélude en vers où il explique son intention :

Si ce n’est qu’un croquis, du moins
C’est celui d’un tableau d’histoire ;
C’est celui de ce bon vieux temps
Si regretté de l’ignorance,
Où les héros et les brigands
À qui mieux mieux pillaient la France ;
Où de riches aventuriers,
Riches sans avoir une obole,
N’empruntaient pas moins sur parole,
Et payaient, grâce aux roturiers ;
Où la plus fière châtelaine,
Comme le rempart le plus haut,
Pouvait être prise d’assaut
Trois ou quatre fois par semaine ;
Où nul, y compris l’aumônier,
Dans le château ne savait lire ;
Où quiconque savait écrire
Était hérétique ou sorcier.

La scène, au premier acte, est dans une auberge, et, pendant les deux derniers, à la Roche d’Airieu ou de Rieu, château de Du Guesclin (aujourd’hui la Roche-Derrien). On y voit figurer Du Guesclin, des chevaliers bretons et anglais, Tiphaine Raguenel, épouse de Du Guesclin, des hérauts d’armes, des soldats et un aubergiste juif nommé Issachar, qui est un des personnages importants de la pièce.

Voici le sujet de la comédie d’Arnault : Du Guesclin, pris en Espagne et conduit à Bordeaux, est mis en liberté par le prince Noir. Il fixe lui-même sa rançon. La duchesse de Galles lui offre 30,000 florins d’or. Chandos et d’autres chevaliers anglais veulent parfaire les 70,000 florins nécessaires. La pièce commence seulement là. Du Guesclin emploie le prix de sa rançon à racheter ses compagnons d’armes. C’est l’objet du premier acte. Dans le second, il retourne à son château de la Roche d’Airieu, explique sa conduite aux siens et excite leur admiration. L’auteur n’a pas su tirer parti d’une situation fort dramatique : il donne à ses personnages sa propre taille. Tiphaine Raguenel est une femme de boutiquier moderne, qui parle comme M. Prudhomme ; sa mère Clémence, une fille de boutique dont l’héroïsme ressemble à celui d’une gamine qui se prive d’un morceau de sucre d’orge au profit de son oncle. Il y a un abbé, oncle de Du Guesclin, qui assomme les gens au lieu de les pourfendre : Ecclesia abhorret a sanguine. Voici comment le héros s’exprime au troisième acte, où on lui apprend que la duchesse de Bretagne, épouse de Montfort, son ennemi, a payé sa rançon :

DU GUESCLIN.

… Je m’étais cru jusqu’ici Le plus laid chevalier de France ; Je change d’avis ; et, ma foi, Puis-je faire autrement, ma femme, Quand une belle et noble dame Se met en frais ainsi pour moi ?

CAURELAI.

Ce n’est pas tout ; sachez que, plein d’estime

     Pour ce courage magnanime

Que vous avez longtemps déployé contre lui, Le nouveau duc confirme, en sa munificence. Les dons que son rival, dont vous étiez l’appui,

     Vous fit dans sa reconnaissance.

Conformément aux vœux de son prédécesseur, Soyez de ce château paisible possesseur.

DU GUESCLIN.

Pour mon premier seigneur j’aurai toujours des larmes. Au nouveau, toutefois, mon hommage est acquis ;

    Et croyez qu’il m’a plus conquis
    Par sa bonté que par ses armes.
 Il n’aura pas de vassal plus soumis.

La platitude du langage égale, comme on voit, la niaiserie de la pensée, et l’on prête à Du Guesclin des sentiments qu’il n’a pas eus, car son hommage à Montfort eût été une trahison envers le roi de France. On l’en accusa sans doute, mais on n’a pas démontré que l’accusation fût fondée.

Au moment où Du Guesclin vient de reconnaître le duc de Bretagne, arrive un messager du roi de France avec la rançon de Du Guesclin et, de plus, l’épée de connétable. Le héros est au comble de la joie. Suit une immense ripaille, et la toile tombe. Cette fin n’est pas historique ; elle n’est pas non plus digne de Du Guesclin.

Du Guesclin (la mort de), tableau de Tony Johannot. Le connétable Serre de sa main débile sa vaillante épée et semble prier Dieu, en mourant, de donner à la France un défenseur aussi dévoué et aussi intrépide qu’il l’a été lui-même. Les figures groupées autour du lit sont recueillies et pieuses. « J’ai surtout distingué, a dit G. Planche, un jeune page aux blonds cheveux, dont la douleur est pleine d’un religieux frémissement ; il semble qu’il s’étonne que Dieu reprenne à la France un héros tel que Du Guesclin. Toute cette composition est très-bien entendue. Je ne blâme pas le reflet azuré qui se projette sur les figures ; mais je regrette que les vêtements et les armures, dont la couleur est bien choisie, et qui se fondent dans une gamme harmonieuse, n’aient pas pris sous le pinceau un relief plus saisissant et plus décidé… L’unité se comprend au premier regard ; mais il manque à l’achèvement des parties une persévérance plus soutenue. » Ce tableau, commandé par le duc d’Orléans, a figuré au Salon de 1834 ; à la vente des œuvres d’art ayant appartenu au prince, vente qui eut lieu à Paris en 1853, il a été payé 2,100 francs.

Un autre tableau de Tony Johannot, exposé au Salon de 1840, met en scène un trait de l’Enfance de Du Guesclin. Le futur connétable était, dans son enfance, dur, féroce et détesté de tous ceux qui l’approchaient. Sa mère, désolée et désespérant de le dompter, l’avait relégué à la cuisine avec les domestiques. Un jour, il accourt furieux, se place à table de vive force, gaspille tous les mets, renverse les plats, bat le majordome. Comme sa mère se disposait à le punir, une savante religieuse entra dans l’appartement, considéra le jeune Bertrand d’une manière attentive et prédit à la dame Du Guesclin la haute fortune de ce fils qu’on avait traité jusque-là comme un enfant maudit.

Une miniature des Chroniques de Saint-Denis (XIVe siècle, publiée dans l’Univers pittoresque [France, pl. 361], représente la mort de Du Guesclin devant le château de Randon. Le commandant anglais, fidèle à la parole qu’il avait donnée au connétable de lui remettre la place le 20 juillet, dépose sur son lit de mort les clefs de la citadelle. La même scène a été peinte par un artiste contemporain, M. Th. Aligny (Salon de 1838). Sur son tombeau, à Saint-Denis, Du Guesclin était représenté couché, les mains jointes ; cette sculpture a été publiée par M. Alex. Lenoir (Atlas des arts en France, pl. 40) et par Beaunier et Rattier (Choix des costumes français, I, pl. 139). Une autre miniature des Chroniques de Saint-Denis montre Du Guesclin recevant de Charles V l’épée de connétable. Une planche des Monuments de la monarchie française, par B. de Montfaucon, représente Du Guesclin placé au pied du trône royal et tenant l’épée de connétable.

Le musée de Versailles possède une belle statue de marbre de Du Guesclin, sculptée par Foucou et qui a été exposée au Salon de 1789. Bridan a fait aussi une statue de marbre. du connétable ; il l’a représenté debout, revêtu de son costume de guerre, la main droite appuyée sur son épée nue, la gauche sur l’écu de France.