Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Danton (louise gely, femme)

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Administration du grand dictionnaire universel (6, part. 1p. 95).

DANTON (Louise Gely, femme). Il y avait quatre mois et sept jours que Danton avait perdu sa première femme, la bonne, la sublime fille du limonadier du pont Neuf, et avec elle s’étaient envolés le bon ange du fougueux tribun, sa fortune, sa foi, sa force. Danton l’avait aimée pour sa bonté, pour sa soumission et parce que, disait-il lui-même, elle avait cru en lui quand personne n’y croyait. « Elle avait eu, dit Michelet, dans sa situation aisée et calme, le mérite de vouloir courir le hasard, de reconnaître et suivre ce jeune homme, ce génie ignoré, sans réputation ni fortune. Elle s’était associée à cette destinée obscure, flottante, et qu’on pouvait dire bâtie sur l’orage. Simple femme, mais pleine de cœur, elle avait saisi au passage cet ange de ténèbres et de lumière, pour le suivre à travers l’abîme… » Huit jours après que la terre lui eut pris sa compagne, il voulut la reprendre à la terre, et, éperdu, fou, rugissant de douleur, il se jeta sur son cadavre en putréfaction. Pourquoi donc, encore en deuil, Danton se remariait-il ? Ainsi l’avait voulu la morte. Elle l’avait voulu parce qu’elle avait deviné que l’affection de son mari pour elle n’était plus de l’amour, mais une tendresse assez voisine de la vénération ; elle avait fait une autre découverte encore : elle avait deviné que Danton aimait, et, bientôt après, qui il aimait. Et, voulant être généreuse après sa mort autant qu’elle l’avait été durant sa vie, elle avait, mourante, ordonné, préparé le mariage. Et puis elle laissait deux petits enfants (l’un avait été conçu le jour de la prise de la Bastille, l’autre après la mort de Mirabeau, au jour du triomphe de leur père), et elle espérait leur donner une mère en celle qu’aimait son mari. Enfin elle aurait voulu que son mari s’arrêtât dans la voie pleine de périls qu’il parcourait, sur cette pente au bout de laquelle il devait trouver la mort, et elle espérait en sa conversion, s’il épousait la jeune fille qu’il aimait, une royaliste, Mlle Louise Gely.

Louise Gely avait seize ans ; elle était belle et pure. Son père, huissier audiencier au Parlement, avait accepté que Danton, devenu ministre, le protégeât, le fît avancer, lui donnât une bonne place dans le département de la marine ; il était royaliste cependant.

Et lorsque Danton, Danton l’ancien ministre, le puissant, le dieu du jour, se présenta pour demander la main de la fille d’un huissier, le père se montra fier, hautain ; la mère parut offensée ; la jolie et délicate enfant fut effrayée.

On crut éloigner le prétendant en lui disant d’abjurer sa foi, Il abjura. On crut le révolter, le faire fuir en lui signifiant que la cérémonie du mariage devrait être faite scrupuleusement selon le rite catholique. « Ce fils, ce serf de la nature, dit l’auteur que nous venons de citer, obéit sans difficulté. Quelque autel ou quelque idole qu’on lui présentât, il y courut, il y jura… Telle était la tyrannie de son aveugle désir. La nature était complice ; elle déployait tout à coup toutes ses énergies contenues ; le printemps, un peu retardé, éclatait en été brûlant ; c’était l’éruption des roses. Il n’y eut jamais un tel contraste d’une si triomphante saison et d’une situation si trouble ; dans l’abattement moral pesait d’autant plus la puissance d’une température ardente, exigeante, passionnée. Danton, sous cette impulsion, ne livra pas de grands combats quand on lui dit que c’était d’un prêtre réfractaire qu’il fallait avoir la bénédiction. Il aurait passé dans la flamme. Ce prêtre enfin, dans son grenier, consciencieux et fanatique, ne tint pas quitte Danton pour un billet acheté. Il fallut, dit-on, qu’il s’agenouillât, simulât la confession, profanant dans un seul acte deux religions à la fois : la nôtre et celle du passé. Où donc était-il, cet autel consacré par nos assemblées à la religion de la loi, sur les ruines du vieil autel de l’arbitraire et de la grâce ? Où était-il l’autel de la Révolution, où le bon Camille, l’ami de Danton, avait porté son nouveau-né, donnant le premier l’exemple aux générations à venir… » Lorsque, pour se débarrasser de Danton, on l’accusa de conspirer : « Moi, dit-il, c’est impossible !… Que voulez-vous que fasse un homme qui chaque nuit s’acharne à l’amour ? »

Mlle Louise Gely a pour nous peu d’intérêt ; et Danton mort, elle ne nous intéresse plus, elle est morte pour nous. N’allons pas plus avant.