Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/ESQUIROL (Jean-Étienne-Dominique), médecin français

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Administration du grand dictionnaire universel (7, part. 3p. 933-934).

ESQUIROL (Jean-Étienne-Dominique), médecin français, né à Toulouse le 3 février 1772, mort à Paris le 12 décembre 1840. Il se destina d'abord à la prêtrise. Après avoir achevé ses études au séminaire de l'Esquille, il vint faire sa philosophie à Saint-Sulpice. Il s'y faisait remarquer par son ardeur au travail, lorsque la Révolution ferma cette maison religieuse. Le jeune séminariste retourna alors à Toulouse et entra à l'hospice de la Grave, où son zèle et la justesse de ses vues ne tardèrent pas à attirer sur lui la bienveillance de Gardiel et d'Alexis Larrey, l'un médecin, l'autre chirurgien en chef. Grâce à la direction et aux conseils de pareils maîtres, les progrès d'Esquirol furent rapides, et, au bout de quelque temps il fut envoyé à l'armée des Pyrénées-Orientales en qualité d'officier de santé. Il avait alors vingt-deux ans. Comme il se trouvait à Narbonne dans les hôpitaux militaires, il eut le bonheur d'arracher au tribunal révolutionnaire un officier accusé d'avoir abandonné ses drapeaux. Dans son discours prononcé sur la tombe d'Esquirol, le 14 décembre 1840, M. Pariset raconte ainsi cet épisode de la vie du célèbre aliéniste : « Le tribunal révolutionnaire était en permanence à Narbonne. Un mauvais avocat plaidait en mauvais langage pour les prévenus, et les prévenus étaient condamnés. Révolté de cet odieux mélange de ridicule et de barbarie, Esquirol s'écrie d'une voix émue : « Je saurais mieux défendre l'innocence. » Des femmes l'entendirent. Le mari de l'une d'elles allait être mis en cause. Elle conjure, en pleurs, Esquirol de parler pour ce malheureux. Esquirol consent. Le voilà devant le tribunal révolutionnaire. Inspiré par la justice et la pitié, Esquirol fait entendre cette fois un langage si incisif, si touchant et si nouveau pour les juges, surpris et charmés, que le prétendu coupable est absous... Ce même service, il le rendit peu après dans sa ville natale à un pauvre officier qu'on accusait d'avoir pris un peu de fer dans les ateliers de la République. »

Ces succès oratoires ne le détournèrent pas de la carrière médicale. Aussitôt qu'il fut libéré du service militaire, Esquirol fut envoyé comme élève du gouvernement à la Faculté de Montpellier, où il obtint, un an après son entrée, deux seconds prix d'histoire naturelle. Pour la seconde fois il vint alors à Paris, désireux de compléter ses études et de trouver dans l'exercice de sa profession des ressources que sa pauvre famille n'était plus à même de lui fournir. Il y arriva léger d'argent. Une étourderie mit le comble à sa détresse, dit M. Pariset, qui raconte comme il suit les premiers pas d'Esquirol dans une carrière qui lui réservait un si bel avenir : « Dans les replis d'un court vêtement, il tenait cachée une petite somme en or que lui avait ménagée la tendre prévoyance de son père ; ce vêtement n'était plus de service. Il le jeta par la fenêtre sans en retirer la somme. Il l'avait oubliée. Il en écrivit à Toulouse, demandant un supplément ; on ne le crut pas ; le supplément n'arriva que plus tard. Toutefois, il ne perdit pas courage. Il se ressouvint d'un ami qu'il s'était fait au séminaire, M. de Puisieulx, lequel était instituteur d'un enfant que nous avons vu depuis à la tête des affaires, M. Molé. M. Molé demeurait avec sa mère à Vaugirard. Esquirol va trouver son ami. M. de Puisieulx le présente à Mme Molé, qui l'accueille avec bienveillance et lui donne une chambre dans sa maison. Le vivre et le couvert, voilà pour le présent, l'étude va faire le reste. Chaque jour, pendant deux années, Esquirol venait de Vaugirard à la clinique de la Salpêtrière, aux cours du Jardin des plantes, aux leçons de l’École de médecine : rudes courses pendant les hivers ; mais, dans les autres saisons, un peu de pain et quelques fruits les rendaient charmantes, et, par-dessus tout, des causeries avec Bichat, avec Schwilgué, avec Roux, avec Landré-Beauvais, hommes de lumières et de cœur, qui avaient de l'amiitié pour Esquirol, et qu’à son tour Esquirol n’a cessé d’aimer et d’honorer toute sa vie : temps heureux de pauvreté, de travail et d’espérance, dont les souvenirs charmaient encore les dernières années d’Esquirol. » Se trouvant ainsi, grâce à MmeTexte en exposant Molé, à l’abri du besoin, Esquirol se livra tout entier à l’étude, devint l’interne de Pinel à la Salpêtrière, et aida ce célèbre praticien à rédiger sa Médecine clinique. Un attrait irrésistible l’entraînait vers l’observation des maladies mentales, ce domaine qu’il devait enrichir de tant de découvertes. Il consacra six ans de sa vie à suivre son maître au lit de chaque malade, observant attentivement les symptômes si souvent fugitifs, et, comme le dit M. Joly, si souvent bizarres, qui présagent les tristes naufrages de l’intelligence, recherchant les causes si difficiles à approfondir, en appréciant les terribles effets, conjurant le péril, s’il en était temps encore. Quand il fut sûr de lui, Esquirol se présenta devant ses juges et soutint devant la Faculté une thèse qui est restée célèbre. Le lauréat avait choisi comme sujet : Des passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de l’aliénation mentale. Esquirol fut reçu docteur. Sa dissertation produisit une sensation réelle, et elle fut bientôt traduite en anglais, en allemand et en italien. On peut la considérer comme le préambule du magnifique ouvrage que l’illustre aliéniste devait écrire plus tard sous ce titre : Des maladies mentales, et sur lequel nous reviendrons. L’attention du gouvernement fut appelée sur le jeune docteur, qui reçut la mission de visiter tous les hôpitaux d’aliénés de la France. Il consacra deux ans à cette tournée (1808 -1810), d’où il rapporta des observations précieuses et en même temps cette conviction que tout restait à faire. Il avait déjà fondé un établissement particulier dirigé d’après une méthode toute nouvelle. Les cures nombreuses qu’il y opérait ne pouvaient longtemps rester ignorées. Aussi, en 1810, fut-il chargé de la direction médicale de la Salpêtrière. Il ne remplaça pas Pinel, comme le fait très-bien observer M. Pariset, « il le continua. C’était le même esprit, c’était le même zèle et la même charité, et tandis qu’il provoquait par ses instances les améliorations qu’il était nécessaire d’introduire dans le matériel des bâtiments et dans toutes les parties du régime, il encourageait les infirmiers, il soulageait les malades en distribuant entre elles ses honoraires. Il entrait ainsi dans des cœurs toujours ouverts à la gratitude, parce qu’ils sont toujours ouverts à la justice. Il les formait ainsi à la confiance et à la docilité. »

Esquirol commença, en 1817, un cours de clinique des maladies mentales qui obtint un immense succès ; il fut suivi par un grand nombre de jeunes gens, dont quelques-uns sont devenus de célèbres médecins. Dans ces leçons, que des docteurs de tous les pays vinrent applaudir, Esquirol signala les abus qu’il avait observés dans ses fréquents voyages, et détermina le gouvernement à nommer, pour opérer les améliorations qu’il réclamait, une commission où sa place était marquée d’avance. Le cours d’Esquirol avait ce double mérite d’exciter l’ardente curiosité de l’esprit et de faire naître dans le cœur de son auditoire les sentiments d’humanité dont le professeur était animé. À ces éléments de succès, Esquirol voulut en ajouter un troisième, l’émulation. Chaque année, à la fin des cours, un prix de 300 francs, fondé par le célèbre aliéniste lui-même, était décerné par un jury spécial à l’auteur du meilleur mémoire sur un sujet relatif aux maladies mentales, et déterminé par le professeur. En un mot, Esquirol rendit d’immenses services à la science et aux malheureux qu’il avait pris à tâche de guérir ou tout au moins de soulager. Par ses constants efforts il parvint, sinon à guérir entièrement, du moins à adoucir la plus triste infirmité qui puisse atteindre l’homme. Il contribua surtout à faire modifier et améliorer le régime barbare auquel les aliénés avaient été trop longtemps soumis, et il s’occupa, entre autres choses, du détail des constructions destinées à renfermer les malades. Il ne craignait pas, quand il s’agissait de l’intérêt de ces malheureux, de faire entendre la vérité ; il la fit même arriver jusqu’à l’oreille des rois. Le roi de Sardaigne venait de faire bâtir, à Turin, un magnifique hôpital qu’il destinait aux aliénés. Instruit du passage dans la capitale de ses États du célèbre aliéniste français, il prie Esquirol de l’accompagner dans une visite qu’il se propose de faire au nouvel hospice, et, après le lui avoir montré dans tous ses détails : « Cet hôpital est très-beau, dit Esquirol, mais il ne répond pas à sa destination. - J’en ferai une caserne », dit le souverain, et il chargea le médecin de lui donner des plans, qu’il fit aussitôt exécuter. Ces plans sont à peu près les mêmes que ceux que l’on a suivis à Rouen, à Nantes et à Montpellier. Esquirol fut nommé, en 1823, inspecteur général de l’université près les facultés de médecine, et, trois ans plus tard, médecin en chef de l’hospice de Charenton. Ce dernier hospice, le premier établissement en ce genre, a été tout entier reconstruit sous la direction d’Esquirol, qui en a fait un modèle non encore dépassé. Le savant médecin de Charenton était depuis longtemps membre de l’Académie de médecine et de l’Académie des sciences morales, lorsque la mort vint le frapper au milieu de ses pensionnaires, qu’il n’avait pas voulu quitter malgré son âge avancé.

Le principal ouvrage d’Esquirol est intitulé : Des maladies mentales considérées sous le rapport médical, hygiénique et médico-légal (Paris, 1838). Dans cet ouvrage, il définit la folie « une affection cérébrale, ordinairement chronique, sans fièvre, caractérisée par le désordre de la sensibilité, de l’intelligence et de la volonté, » Il reconnaît cinq genres ou formes générales de folie : 1° la lypémanie (mélancolie des anciens), délire sur un objet ou un petit nombre d’objets, avec exaltation et prédominance d’une passion triste et dépressive ; 2° la monomanie, dans laquelle le délire est borné à un seul objet ou à un petit nombre d’objets, avec excitation et prédominance d’une passion gaie et expansive ; 3° la manie, dans laquelle le délire s’étend à toutes sortes d’objets et s’accompagne d’excitation ; 4° la démence, dans laquelle les insensés déraisonnent, parce que les organes de la pensée ont perdu leur énergie et la force nécessaire pour remplir leurs fonctions ; 5° l’imbécillité ou idiotie, dans laquelle les organes n’ont jamais été assez bien conformés pour que ceux qui en sont atteints puissent raisonner juste. Esquirol voit dans le retour de l’attention le signe le plus certain du retour de la raison, et dans l’isolement du fou le moyen le plus efficace pour le ramener à l’attention et a la réflexion. Outre cet important ouvrage, on doit encore à Esquirol un grand nombre de mémoires, de rapports, d’opuscules divers, dont plusieurs ont enrichi le Dictionnaire des sciences médicales et l’Encyclopédie des gens du monde.