Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Français (François-Louis)

La bibliothèque libre.

◄  Français (Antoine)
Index alphabétique — F
Française (La)  ►
Index par tome


FRANÇAIS (François-Louis), peintre français, né à Plombières (Vosges) le 17 novembre 1814. Ses parents voulaient qu’il étudiât les mathématiques, mais l’esprit du jeune homme rêvait une autre carrière. En 1829, il vint à Paris et entra chez un libraire comme garçon de magasin. La lutte fut longue et difficile. Enfin, au bout de cinq années, ayant acquis un certain talent comme dessinateur, il exécuta des vignettes sur bois pour les éditions de luxe ; puis, dans ses moments de loisir, il étudiait la peinture, à laquelle il devait bientôt s’adonner exclusivement. MM. Gigoux et Corot furent ses professeurs, sinon ses maîtres.

Le peintre d’Orphée a obtenu une troisième médaille en 1841, une première en 1848, et trois premières médailles en 1848, 1855 et 1867. Il a été fait chevalier de la Légion d’honneur en 1853. Ses premières toiles trahissaient une sorte de pesanteur native, dont les paysagistes, en général, ne parviennent pas toujours à se débarrasser ; mais chaque année a affirmé un progrès de sa part, et il a su bientôt donner à son pinceau l’exquise légèreté de son crayon.

Il a exposé à presque tous les Salons de 1837 à 1865. Son premier paysage : Une chanson sous les saules, a été peint en collaboration avec M. Baron ; il fut très-remarqué, et l’artiste comprit dès lors que son genre était celui-là. On lui doit depuis : Jardin antique, le Parc de Saint-Cloud, avec des figures de M. Meissonier ; Soleil couchant en Italie, le Paysan rabattant sa faux, la Fin de l’hiver, le Ravin de Nepi et une Vue des environs de Rome (1853). Il reparut à l’Exposition universelle de 1855, avec ces quatre dernières toiles et un Sentier dans les blés, qui révèle un paysagiste de premier ordre. Indiquons ensuite le Ruisseau de Neuf-Pré, et plusieurs toiles de moindre importance, entre autres : un Buisson (1857) ; les Bords du Gapeau, les Hêtres de la côte de Grâce (1859) ; Vue prise au Bas-Meudon, Au bord de l’eau (environs de Paris), et le Soir (1861) ; Orphée (1863) ; le Rois sacré (1861), et les Nouvelles fouilles de Pompéi (1865).

Mais l’œuvre capitale de M. Français, celle à laquelle il a attaché son nom, est son tableau d’Orphée. « La vue d’un clair de lune, dit M. Maxime Ducamp, l’a fait penser à Orphée, et, s’aidant de ses études, il a composé un paysage qui rend et communique l’impression qu’il a ressentie. C’est là une méthode excellente et vraiment digne d’un artiste. M. Français a voulu réunir dans une même œuvre la double tradition de l’école classique et de l’école romantique. Cependant il n’a point fait un paysage de pure fantaisie, comme les classiques qui, croyant s’inspirer de Claude Lorrain, renversent absolument sa tradition ; il ne s’est pas contenté non plus, comme les romantiques, de copier servilement la nature. D’autre part, l’artiste n’a point cherché si, dans les mythes antiques, Orphée, le joueur de lyre, déchiré par les joueurs de flûte et de tambourin, ne symbolisait pas la grande lutte qui divisa le monde ancien, la lutte de l’esprit contre la matière, de la lyre contre la Mute, d’Apollon contre Bacchus, du dieu hyperboréen contre le dieu méridional, lutte traversée d’aventures diverses, donnant parfois la victoire à Apollon, lorsqu’il écorche Marsyas vaincu, et parfois à Bacchus, lorsque ses prêtres tuent l’amant d’Eurydice, lutte qui dura jusqu’au jour où, dans les fêtes d’Eleusis, on réunit les flûtes aux lyres, où l’on réconcilia la matière et l’esprit dans le culte de la Bonne déesse. »

L’artiste ne s’est point préoccupé de cette querelle mythologique ; mais, inspiré par un sujet spiritualiste, il a créé un paysage d’une beauté idéale. La légende lui a suffi, et deux vers murmurés à son oreille par Virgile lui ont révélé tout ce mystère. C’est la nuit ; la lune arrondit son pâle croissant dans un ciel d’améthyste tout parsemé d’étoiles, dont la lumière nacrée donne à la composition une incomparable douceur ; de hauts cyprès immobiles poussent dans l’éther leur tiges vigoureuses, débordantes de sève ; des lauriers se contournent dans leur robuste vigueur ; les indécisions de la nuit humide noient les masses profondes de la forêt, au delà de laquelle on aperçoit la mer immense ; auprès d’un grand tombeau de forme grecque, et portant le nom cher d’Eurydice, Une théorie de ses compagnes vient jeter des fleurs et verser des larmes. Isolé au premier plan, appuyé contre un jeune laurier, sa lyre tombée près de lui, Orphée, les pieds sur l’herbe ruisselante de rosée, toute fleurie de marguerites, crie le nom adoré, auquel répond seul l’écho :

Ah ! miseram Eurydicen !

Dans ce tableau d’Orphée, le dessin et le coloris sont égaux, d’une pureté et d’une puissance rares chez les peintres de la nouvelle école ; les harmonies nocturnes, rendues avec une extrême fidélité, imprègnent le paysage de la même poésie qu’elles donnent à la nature. Tout y est lumineux, tout y est en rapport, malgré les tons obscurs qu’avait à rendre l’artiste. C’est une symphonie d’une mélancolie et d’un charme extraordinaires : c’est la lyre qui pleure, c’est le deuil d’Apollon.

Ce tableau a été conçu à un point de vue très-élevé. Il montre que la nature, dans sa loi fatale, est implacable pour l’homme, qu’elle regorge de vie, pendant que celui-ci s’enfonce dans la mort. « 0 marâtre ! pourquoi ne veux-tu pas me consoler ? Je souffre tant ! » Les poëtes ont compris cela, et ce n’est point sans motif que Byron a mis pour repoussoir aux affreuses péripéties du naufrage de don Juan un ciel bleu et une mer paisible. Cet horrible et nécessaire malentendu de l’homme et de la nature, M. Français l’a rendu de main de maître et avec une grandiose simplicité. Cependant la critique lui a fait le reproche, s’étant inspiré de Virgile, d’avoir corrigé Virgile ; en d’autres termes, de n’avoir pas compris que l’isolement rend la douleur plus âpre et plus profonde. Le poëte ne s’y est point trompé ; son Orphée est seul sur le rivage solitaire.

Ipie cava solans ægrum testudine amorem,
Te, dulcis conjux, te solo in littore secum
Te, veniente die, te, decedente, canebat.

Après Orphée, la toile la plus importante de M. Français est sans contredit son Rois sacré. Ce n’est plus la mystérieuse tristesse de la nuit que l’artiste, cette fois, a essayé de rendre ; c’est une fête de la nature, une aube de printemps, où tout est lumière, fraîcheur et parfum. Cette toile restera comme une des meilleures de M. Français. Cet artiste a exposé depuis lors : Enuirons de Paris, Environs de Rome (1866) ; Maison de campagne, et divers tableaux déjà exposés (1867) ; les Regains, la Vallée de Munster (1868) ; le Mont Blanc, vu de Saint-Gergues (1869), etc. M. Français est officier de la Légion d’honneur.

M. Français a collaboré, en 1855, avec MM. Girardet et Catenacci, à l’illustration de la Toumine, publiée par la librairie Maine, de Tours. On lui doit également des aquarelles dont les connaisseurs font le plus grand cas. Il n’a guère de rivaux en ce genre que MM. Baron et Harpignie.


◄  Français (Antoine)
Française (La)  ►