Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/France (Histoire nationale de)

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France (Histoire nationale de), par Amédée Gouet (Paris, Pagnerre, 1864-1868, 5 vol. in-8º). La déplorable mort de l’auteur a arrêté à son cinquième volume (Renaissance) cette œuvre remarquable qui promettait, si elle eût été achevée, un des plus durables monuments historiques de notre époque. L’attention publique, portée ailleurs, accueillit ces premiers volumes avec une indifférence injuste ; il ne suffit pas, pour obtenir du succès, de faire un travail estimable et consciencieux, il faut encore que ce travail vienne à son heure, et, par son excellence ou par sa nouveauté, excite l’intérêt et pique la curiosité. A côté des grandes Histoires de France de Michelet et de Henri Martin, il sembla qu’il n’y avait plus de place pour une autre histoire, embrassant à peu près sous la même forme et avec la même érudition l’ensemble de nos annales.

Le titre de l’ouvrage de M. Amédée Gouet, Histoire nationale de France, en indique assez la tendance générale. L’auteur a voulu faire l’histoire du peuple et des institutions au moins autant que celle de la royauté. C’est le vœu exprimé par Voltaire. » On n’a fait que l’histoire des rois, on n’a point fait celle de la nation, écrivait-il, en 1740, au marquis d’Argenson. Il semble que, pendant quatorze cents ans, il n’y ait eu dans les Gaules que des rois, des ministres et des généraux. Mais nos lois, nos coutumes, notre esprit ne sont-ils donc rien ? » Ce dont Voltaire ne se rendait pas compte, c’est qu’il fallait une révolution politique immense pour que de pareils travaux fussent possibles. Lorsqu’on voit qu’en 1714 Fréret fut jeté à la Bastille pour avoir tout simplement émis, dans un Mémoire présenté à l’Académie des inscriptions et belles-lettres, cette opinion si judicieuse que les Francs ne sont autre chose qu’une peuplade germaine, on se demande comment il y eût eu en France des gens assez résolus pour entreprendre la moindre recherche historique. Ne nous étonnons donc pas si, jusqu’à la Révolution, l’histoire de France se renferme, suivant l’heureuse expression d’Augustin Thierry, dans « ces récits vaguement pompeux où un petit nombre de personnages privilégiés occupent la scène, et où la masse entière de la nation disparaît derrière les manteaux de cour. »

C’est spécialement d’Augustin Thierry que procède, comme historien, M. Amédée Gouet. On rencontre dans son livre, avec des formes moins brillantes, la même érudition patiente, une égale curiosité des textes. Cette Histoire nationale n’est pas une compilation, un livre fait avec d’autres livres ; c’est un laborieux ouvrage, composé lentement, tiré des sources originales, et auquel il ne manque pour être placé au premier rang qu’un style d’un relief plus énergique. Ce qu’il faut y louer surtout, c’est la préoccupation constante de l’auteur pour le rôle de la nation. » Prendre un peuple à son enfance, dit-il, demi-nu et sauvage, ne possédant en fait d’abris que des huttes de terre, en fait de monuments que de vastes forêts, temples de ses dieux ; le suivre d’année en année dans son développement progressif ; observer chemin faisant ses coutumes, ses croyances naïves, ses passions, ses vertus, ses fautes, ses luttes, ses désastres, ses succès, ses travaux, quelle étude pourrait être plus intéressante et plus féconde, quand ce peuple surtout est notre ancêtre et qu’il nous a transmis avec son nom l’héritage de ses destinées à poursuivre, de ses idées à propager ? » C’est là le but qu’a poursuivi patiemment M. Amédée Gouet ; ses études sur la race gauloise et les Francs, sur les mœurs des mérovingiens, sur les lois saliennes ; plus tard, à l’époque féodale, sur les serfs et sur le rôle du clergé, sur les communes, sont d’excellents morceaux, que l’on peut consulter avec beaucoup de fruit. Entièrement libre du côté des idées religieuses, sans adulation et sans haine, il a nettement caractérisé le rôle du catholicisme pendant le moyen âge. Il est doublement regrettable qu’if n’ait pas pu poursuivre son étude jusqu’aux guerres de religion. Dans son ensemble, cet ouvrage révèle chez Amédée Gouet une rare aptitude à mettre en œuvre tout ce que l’érudition moderne a accumulé de renseignements précieux, sur les annales françaises. C’est là son principal mérite, et, tout inachevé qu’il est, ce livre n’en tiendra pas moins une place honorable parmi nos meilleurs ouvrages historiques.


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