Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/France (La)

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France (La), par Henri Heine, 1832, ouvrage refondu et publié après la mort de l’auteur en 1857. Ce volume se compose d’un recueil de lettres politiques adressées, par H. Heine à la Gazette universelle d’Augsbourg en 1832, de quelques lettres additionnelles écrites, en 1838, à M. A. Lewald, directeur de la Revue théâtrale, à Stuttgart, d’un Salon sur l’exposition de 1831. Il y a dans cet ouvrage des pages très-éloquentes, mais les portraits des hommes politiques, et surtout celui du roi Louis-Philippe, le Napoléon de la paix, sont généralement peu flattés ; sous le rapport du style, c’est l’ouvrage le plus fini de H. Heine, surtout dans l’édition qu’il préparait lorsque la mort le surprit.

Henri Heine est libéral ; républicain même, et son cœur saigne en présence des événements politiques qui attristèrent la France en 1832 ; le canon de Saint-Merry retentit douloureusement dans son âme, et tous ses sentiments sont pour les vaincus. Quant au pouvoir, voici comme il le jugeait : « Louis-Philippe est encore aujourd’hui d’avis qu’il est fort. Voyez comme nous sommes forts ! est aux Tuileries le refrain de tous les discours. Comme un malade parle toujours de santé et ne peut assez tirer vanité de ce qu’il digère bien, de ce qu’il peut se tenir sans spasme sur ses jambes et respirer à pleine poitrine, ces gens-là ne tarissent pas sur la force et l’énergie qu’ils ont déjà déployées dans les diverses mesures comminatoires, et qu’ils peuvent déployer encore. Arrivent ensuite les diplomates qui viennent chaque jour au château et leur tâtent le pouls, et leur font tirer la langue, et observent soigneusement les digestions, puis envoient à leur cour le bulletin de santé politique. Aussi les ministres étrangers ne cessent-ils de faire également la question : Louis-Philippe est-il fort ou faible ? Dans le premier cas, leurs maîtres peuvent tranquillement résoudre et exécuter chez eux telle mesure qu’il leur plaira ; dans le second, où le renversement du gouvernement français et la guerre seraient à craindre, ils ne peuvent entreprendre dans leurs Etats rien de bien sévère. »

La légende napoléonienne n’obtient pas plus de grâce aux yeux d’Henri Heine, bien qu’on sente que son âme généreuse n’a pas été sans battre au récit de l’épopée impériale : « Nous ne voyons dans le martyre de Napoléon à Sainte-Hélène aucune expiation dans le sens populaire. L’empereur y porta la peine de son erreur la plus fatale, de l’infidélité dont il se rendit coupable envers la Révolution, sa mère. L’histoire avait montré depuis longtemps que l’union entre le fils de la Révolution et la fille du passé ne pouvait tourner à bien, et maintenant nous voyons que le fruit unique de ce mariage n’avait aucun principe de vie et qu’il est mort déplorablement. (Le duc de Reichstadt venait de mourir.) Quant à l’héritage du défunt, les avis sont fort partagés. Les amis de Louis-Philippe pensent que les bonapartistes, désormais orphelins, vont se rattacher à eux. Je doute cependant que les hommes de guerre et de gloire passent si promptement au pacifique juste-milieu. Les carlistes croient que les bonapartistes vont maintenant plier le genou devant Henri V : je ne sais vraiment ce que je dois le plus admirer chez ces hommes, de leur folie ou de leur présomption. Les républicains sembleraient encore plus que tous les autres en état d’attirer à eux les bonapartistes ; mais, s’il a jadis été facile de faire des sans-culottes les plus mal peignés les impérialistes les plus brillamment huppés, il peut être aujourd hui difficile d’opérer la métamorphose contraire.

On regrette que les saintes reliques, l’épée de l’empereur, le manteau de Marengo, le chapeau historique, etc., etc., qui, conformément au testament de Sainte-Hélène, ont été remis au jeune Reichstadt, ne reviennent pas à la France. Chaque parti en France pourrait bien utiliser un morceau de cette succession. Vraiment, si j’en pouvais disposer, je les répartirais ainsi : aux républicains l’épèe de l’empereur, parce que ceux-ci sont encore les seuls qui sauraient la mettre à profit. Je donnerais à ces messieurs du juste-milieu le manteau de Marengo ; car, dans le fait, un semblable manteau viendrait bien à propos pour couvrir leur humble nudité. Pour les carlistes je réserverais le tricorne impérial, quoiqu’il n’aille, à la vérité, pas très-bien à de pareilles têtes, mais il pourra leur être d’un bon secours quand les coups pleuvront de nouveau sur leurs chefs ; aussi j’ajouterais même à ce don celui des bottes de l’empereur, qui leur faciliteraient les enjambées de sept lieues quand il leur faudra bientôt déguerpir. Quant au bâton qu’avait l’empereur le jour de la bataille d’Iéna, je doute qu’il se trouve dans la défroque du duc de Reichstadt, et je crois que les Français l’ont encore entre les mains. »

Décidément Henri Heine était plus Français qu’Allemand !


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