Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/France libre (La)

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France libre (la), pamphlet publié par Camille Desmoulins en 1789, peu de temps après le 14 juillet. C’est le premier factum politique du vigoureux écrivain, et c’est celui de ses ouvrages pour lequel il semble avoir toujours eu une préférence marquée. Cependant ce n’est point son chef-d’œuvre ; mais c’est son premier succès, c’est le premier rayon da sa gloire de publiciste, comme son mémorable appel aux armes du 12 juillet, au Palais-Royal, avait été le commencement de sa célébrité révolutionnaire.

La France libre est un long réquisitoire contre l’ancien régime, la noblesse, le clergé et la royauté, un éloge enthousiaste des institutions libres et de l’égalité des classes. Il y a dans cet écrit, d’ailleurs un peu prolixe et incohérent, improvisé au courant de la plume, un esprit étincelant, un entrain qui s’élève souvent à l’éloquence, un grand charme de jeunesse et d’ardeur, ainsi que des traits d’une hardiesse qui étonne encore aujourd’hui. L’esprit en est passionnément républicain. Le pétulant écrivain passe en revue toute la série de nos rois depuis Philippe le Bel, et ne rencontre que des assassins, des faussaires, des tyrans, des empoisonneurs, des débauchés, etc. Il ajoute après son énumération :

«… Que répondre à une expérience de cinq cents ans ? La chose parle de soi. Les faits ne crient-ils pas que la monarchie est une forme de gouvernement détestable ? »

Sa conclusion est que le gouvernement populaire est le seul légitime et rationnel, le seul qui convienne à des hommes dignes de ce nom.

Après avoir peint l’avilissement des peuples sous le régime monarchique, il s’écrie :

« Il est pourtant, chez les peuples les plus asservis, des âmes républicaines. Il reste encore des hommes en qui l’amour de la liberté triomphe de toutes les institutions politiques. En vain elles ont conspiré à étouffer ce sentiment généreux ; il vit caché au fond de leurs cœurs, prêt à en sortir à la première étincelle, pour éclater et enflammer tous les esprits. J’éprouve au dedans de moi un sentiment impérieux qui m’entraîne vers la liberté avec une force irrésistible ; et il faut bien que ce sentiment soit inné, puisque, malgré les préjugés de l’éducation, les mensonges des orateurs et des poëtes, les éloges éternels de la monarchie dans la bouche des prêtres, des publicistes, et dans tous nos livres, ils n’ont jamais appris qu’à la faire détester. »

Ces passages, que nous pourrions multiplier, montrent bien quelles étaient déjà à cette époque les opinions du hardi publiciste. Il était en effet l’un des rares républicains de cette première phase de la Révolution ; il se prononce nettement pour l’établissement de la république en France ; il va au-devant de toutes les objections qui pourraient être faites ; il les réfute avec sa verve voltairienne, composée de tant d’esprit et de bon sens, et il termine par un joyeux chant de triomphe, par un dithyrambe d’enthousiasme et de foi.

« Fiat ! fiat ! Oui, tout ce bien va s’opérer ; oui, cette révolution fortunée, cette régénération va s’accomplir ; nulle puissance sur la terre en état de l’empêcher ! Sublime effet de la philosophie, de la liberté et du patriotisme ! nous sommes devenus invincibles. Moi-même, j’en fais l’aveu avec franchise, moi qui étais timide, maintenant je me sens un autre homme. A l’exemple de ce Lacédémonien, Othryadès, qui, resté seul sur le champ de bataille et blessé à mort, se relève, de ses mains défaillantes dresse un trophée, et écrit de son sang : Sparte a vaincu ! je sens que je mourrais avec joie pour une si belle cause, et, percé de coups, j’écrirais aussi de mon sang : La France est libre ! »

Tel est le dernier mot de ce morceau, qui fut comme l’épithalame de la France nouvelle, comme le chant de l’alouette gauloise saluant les premiers rayons de la liberté. Desmoulins l’avait composé avant le 14 juillet, mais aucun libraire n’osait le publier, et il fallut la chute de la Bastille pour que la brochure pût paraître. Le retentissement fut immense, et le Moniteur, dans son introduction, a pu classer ce simple pamphlet parmi les ouvrages qui ont le plus contribué à accélérer le mouvement révolutionnaire et à le faire aboutir. La France libre, qui eut alors plusieurs éditions, a été réimprimée dans les diverses collections des œuvres de Camille Desmoulins.


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