Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/France littéraire (La)

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France littéraire (La), dictionnaire bibliographique, par J.-M. Quérard (10 vol., 1826-1842). L’auteur a donné à cet ouvrage plusieurs suppléments et compléments, sous des titres divers. De 1839 à 1841, il publia deux tomes de la Littérature française contemporaine ; de 1815 à 1856, parurent cinq volumes des Supercheries littéraires dévoilées ; de 1840 à 1847, trois livraisons d’un Dictionnaire des ouvrages polyonymes et anonymes de la littérature française ; de 1854 à 1S56, un volume, les Écrivains pseudonymes, etc. (dont le faux titre porte : la France littéraire, tome XI) ; de 1855 à 1856, un recueil mensuel, le Quérard, archives d’histoire littéraire, de biographie et de bibliographie françaises (2 vol.). Il commença enfin quatre publications périodiques, qui n’eurent qu’une existence éphémère. Dans toutes ces dernières entreprises, Quérard fut soutenu par le concours libéral d’un érudit russe, M, Poltoratzky. Personne n’a contesté l’aptitude, le dévouement, le fanatisme bibliologique de Quérard, dont le nom semblait être une prédestination… Quærens quem devoret. Et pourtant ses divers travaux, fruits d’une longue et incessante activité, sont tout au plus connus des bibliothécaires ; ce sont des monuments inachevés. Un seul eût suffi ; mais l’architecte n’avait pas assez profondément médité son plan ; il a travaillé sans méthode, sans esprit de synthèse.

Il considérait sa France littéraire sous deux rapports bien distincts : comme dictionnaire des écrivains français, et comme bibliographie française. Ce devait être la nomenclature complète de tous nos littérateurs, et le répertoire de tous les savants remarquables. Le recueil devait aussi renfermer l’indication des réimpressions, des diverses traductions françaises d’auteurs étrangers, des ouvrages originaux en langues étrangères publiés en France. Voici l’ordre adopté : les premiers volumes renferment le dictionnaire des écrivains, et le dernier, les anonymes, les collections et les ouvrages périodiques. « Notre ouvrage à la main, dit Quérard, l’un pourra suivre la marche et les progrès des sciences jusqu’à nos jours ; l’autre, choisir, avec pleine confiance, l’édition la plus conforme à ses goûts et à sa fortune ; le dernier, s’instruire de la valeur vénale des livres et des circonstances qui les font rechercher. » Sur le premier point, l’auteur s’abuse de bonne foi ; son affirmation serait juste et fondèe, s’il avait adopté l’ordre chronologique ou méthodique. Quant aux deux derniers mérites, attribués par lui à sa compilation, ils n’intéressent que peu de gens.

Dans la Littérature française contemporaine, de laquelle nous aurons à parler séparément comme œuvre collective de MM. Maury, Louandre et Bourquelot, Quérard entreprit de donner un supplément à sa France littéraire, depuis 1826, ou plutôt un livre indépendant, » plus littéraire et plus utile. » Il en modifia le fond et en changea la forme. A première vue, on n’aperçoit pas la différence des deux plans ; mais elle existe. Cette grande amélioration, sollicitée et approuvée par divers bibliophiles, consiste simplement dans l’amalgame, sous chaque nom d’auteur, d’une notice biographique et du catalogue de ses écrits. Grâce à cette addition, l’ouvrage devait être « une Encyclopédie littéraire bien complète pour le xixe siècle. » Déjà, Quérard avait sacrifié à cette propension funeste, mais encore dans une mesure tolérable, en livrant à l’impression les derniers volumes de son précédent recueil. Tout d’un coup, on vit la biographie envahir les pages de son second répertoire. Il n’y eut plus proportion, équilibre. Ses motifs ont, certes, quelque chose de spécieux. « La bibliographie n’est plus, comme au xviiie siècle, la description sèche du composé des feuillets d’un livre, de sa condition, à laquelle on ajoutait sa valeur vénale. On indiquait aussi quelquefois les raisons qui devaient faire préférer l’édition d’un livre à une autre. Cette science, si science il y a, a dû suivre la marche progressive de toutes les autres. La bibliographie, surtout la bibliographie nationale, telle que plusieurs personnes l’ont faite, est aujourd’hui un travail mixte qui tient de la bibliographie traditionnelle et de la biographie : elle est devenue le canevas de l’histoire littéraire d’un pays ; on veut au xixe siècle plus que des titres de livres ; on veut des renseignements sur les auteurs de ces livres ; on veut savoir où ils sont nés, ce qu’ils sont ou ce qu’ils ont été. On aime aussi à trouver exposée l’indication des apologies et des réfutations qui existent de ces mêmes livres ; celle des notices historiques, des éloges, voire même des pamphlets dont les auteurs dont on parle ont été le sujet. Il faut à un ouvrage de bibliographie un peu de piquant pour diminuer la sécheresse naturelle de ce genre de publication ; de la critique, des révélations, des anecdotes littéraires, etc. C’est ainsi qu’on doit traiter aujourd’hui de la bibliographie pour qu’elle puisse offrir une utilité réelle ; aussi trouvera-t-on dans le nouveau livre que j’offre au public beaucoup de particularités sur les productions littéraires de ce siècle et sur leurs auteurs. »

En présence de ces assertions, diverses objections s’élèvent. Elles se réduisent à un dilemme : ou la bibliographie est une science, ou bien elle n’en est pas une. Dans ce dernier cas, elle ne peut être que l’art d’inventorier, de classer, de cataloguer les volumes d’une bibliothèque, ou les livres utiles à telle ou telle profession. L’ordre, la clarté, la précision suffisent à un catalogue, qui sera toujours admirablement remplacé par un vieil employé de bibliothèque, si on ne lui interdit pas, comme à la Bibliothèque nationale, la complaisance envers le public. Si, au contraire, la bibliographie est une science, pourrait-elle être autre chose que la connaissance des livres ? En ce cas, cette connaissance se borne-t-elle à savoir le nombre et la date des diverses éditions d’un ouvrage, le nombre, le format et le prix des volumes ? Doit-elle embrasser la biographie des auteurs ? Ne devrait-elle pas, de préférence, juger chaque ouvrage mentionné, en deux mots ou en dix lignes ? En introduisant la biographie des écrivains dans un catalogue, le bibliologue fait tout simplement le travail des auteurs de dictionnaires historiques, dont les renseignements seront plus complets ; en s’abstenant de jugements critiques, appréciations qui supposent des études de tout ordre, du goût et des principes fixes, le bibliologue détruit lui-même la science qu’il veut fonder. Mais, répondront les collectionneurs, il nous indique les plus belles et les meilleures éditions. On peut répliquer : la meilleure et la plus belle édition d’un livre est l’édition la plus commode et la moins coûteuse, toutes choses égales d’ailleurs. Un livre doit être lu et aimé pour lui-même, et non pour son antiquité, son papier ou sa reliure. La presse moderne a donné les meilleures éditions, c’est-à-dire les moins coûteuses. La librairie anglaise, par exemple, dont les prix étaient naguère fabuleux, livre aujourd hui pour douze sous un roman de Walter Scott, et moyennant un schilling un Shakspeare complet en un volume, le tout fort bien imprimé. Il faut conclure de tout ceci que l’infatigable Quérard a dépensé ses peines et son savoir à composer une œuvre diffuse, indigeste, peu utile au progrès de la science et des lettres. Tout ce qui mérite de vivre et de survivre est connu. Prétendre étiqueter et sauver les innombrables productions de l’esprit sain ou malsain, de la raison et de la folie, du talent et de la présomption, c’est vouloir reconstruire une nécropole égyptienne où les livres seraient autant de momies.


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