Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/GAUTIER (Théophile), poète et littérateur français (supplément 2)

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Administration du grand dictionnaire universel (17, part. 4p. 1305).

  • GAUTIER (Théophile), poète et littérateur français, né à Tarbes (Hautes-Pyrénées) le

31 août 1811, mort à Neuilly (Seine) le 23 octobre 1872. — Théophile Gautier n’a laissé aucun ouvrage inédit, sauf l’Histoire du romantisme, qu’il était en train d’achever, et dont nous avons parlé (v. histoire du romantisme, au tome XIII du Grand Dictionnaire). On a toute fois publié de lui divers nouveaux recueils, formés d’articles anciennement parus dans les journaux et qui n’avaient jamais été réunis : l’Orient (1877, 2 vol. IN-12), série d’impressions de voyage ; Fusains et Eaux-fortes, articles de critique littéraire et artistique (1880, in-12) ; Tableaux à la plume (1880, in-12) ; les Vacances du lundi, tableaux de montagnes (1881, in-12) ; Guide de l’amateur au musée du Louvre, suivi de : la Vie et les œuvres de quelques peintres (1882, in-12) ; Souvenirs de théâtre, d’art et de critique(1883, in-12).

Sa bibliographie a été faite avec beaucoup de patience et de soin par M. Spœlberch de Lovenjoul : Histoire des œuvres de Théophile Gautier (Paris, 1887, 2 vol. in-8o). Il n’a pas fallu moins de deux gros volumes pour donner une notice succincte de tout ce qu’avait fait imprimer le rare écrivain, dont la devise était celle d’Apelle : Nulla dies sine linea. M. de Lovenjoul a tout recueilli, tout annoté, même les moindres articles insérés dans les journaux, et l’on peut dire que rien ne lui a échappé de ce que Théophile Gautier a écrit depuis le premier jour où il prit la plume. Il a en outre collationné toutes les éditions originales qu’il décrit, et un grand nombre de manuscrits de l’auteur. Rarement scholiaste a été plus zélé. « Peu de personnes, a dit M. Émile Bergerat, soupçonnent l’étendue de l’œuvre de Théophile Gautier. La partie critique, réunie en livres, dépasserait certainement en nombre la collection des Lundis de Sainte-Beuve, et je ne parle que de la critique littéraire dramatique ou bibliographique. Quant à la critique artistique proprement dite, Salons, Musées, Expositions en France et en Europe, j’estime qu’elle irait au double. La somme des romans, poésies, contes, nouvelles, voyages, pièces de théâtre et œuvres d’imagination équivaut à peu près à l’œuvre de Balzac. Si l’on voulait éditer complètement Théophile Gautier, on ne s’en tirerait pas à moins de trois cents volumes ; il a donné lui-même ce chiffre effrayant. Voilà pourquoi, ajoutait-il tristement, je passe pour un paresseux ! Aussi, quand je me présente à l’Académie, on me demande : Qu’est-ce que vous avez fait ? » À défaut de cette publication des œuvres complètes, qui serait à souhaiter, mais que peut-être aucun éditeur n’entreprendra, l’ouvrage de M. Lovenjoul donne une idée exacte du labeur quotidien de Théophile Gautier, de celui que Baudelaire, dans sa dédicace de ses Fleurs du mal, appelait le « poète impeccable, le parfait magicien Ès lettres françaises », et qui, en prose comme en vers, a été un incomparable styliste.

Gautier (THÉOPHILE), entretiens, souvenirs et correspondance, par M. Émile Bergerat (1879, in-18). Ce volume est des plus précieux pour les admirateurs du grand écrivain ; outre les détails les plus intimes, qu’il donne sur ses dernières années, sa maladie et sa mort, on y trouve reproduits tous ses derniers entretiens, alors que, ne pouvant plus écrire, il se plaisait encore à causer et émaillait sa conversation de ces paradoxes dans lesquels il excellait. « Dans les derniers temps de sa vie, dit M. Bergerat, lorsque les médecins lui eurent interdit tout travail et jusqu’à la lecture, Théophile Gautier résolut d’entreprendre avec moi une série d’entretiens à la façon d’Eckermann avec Goethe. Cette idée lui souriait autant qu’elle m’enthousiasmait, et certainement elle aurait donné de grands résultats si quelques accidents, tels que la perte momentanée des mots et des hallucinations causées par la puissance vénéneuse des remèdes, ne l’eussent effrayé au point qu’il ne voulait même plus causer. Ces défaillances, cependant, ne furent que rares et passagères. Mais quand la maladie reprit son cours régulier, simple et lent, le coup était porté, et c’est à peine si quelquefois, quand la journée était belle, j’obtenais que le poète sortît de sa somnolence désespérée et vînt avec moi, sur le pas de sa porte, converser des choses qu’il aimait. Les premiers mots étaient alors les plus difficiles à lui arracher ; mais, si l’on était parvenu à les lui faire dire, on s’apercevait bien vite que jamais cet esprit n’avait été plus grand, plus ouvert à tous les spectacles, plus fertile en idées, plus en possession de son art, et l’on demeurait ébloui comme au sortir d’une mine de pierreries. » Au lieu d’entretiens suivis, ayant un but dogmatique et déterminé, on n’a donc dans ce volume que des fragments, des fantaisies amenées par le hasard de la conversation, et cependant le poète, le critique, le styliste s’y peignent à tour de rôle avec une grande vérité. Ce sont, pour la plupart, des paradoxes pleins d’esprit, qui montrent qu’en effet le maître n’avait rien perdu de sa verve étincelante. À noter les pages consacrées à l’Académie, à la musique, à ses projets de refaire la Phèdre de Racine, à ses relations avec H. Rochefort, qui était venu lui soumettre un projet de scénario tiré de Jettatura, aux cafés, à qui Théophile Gautier attribuait tout le gâchis politique, à ses relations avec la princesse Mathilde, dans le salon de laquelle il était un des causeurs les plus brillants, ce qui n’a guère avancé sa fortune, car Théophile Gautier fut un bonapartiste qui ne coûta jamais rien à l’Empire et qui n’en obtint jamais rien. M. Bergerat a complété son livre en y insérant de très curieux projets de ballets : le Preneur de rats, le Roi des Aulnes, les Trois Oranges, dont le poète avait jeté sur le papier les linéaments principaux, des fragments malheureusement trop peu nombreux de correspondance et un certain nombre de pièces de vers inédites, entre autres la fameuse pièce sur les Vénus du Titien, que le poète a retranchée de Émaux et Camées, et c’est dommage, car elle est, comme le dit M. Bergerat, « le chef-d’œuvre du maître et l’un des plus beaux morceaux de la langue française ». On lira aussi avec intérêt, dans ce volume, le chapitre consacré à Théophile Gautier peintre, contenant le catalogue de ses essais, avant qu’il quittât décidément le pinceau et le crayon pour la plume.