Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/GRÜTLI ou GRÜTLY (LE), endroit célèbre de la Suisse

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Administration du grand dictionnaire universel (8, part. 4p. 1564).

GRÜTLI ou GRÜTLY (le), endroit célèbre dé la Suisse, dans le canten d’Underwald, vis-à-vis de Brunnen, dans lu bassin d’Altorf. Trois habitants de ces vallées, Stauffacher de Schwitz, Fürst d’Uri, Melchthal d’Underwald, chacun suivi de dix amis de son choix, se réunirent la nuit dans un endroit écarté (le Grütli) et jurèrent de soutenir la cause commune de leur liberté sans répandre de sang et sans porter atteinte aux droits d’autrui. Leur entreprise fut couronnée de succès ; les trois cantons, animés d’un même sentiment, prirent les armes et, en 1308, chassèrent, sans éprouver de résistance, les maîtres nouveaux qu’on leur avait envoyés. Les Suisses furent favorisés dans leur révolte par la mort d’Albert Ier, après lequel Henri VII de Bavière, ayant fait asseoir une nouvelle maison sur le trône d’Allemagne, ne songea pas à venger la défaite de la famille des Hapsbourg. Le fils d’Albert Léopold, duc d’Autriche, réunit, il est vrai, une armée pour soumettre les paysans qui s’étaient soulevés contre son père. Il envahit leur pays ; mais lorsque, en 1315, il eut été défait à Morgarten par un peuple décidé à périr plutôt qu’à supporter l’esclavage, il se retira sans espoir et ne songea plus à revenir exposer ses soldats si loin de ses États héréditaires.

Le Grütli est adossé aux montagnes du canton d’Underwald ; il n’est accessible que par eau. On ne peut ni monter ni descendre le long des grands rochers au devant desquels il forme la seule marge qu’on trouve dans le bassin d’Altorf, du même côté du lac. Les hérons qui volent sur cette nappe solitaire n’ont pas, hormis ce seul endroit, un pouce de terre où ils puissent poser à sec leur pied léger. Là, une verdure fraîche et riante est sans cesse entretenue par l’humidité des trois ruisseaux qui vont mêler leurs eaux à celles du lac. Des arbustes épais semblent faire une palissade naturelle à cet abri écarté, où quelques arbres répandent leur ombre. Les couches de calcaire mises à nu par les convulsions du globe laissent voir leurs assises déchirées et repliées sur elles-mêmes par l’effet d’une tourmente furieuse. On dirait qu’on assiste encore au moment solennel où ces masses se sont soulevées avec fracas et se sont tordues sous l’effort de la tempête. La nature, par sa révolte, semblait préluder en ces lieux à celle des hommes, et le coin verdoyant qu’elle lui a ménagé au pied des éternels monuments de sa colère est comme le dernier asile où le lion acculé a délibéré avec lui-même de vendre chèrement sa vie, et d’où il s’est précipité sur les chasseurs pour les repousser hors de son empire envahi. C’est de là que la liberté moderne s’est élancée pour faire le tour du monde.