Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Henri iv (roi de france)
HENRI IV, roi de France et de Navarre, né au château de Pau le 14 décembre (et non le 13) 1553, fils d’Antoine de Bourbon et de Jeanne d’Albret, reine de Navarre. On connaît les historiettes tant de fois rapportées à propos de sa naissance. Henri d’Albret, son grand-père, voulut que sa fille chantât une chanson béarnaise dans les douleurs, afin de ne pas faire un enfant pleureur et rechigné. Aussitôt après sa naissance, il éleva l’enfant dans ses bras avec un cri de triomphe ; « Ma brebis a enfanté un lion ! » Puis il lui frotta les lèvres avec un cap d’ail et les lui humecta avec du vin de Jurançon. Héritier de la Navarre par sa mère, le jeune Henri était le premier prince du sang de la maison de France par son père, descendant du comte de Clermont, Robert, sixième fils de saint Louis. Il fut élevé dans toute la rudesse de la vie de montagnard, vaguant, dit-on, avec les enfants des paysans, nu-tête et quelquefois nu-pieds, en plein hiver, couvert de vêtements grossiers et nourri d’aliments communs. En même temps que cette forte éducation physique développait sa vigueur et sa hardiesse, on le confiait à des maîtres pleins d’érudition et de savoir, chargés de cultiver son esprit, et sa mère, sévère calviniste, le nourrissait dans les principes de sa foi. En 1561, il fut mené à Paris, où ses grâces agrestes charmèrent la cour, et où il reçut, au collège de Navarre, une instruction qui ne fut jamais poussée bien loin, mais qui était encore supérieure à celle de la plupart des gentilshommes et des princes de son temps. En effet, Henri IV connaissait les classiques latins et même un peu la langue grecque ; il faisait sa lecture habituelle de Plutarque, mais dans la traduction d’Amyot. À l’âge de quinze ans, sa mère le précipita dans la guerre civile et le conduisit elle-même au camp des calvinistes, à La Rochelle (1569). Il fit ses premières armes à Jarnac, et s’y conduisit, dit-on, vaillamment. La mort de Condé le fit reconnaître comme le chef du parti, sous le commandement effectif de Coligny. Après le désastre de Moncontour, il continua dans le Midi, avec les débris des armées protestantes, cette guerre de coups de main et de petits combats qui dura jusqu’à la paix de Saint-Germain (1570). Comme gage de réconciliation, il épousa alors Marguerite de Valois, sœur de Charles IX, devint roi de Navarre à la mort de sa mère (1572), et n’échappa au massacre de la Saint-Barthélemy qu’en embrassant solennellement le catholicisme. Charles IX lui avait laissé le choix entre la messe ou la mort, et il s’était prudemment décidé pour le premier parti. Il fit plus, il assista, dans la même année, au supplice de ses coreligionnaires et amis, Cavagnes et Briquemaut, et vécut pendant plusieurs années à la cour de France, mêlé aux débauches du duc d’Anjou et prenant sans doute à cette honteuse école l’habitude de cette incurable sensualité qui fut le scandale de sa vie. Catherine de Médicis, corruptrice de ses propres enfants, ne dédaignait pas non plus d’employer avec lui sa ressource ordinaire, afin de le retenir et de l’énerver, en présentant sans cesse de nouveaux objets à ses galanteries. D’Aubigné prétend que Henri jouait là le personnage de Brutus à la cour de Tarquin ; mais il n’y a rien de moins probable que cette assertion. Sa jeunesse, l’ardeur de son tempérament, la contagion de l’exemple, sa souplesse méridionale expliquent bien mieux sa conduite à cette époque. Cependant, soit que la honte le prit de vivre dans cette boue de la cour des derniers Valois, soit qu’il cédât aux suggestions du duc d’Alençon, soit qu’il regrettât son rôle de chef de parti, il s’enfuit pendant une chasse à Senlis (1576), rétracta à Tours son abjuration et reprit le commandement de l’armée calviniste. Il joua dès lors un rôle décisif dans toutes ces guerres civiles entrecoupées de traités, qui ensanglantèrent la fin du XVIe siècle, et s’y fit remarquer par cette vaillance audacieuse et héroïque, par cet esprit aventureux, ces saillies, cette belle humeur dans le péril, cette gaieté et ces bons mots dans la détresse, qui donnent tant d’originalité à sa physionomie et qui l’ont rendu si populaire. Ses exploits les plus remarquables jusqu’au moment de son alliance avec Henri III furent la prise de Cahors (1580), la conquête d’une multitude de places dans la Guyenne, la Saintonge et le Poitou, et surtout la fameuse victoire de Coutras (1587), où fut tué le duc de Joyeuse, l’un des mignons de Henri III. Ce dernier prince, chassé ; de Paris à la journée des Barricades (1588), se jeta, après quelques hésitations, dans les bras des protestants et joignit ses forces à celles du roi de Navarre pour marcher contre les ligueurs. On sait comment il fut assassiné à Saint-Cloud par le moine Jacques Clément, au commencement du siège de Paris (1589) Le duc d’Anjou étant mort en 1584, Henri de Bourbon se trouvait l’héritier direct de la couronne. Mais il n’était guère reconnu que par les villes du Midi et par une portion de l’armée, par les vieilles bandes calvinistes. La plupart des chefs de l’armée du feu roi refusaient de se soumettre à un prince hérétique, excommunié par le pape ; la Ligue, un moment en péril par l’union des deux rois, était redevenue plus formidable que jamais, soutenue par l’or et les troupes de l’Espagne et par le fanatisme d’une multitude en délire ; elle avait proclamé, sous le nom de Charles X, un fantôme de roi, le vieux cardinal de Bourbon, et son capitaine, le duc de Mayenne, tenait la campagne avec 30, 000 hommes. Henri jugea prudent d’abandonner momentanément le siège de Paris. Poursuivi à travers la Normandie par Mayenne, il gagna sur lui la bataille d’Arques (1589), vint tenter un coup de main sur Paris, échoua faute de canon, se replia sur la Normandie, soumettant la plupart des villes sur son passage et battit encore le duc de Mayenne à la mémorable bataille d’Ivry (1590), la plus importante action de sa vie militaire. Avant d’engager le combat, il avait adressé à ses compagnons de belles paroles qui échauffèrent leur courage:« Gardez bien vos rangs, leur dit-il, et si vous perdez vos enseignes, cornettes et guidons, ralliez-vous à mon panache blanc, vous le trouverez toujours au chemin de l’honneur et de la victoire. » Après cette glorieuse journée, il vint de nouveau assiéger Paris, que la famine allait lui livrer, quand l’arrivée des troupes espagnoles, commandées par le duc de Parme, Alexandre Farnèse, le contraignit de nouveau à la retraite. Il recommença alors la guerre de sièges, de coups de main, de marches hardies qui l’avait déjà relevé plusieurs fois. Arrêté à chaque instant par le manque d’argent, et menacé de voir son parti se dissoudre, il surmontait tous les obstacles par son intarissable gaieté, par les ressources d’un esprit formé de longue main aux fluctuations de la guerre civile et par sa fortune. Cependant, la Ligue s’affaiblissait, déchirée par les divisions ; les catholiques modérés commençaient à ouvrir les yeux sur les projets ambitieux de l’Espagne, et gémissaient sur les malheurs de la patrie ; le peuple, moissonné par la famine, se lassait des prédications fanatiques de ses moines-tribuns ; Mayenne voyait bien que ni l’Espagne ni la Ligue ne lui donneraient la couronne, et il paraissait disposer à traiter. Mais Henri IV lui-même n’était pas moins embarrassé que ses ennemis ; il voyait se perpétuer la guerre sans résultat décisif, et ouvrait l’oreille à ceux qui lui répétaient que la lutte ne pouvait finir que par la ruine de la France ou par une transaction dont la seule base possible était sa conversion au culte de la majorité. En réalité, cette transaction était depuis longtemps dans sa pensée, et il en avait même promis la réalisation aux catholiques qui suivaient son parti. Le mot qu’on lui prête au dernier moment:« Paris vuut bien un messe, » n’est pas invraisemblable, et l’on peut raisonnablement croire qu’un changement de religion n’était pas pour lui une affaire de conscience, mais une affaire d’État, et qu’il n’attendait qu’un moment favorable pour enlever à ses ennemis ce dernier prétexte. Après bien des hésitations.il prit à la fin son parti, eut quelques conférences à Saint-Denis avec des évêques, conférences qui n’étaient qu’une vaine formalité, se déclara convaincu, écrivit assez légèrement à sa maîtresse qu’il allait faire le saut périlleux, et abjura solennellement le protestantisme dans l’antique église de l’abbaye (25 juillet 1593).
Cet acte, diversement apprécié par les historiens, lui rallia une masse considérable d’adhésions. Il acheta les chefs, les gouverneurs de villes ou de provinces, au prix de sacrifices énormes qui obérèrent pour longtemps le trésor public, gagna, entre autres, le comte de Brissac, gouverneur de Paris, qui lui livra pendant la nuit l’une des portes, et fit son entrée dans la capitale le 22 mars 1594, ne rencontrant d’autre résistance que celle d’un poste espagnol. L’or et les dignités répandus à profusion firent faire un grand pas à la pacification du royaume, après les terribles convulsions qui avaient failli précipiter la France aux abîmes et la livrer, morcelée et déchirée par les factions, aux entreprises de l’étranger. Mayenne, appuyé par l’Espagne, essaya de se maintenir par la terreur dans son gouvernement de Bourgogne ; vaincu à Fontaine-Française (1595), il se décida à négocier et fit sa soumission. Cette même année, le pape accorda enfin l’absolution à Henri IV, et le reconnut comme légitime roi de France. En 1598, la Bretagne, qui avait continué la résistance, fut soumise ; la guerre avec l’Espagne, maîtresse de la Picardie depuis plusieurs années, fut terminée par la paix de Vervins, à des conditions honorables pour la France, et enfin le fameux édit de Nantes fut rendu (15 avril). Cet édit, un peu trop vanté peut-être, fut, au reste, arraché à Henri IV par l’attitude menaçante des protestants, qui se lassaient de réclamer justice depuis plusieurs années, et qui subissaient, depuis l’avènement de celui qui avait été leur chef, une situation réellement intolérable, excepté dans le Midi, où ils avaient leurs places de sûreté. Ils furent loin de se montrer satisfaits de cet édit, qui leur garantissait bien la liberté de conscience, mais ne leur assurait point partout le libre exercice de leur culte, et les laissait encore, dans une certaine mesure, en dehors du droit commun.
Toutefois, les protestations des catholiques, du clergé, de l’université et des parlements contre cette ordonnance montrent assez que Henri IV avait fait tout ce qu’il était possible de faire dans l’état des esprits.
Les principaux événements de la dernière période de son règne furent le rétablissement progressif des finances, de la marine, du commerce, des voies de communication et de l’agriculture, œuvre de Sully ; la création de manufactures de soie, de tapis, de toiles, de glaces, etc., due surtout à l’initiative du roi ; l’exécution de vastes travaux publics, le tracé d’un grand nombre des canaux qui sillonnent notre sol, des travaux de fortification aux frontières du nord et de l’est ; le traité de Lyon avec la Savoie (1601), qui cédait à la France, en retour du marquisat de Saluces, la Bresse, le Bugey, le pays de Gex et la citadelle de Bourg ; le divorce de Henri (autorisé par le pape), et son mariage avec Marie de Médicis (1600), union qui rétablit l’influence française en Italie ; la conjuration et le supplice du maréchal de Biron (1602) ; des conspirations sans cesse renaissantes dans la haute noblesse, ainsi que de nombreuses tentatives d’assassinat sur la personne du roi (Jean Châtel, Jean Guédon, le chartreux P. Ouin, les jacobins Ridicoux et Argier, le capucin Langlois, etc.) ; le rappel des jésuites (1603), chassés après l’attentat de Châtel ; des négociations habiles avec les protestants d’Allemagne pour l’abaissement de la maison d’Autriche, et des armements considérables pour l’exécution de ce vaste projet, qui eût assuré la liberté de l’Europe et prévenu peut-être les horreurs de la guerre de Trente ans. C’est au milieu de ces préparatifs et au moment d’entrer en campagne que Henri IV tomba sous le poignard d’un fanatique nommé François Ravaillac, qui le frappa dans son carrosse, rue de la Ferronnerie, à Paris (14 mai 1610).
On ne peut méconnaître ce que ce prince a fait pour l’unité et la nationalité françaises:la dissolution de la Ligue, faction stipendiée par l’étranger, pleine de l’esprit du moyen âge, et qui conduisait la France à sa ruine par la terreur et l’anarchie ; la destruction de l’influence espagnole en France ; la répression des tentatives d’indépendance féodale et quasi souveraine des gouverneurs de province ; la restauration de l’ordre politique et de l’administration : le développement donné au commerce, à l’industrie et à l’agriculture. On doit aussi lui tenir compte de ses grands projets, parmi lesquels il faut ranger, suivant Sully, qui en était le confident, le remaniement de la vieille Europe, qui devenait une fédération sous le nom de république chrétienne, régie, quant aux affaires internationales, par un sénat européen, chargé de prévenir toute rupture et de régler les différends entre les peuples, et où se trouvait consacrée l’égalité religieuse. Il faut encore honorer en lui le champion, quelquefois tiède et infidèle de la liberté de conscience, mais qui finit par en être le martyr.
Mais c’est avec raison que l’histoire lui reproche son ingratitude envers ceux qui avaient tout sacrifié pour lui, son égoïsme et sa sécheresse de cœur (attestés par ses amis mêmes), les scandales de sa vie privée, sa sensualité, ses prodigalités folles envers ses maîtresses et ses bâtards, pendant que le peuple, déjà ruiné par les guerres civiles, mourait de misère et de faim, sa duplicité spirituelle et l’absorption des libertés publiques par l’absolutisme de son pouvoir (destruction des franchises municipales, règlements contre la liberté d’écrire, suppression des états généraux, enchaînement de l’indépendance du parlement et de l’Université, etc.).
Quant aux traditions sur la prétendue bonhomie de Henri IV et sur son tendre amour pour le peuple, il faut bien reconnaître qu’elles sont peu conformes à la réalité historique. La poule au pot est une légende ou un de ces mots d’apparat qui coûtaient si peu à sa verve gasconne. Pendant la plus grande partie de son règne, le peuple fut écrasé d’impôts, et l’effroyable misère qui le décimait le poussa à des révoltes qui furent impitoyablement réprimées. L’irritation et la haine en vinrent à ce point, que le maréchal d’Ornano crut devoir prévenir le roi qu’il était haï et méprisé à cause des charges dont il accablait le peuple. Henri s’inquiétait peu de ces murmures et n’en continuait pas moins à gaspiller les trésors de l’État avec une prodigalité inouïe. On sait que ce ne fut qu’avec des peines infinies, et seulement vers la fin du règne, que l’honnête Sully parvint à ramener un peu d’ordre dans les finances. On trouve dans les écrits contemporains, dans Sully, d’Aubigné, Villegomblain, l’Estoile, des détails curieux sur le vrai caractère de ce roi, et qui contredisent singulièrement les complaisantes traditions dont l’origine ne remonte pas au delà du XVIIIe siècle, et qui ont surtout été propagées par l’esprit de parti. Quoi qu’il en soit, le nom de Henri IV est resté l’un des plus populaires parmi les noms de rois ; il serait même le seul qui fût resté populaire, s’il fallait prendre à la lettre le vers si connu :
Le seul roi dont le peuple ait gardé la mémoire.
Gudin de la Brenellerie, ami de Beaumarchais, dans une pièce de poésie faite pour un concours académique, en 1779, avait dit :
Seul roi de qui le peuple ait gardé la mémoire,
et ce vers avait été signalé par l’Académie comme propre à servir d’inscription à la statue de Henri. Depuis, la forme du vers a été un peu modifiée.
On sait que Henri IV est le héros qu’a choisi Voltaire lorsqu’il a voulu doter la France d’un poème épique. V. Henriade.
En résumé, comme le dit avec justesse un historien, Henri IV fut un grand roi plutôt qu’un bon roi. V l’excellente Histoire du règne de Henri IV, par M. Poirson (Paris, 1857), ouvrage plein de renseignements précieux pour tout ce qui concerne l’administration de Sully, l’état des sciences, des lettres, des beaux-arts, des finances, du commerce, des travaux publics, etc. Toutefois, il faut se tenir en garde contre l’enthousiasme exclusif de l’auteur pour son héros. M. Berger de Xivrey a publié les Lettres missives de Henri IV, publication due à l’initiative de M. Villemain.
On a voulu faire à Henri IV une réputation de poëte, et on lui a attribué, entre autres, la chanson qui commence par les mots : Charmante Gabrielle, et qui n’est pas de lui. V. Charmante Gabrielle.
Nous n’avons pas voulu couper, par des anecdotes souvent incertaines, le récit de la vie de Henri ; le nombre de celles qu’on raconte au sujet de ce prince est incalculable. Dans l’impossibilité de distinguer celles qui sont réellement authentiques, nous allons nous borner à en citer quelques-unes :
Henri IV, mettant un jour la main sur l’épaule de Crillon, dit à des ministres étrangers ; « Voilà le premier capitaine du monde. — Vous en avez menti, sire, c’est vous, » répliqua vivement Crillon.
On connaît le billet laconique que Henri IV lui écrivit : « Pends-toi, brave Crillon, nous avons combattu à Arques, et tu n’y étais pas. Adieu, brave Crillon, je t’aime à tort et à travers. »
Quelqu’un disait à Henri IV que le maréchal de Biron jouait fort bien à la paume. Lui, qui avait découvert la conspiration que Biron tramait secrètement contre l’État, répondit : « Il est vrai qu’il joue bien, mais il fait mal ses parties. » On sait que le jeu de Biron tourna mal pour lui, et que le roi, malgré de pressantes sollicitations, livra au bourreau la tête du coupable. V. Biron.
Henri IV aimait la plaisanterie et la souffrait volontiers chez les compagnons de ses victoires. Se promenant un jour aux environs de Paris, il s’arrêta, et se mettant la tête entre les jambes, il dit en regardant cette ville : « Ah ! que de nids de cocus ! » Un seigneur qui était près de lui fit la même chose et se mit à crier : « Sire, je vois le Louvre. »
Henri IV, ayant entendu parler d’un homme facétieux, voulut le voir. On le fit entrer pendant qu’il dînait. Le roi le fit approcher de la table vis-à-vis de lui, et lui dit : « Comment vous appelez-vous, mon ami ? — Sire, je m’appelle Gaillard. — Gaillard, répondit le monarque, voilà un joli nom ; quelle différence y a-t-il entre Gaillard et Paillard ? — Elle n’est pas grande, sire, repartit le drôle ; il n’y a que la largeur de cette table entre deux. »
La Varenne, avant d’être au service de Henri IV, avait été à celui de Catherine, sœur de ce roi, depuis duchesse de Bar ; et son emploi avec cette princesse était de piquer les viandes ; et comme il y excellait, elle l’avait cédé au roi, qui en fit le messager de ses amours. Catherine, passant par Paris pour aller en Lorraine, vit La Varenne, son ancien cuisinier, et sachant son emploi auprès de Henri IV, elle lui dit : « La Varenne, tu as plus gagné à porter les poulets de mon frère qu’à piquer les miens. »
Henri IV avait choisi Pierre Mathieu pour écrire son histoire particulière. Un jour que celui-ci lui lisait quelques pages de cette histoire, où il parlait de son penchant pour les femmes : « À quoi bon, lui dit ce prince, révéler mes faiblesses ? » L’historien lui fit sentir que cette leçon n’était pas moins utile à son fils que celle de ses belles actions. Le roi réfléchit, et après un moment de silence : « Oui, dit-il, il faut dire la vérité tout entière. Si on se taisait sur mes fautes, on ne croirait pas le reste ; eh bien, écrivez-les donc, afin que je les évite. »
Henri IV cherchait les moyens de redresser les abus du barreau, de réformer l’injustice des juges, et de faire en sorte que tous les procès que la mauvaise foi des procureurs éternisait fussent terminés en très-peu de temps. Comme son chancelier lui faisait remarquer son embarras, en lui exposant toutes les difficultés du projet, ce prince lui repartit vivement : « Brûlez tous les livres de ces longs et inutiles commentateurs de la jurisprudence ; leur art pernicieux ne sert qu’à ruiner les peuples et cause plus de désordres qu’une guerre civile. Combien d’amis, de parents, de voisins n’ont-ils pas divisés ? Que ne puis-je faire changer les fleurs de lis semées sur le siège des juges qui se laissent corrompre en autant de clous pointus et de rasoirs tranchants ! »
— Iconogr. Les artistes ont beaucoup contribué à propager, à populariser la légende du Béarnais, et il faudra sans doute encore bien des années pour que l’histoire fasse bonne et complète justice des flatteries qui ont été décernées par les artistes, aussi bien que par les littérateurs, au souverain « de la poule au pot. » De son vivant même, Henri IV eut les honneurs d’une quasi béatification. En devenant roi de France, le huguenot converti, comme tous ses prédécesseurs, reçut le titre de chanoine de Saint-Jean-de-Latran ; il en témoigna sa gratitude en faisant de gros cadeaux à ses confrères du chapitre de l’illustre basilique, et ceux-ci, pour n’être pas en reste, lui érigèrent une statue de bronze dans leur église, en 1608. Cette statue, exécutée par le Lorrain et Nicolas Cordier, est placée sous le portique latéral de l’église. Le roi est représenté debout, la main droite tenant le sceptre, la gauche appuyée sur la poignée de l’épée. Il est revêtu d’une cuirasse et d’un manteau. Le visage, qui est évidemment un portrait, a une expression débonnaire. Cette statue, originale d’attitude et de mouvement, a été gravée par Jean Le Mercier. En 1599, un autre artiste français, Jacquet, dit Grenoble, sculpta pour la décoration de la cheminée de la salle de comédie de Fontainebleau un bas-relief ovale en marbre, représentant Henri IV à cheval entre deux figures allégoriques, la France, se dévouant au monarque et la Paix. Cette sculpture, d’un relief très-saillant, est citée par Émeric David comme un des plus beaux ouvrages de l’époque. Un peu plus tard, Pierre Biard le père, disciple de Michel-Ange, exécuta la figure équestre en demi-bosse qui surmontait la porte principale de l’Hôtel de ville de Paris.
Après la mort de Henri IV, Côme de Médicis envoya à la reine un cheval de bronze modelé par Jean de Bologne et destiné d’abord à une statue équestre du grand-duc Ferdinand ; Dupré fut chargé de modeler une figure du Béarnais pour être placée sur ce cheval, et le groupe fut érigé, en 1635, sur un piédestal décoré de sculptures par Francheville. C’est l’ancien monument qui ornait le Pont-Neuf, et qui, détruit pendant la Révolution, a été remplacé par une statue équestre due à Lemot. (V. ci-après.)
Au château de Pau existe une statue de Henri IV, par Francheville, qui figurait autrefois au musée des Monuments français ; le musée de Versailles en possède une reproduction en plâtre ; le roi est représenté revêtu d’une armure et du manteau royal ; il porte les colliers des ordres du Saint-Esprit et de Saint-Michel. Une autre statue en marbre, qui était placée originairement dans la galerie de Saint-Cloud et qui se voit aujourd’hui à Versailles, nous le montre la tête ceinte d’une couronne de laurier, portant une cuirasse et un grand manteau, et s’appuyant de la main droite sur une canne. Lenoir attribue cette figure à Barthélemy Prieur. Le Louvre a de cet artiste un buste en albâtre de Henri IV, couronné de laurier, portrait d’une belle exécution, très-soigné dans les détails et qui passe pour être le plus ressemblant que nous ayons de ce monarque.
Parmi les peintres qui furent appelés à faire le portrait du vainqueur d’Ivry, le Flamand Franz Porbus le Jeune est celui dont les tableaux se sont le mieux conservés. Le Louvre en a deux, qui nous montrent le roi debout, en pied, la tête nue et tournée de trois quarts, les cheveux gris, la barbe et les moustaches blanches. Dans l’une de ces peintures, il porte une armure et le cordon de l’ordre du Saint-Esprit, avec une écharpe blanche en sautoir, et il appuie la main sur son casque posé sur une table recouverte d’un tapis de velours rouge ; dans l’autre, il a un vêtement noir avec l’ordre du Saint-Esprit et appuie la main sur une table où se trouve son chapeau. Ce dernier portrait, daté de 1610, a été gravé par F. Hubert, Tardieu, Pierre Audouin. Un autre portrait, par F. Porbus, appartient au musée de Montpellier. F. Forster, H. Bonvoisin et beaucoup d’autres ont gravé des portraits de Henri IV d’après le même peintre.
Un très-intéressant portrait de Henri IV a été gravé par Augustin Carrache, en 1595, d’après Fr. Bunel, « peintre en Paris. » Ce Bunel avait été chargé, avec Porbus, de peindre les portraits des rois et des reines de France dans la petite galerie du Louvre ; cette collection fut incendiée en 1661. À la date de 1591 se rapportent deux autres portraits de Henri IV, gravés l’un par l’Italien Cherubino Alberti, l’autre par l’Allemand Mathias Greuter. Le graveur populaire du vert-galant fut Léonard Gaultier, qui ne nous a pas laissé moins d’une douzaine de portraits de ce prince, en buste, en pied, à cheval, avec des inscriptions françaises et latines, en vers et en prose, où on le proclame de la race des dieux, où on le nomme l’Hercule gaulois. L’une de ces pièces nous montre Henri IV terrassant l’hydre.
D’autres portraits de ce roi ont été gravés de son vivant ou dans les années qui ont suivi sa mort, par Pierre Firens, Jost Hondius, Robert Boissard, Jacques Granthomme le Vieux, R. Hogenberg, Nic. Le Mire, B. Moncornet, J. Eillart, J. Diricks, J. van Halbeek, etc. Ce dernier a gravé, d’après P. Dubois, en 1610, une très-curieuse estampe représentant Henri IV dans son cercueil. Les estampes de L. Gaultier et de J. van Luyken, représentant l’Assassinat de Henri IV, sont aussi d’intéressantes pièces historiques. Des portraits plus récents ont été gravés par Edme Bovinet, E. Canu, Bernigeroth, D. Berger, Fr. Harrewyn, L.-J. Cathelin (d’après Cochin), Bassompierre (d’après Cochin, 1799), J.-F. Badoureau, N.-F. Bertrand, J.-A. Boener, Riffaut, etc.
À la pinacothèque de Munich est un portrait de Henri IV, par Rubens ; la physionomie est à la fois énergique et bienveillante, spirituelle et sensuelle ; le front est grand, le nez un peu busqué, le menton proéminent. Ce portrait, comme ceux du même prince qui figurent dans les tableaux de l’Histoire de Marie de Médicis, a sans doute été exécuté après la mort de Henri IV, d’après quelque peinture communiquée à Rubens. On sait que ce maître, outre l’Apothéose de Henri IV, qui est au Louvre (v. apothéose), a exécuté ou, pour mieux dire, ébauché une grande composition qui est au musée de Florence et qui représente Henri IV à la bataille d’Ivry.
Nous n’entreprendrons pas de décrire, ni même d’énumérer tous les tableaux, bas-reliefs, estampes et autres œuvres d’art qui ont illustré la légende de Henri IV ; la monarchie ne pouvait manquer d’encourager les artistes à retracer les moindres faits et gestes du vert-galant. Contentons-nous de citer quelques-uns de ces morceaux où l’art s’est abaissé trop souvent au dernier degré de l’adulation. Le Louvre possède un tableau de J.-F. de Troy (1732) représentant le premier chapitre de l’ordre du Saint-Esprit tenu par Henri IV dans l’église des Grands-Augustins en 1595, et un tableau de Vincent (1786) : Henri IV rencontrant Sully blessé. Une peinture de Taunay sur ce dernier sujet a figuré au Salon de 1822.
La Restauration ne négligea rien pour remettre en honneur la mémoire du fondateur de la dynastie des Bourbons. On vit les peintres grands et petits rivaliser d’empressement et de courtisanerie. Les tableaux relatifs à Henri IV, exécutés de 1815 à 1830, sont innombrables. Gérard, le peintre d’Austerlitz, peignit l’Entrée de Henri IV dans Paris (v. ci-après). Le seul Salon de 1822 vit paraître plus de dix peintures consacrées au fils de Jeanne d’Albret, notamment : Henri IV après la bataille de Coutras, par Adam ; Henri III à son lit de mort, désignant Henri IV pour son successeur, par Beaume ; Henri IV annonçant à la belle Gabrielle son entrée dans Paris, par Dumont ; Henri IV à cheval, par Mauzaisse ; Henri IV assassiné exposé sur un lit de parade, par Bergeret ; la Visite de Sully à la reine après la mort de Henri IV, par Mme Hersent (gravé par Alex. Tardieu). Au Salon de 1824 parut le Henri IV et ses enfants, peint pour le duc Blacas par Ingres, qui rit une répétition de ce sujet, en 1828, et qui a représenté, en 1831, Don Pedro de Tolède baisant l’épée de Henri IV. Citons enfin : Henri IV pardonnant aux paysans qui avaient fait entrer des vivres dans Paris (Salon de 1824) et l’Abjuration de Henri IV (Salon de 1833), par G. Rouget ; Henri IV faisant construire les galeries du Louvre (musée de Versailles), par Garnier ; Henri IV devant Paris (musée de Versailles), par Tardieu ; Henri IV chantant devant Gabrielle d’Estrées (Salon de 1810), par Bergeret ; Henri IV chez le meunier de Lieursaint, gravé par Niger, d’après Bernot ; la Partie de chasse de Henri IV, gravée par J.-G. Cagnet, d’après Moreau le Jeune ; Henri IV chez Zamet, gravé par W. Greatbach, d’après C.-R. Leslie ; la Leçon de Henri IV, gravée par J.-A. Allard, d’après Fragonard ; Henri IV chez Gabrielle, par F. Richard (Salon de 1810) ; Henri IV écrivant des vers sur le missel de Gabrielle, par J. Gigoux (Salon de 1833) ; l’Entrée de Henri IV à Montmélian (musée de Versailles), par E. Odier ; Henri IV exhumé en 1793, gravé par Ed. Bovinet, d’après E.-H. Langlois ; Henri IV et l’ambassadeur d’Espagne, par Bonington (payé 83, 000 francs par lord Hertford à la vente de la galerie San-Donato), Henri IV et l’ambassadeur d’Espagne, gravé par Jazet ; la Naissance de Henri IV, gravure de Bounieu, tableau de Vermay (Salon de 1810), et de Deveria (v. ci-après) ; le Mariage de Henri IV, par Isabey (Salon de 1830) ; Henri IV au Louvre sur son lit de mort, par Alexandre Hesse (au Grand Trianon) ; les Premières amours de Henri IV ou l’Origine de conter fleurette, suite de quatre pièces gravées par Bosselmann ; Henri IV à cheval, tableau de Ary Scheffer (Salon de 1831) ; une statuette de bronze, par Bosio, donnée en 1829 par le gouvernement à la ville de La Flèche ; une statue, par Ottin (Salon de 1808), commandée parle ministre des beaux-arts, etc.