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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Histoire universelle, par Agrippa d’Aubigné

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Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 1p. 308).

Histoire universelle, par Agrippa d’Aubigné (1616-1620, 3 vol. in-fol.). Cette histoire commence à la naissance de Henri IV et se termine à la fin du siècle et à l’édit de Nantes. L’auteur huguenot s’est proposé deux principaux objets : la justification du protestantisme et la glorification du Béarnais, du roi de Navarre protestant, et non pas du roi catholique de France ; il faut en ajouter un troisième, sa propre apologie.

D’aubigné est un écrivain consciencieux. Il veut présenter le plus de faits possible et les avoir exacts ; il veut accorder sa part de gloire à quiconque l’a méritée. Il s’attache plus aux choses qu’à la forme. « Si quelqu’un, dit-il, reproche à mon histoire qu’elle n’a pas le langage assez courtisan, elle répondra ce que fit la Sostrate de Plaute, à laquelle son mari alléguant pour vice qu’elle n’était pas assez complaisante et cajoleuse : « Je suis, dit-elle, matrone et femme de bien ; ce que vous me demandez est le propre des filles de joie. » Laissant donc ces fleurs aux poésies amoureuses, rendons vénérable notre genre d’écrire, puisqu’il a de commun avec le théologien d’instruire l’homme à bien faire et non à causer. » La personnalité de l’auteur intervient sans cesse dans le récit. Néanmoins, il repousse le reproche d’orgueil, par la raison qu’il ne s’est cité que là où la responsabilité lui incombait, ayant gardé le silence ou dissimulé son nom sous une formule vague là où la modestie lui était permise. D’Aubigné a tâché d’être impartial, même envers ses coreligionnaires. Il parle en termes modérés de Charles IX et de Henri III : « Voilà la fin de Henri troisième, dit-il après l’assassinat de Saint-Cloud, prince d’agréable conversation avec les siens, amateur des lettres, libéral par delà tous les rois, courageux en jeunesse, et lors désiré de tous ; en vieillesse, aimé de peu ; qui avoit de grandes parties de roi, souhaité pour l’être avant qu’il le fût, et digne du royaume s’il n’eût point régné : c’est ce qu’en peut dire un bon François. »

M. Sainte-Beuve lui reconnaît un mérite considérable, la pudeur historique : « Il comprend la dignité du genre qu’il traite ; il est des particularités honteuses ou incertaines que l’histoire doit laisser dans les satires, pamphlets et pasquins, où les curieux les vont chercher : d’Aubigné, qui aime trop ces sortes de pasquins ou de satires, et qui ne s’en est jamais privé ailleurs, les exclut de son Histoire universelle, et, s’il y en introduit quelque portion indispensable, il s’en excuse aussitôt : ainsi, en 1580, à propos des intrigues de la cour du roi de Navarre en Gascogne, quand la reine Marguerite en était : « J’eusse bien voulu, dit-il, cacher l’ordure de la maison ; mais, ayant prêté serment à la vérité, je ne puis épargner les choses qui instruisent. » Un autre mérite, c’est que l’historien marche rapidement aux faits et écarte tout ce qui ralentirait son mouvement. Aussi, cette Histoire universelle renferme-t-elle immensément de choses ; c’est le fidèle et saisissant tableau de la période militante de la Réforme en France ; scènes de la vie privée et de la vie publique, portraits de nombreux personnages, fluctuations de l’esprit public. Les détails militaires y sont trop multipliés ; les négociations y occupent aussi trop de place.

L’Histoire universelle a cependant de graves défauts : le style est suranné même pour l’époque de la publication ; il est sec, lourd, décousu ; la phrase est souvent obscure, embarrassée, La pensée de l’écrivain est quelquefois inintelligible. Cependant, des passages assez nombreux ont de la vigueur et de l’éclat. La bonne foi de l’historien ne peut être mise en doute ; réduit à ses seules ressources par la mort de Henri IV, qui, d’ailleurs, n’avait pas tenu toutes ses promesses, d’Aubigné fit voyager à ses frais dans toutes les provinces de France, réclamant partout des renseignements et des mémoires.