Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Homme (ÉTUDE DE L’), par M. de Latena

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Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 1p. 363).

Homme (ÉTUDE DE L’), par M. de Latena (1854, in-8°). Cet ouvrage est un des meilleurs livres de philosophie morale qu’ait produits la littérature française contemporaine. Ce n’est point à proprement dire un traité, c’est une suite d’observations et de sentences qui se suivent dans un enchaînement logique. Observateur attentif du monde et de la société, M. de Latena s’attache à donner le résultat de ses observations sous une forme pratique et familière. L’auteur a pour l’humanité cette indulgence qui est peut-être le dernier mot de la morale humaine. Sa philosophie a une grâce particulière:elle est affirmative sans être pédante et abstraite ; elle ne déclame jamais. « En recueillant ses remarques sur le cœur, sur les femmes et sur les sujets qui touchent aux passions, dit Sainte- Beuve, il s’est surtout inquiété d’être dans le vrai et de ne point dépasser dans son expression la mesure de ses propres jugements… Lorsqu’il en est particulièrement aux qualités et aux passions sociales, M. de Latena a de bonnes analyses et des définitions judicieuses. Sur les diverses impressions et les divers états de l’âme, tranquillité, calme, quiétude, etc. ; sur les qualités qu’on est porté à confondre, bonté, bienveillance, générosité, indulgence, etc. ; sur les formes en usage dans la bonne compagnie, civilité, urbanité, politesse, etc., il a des descriptions encore plus que des définitions, et qui donnent à l’esprit une idée exacte, qui lui apprennent à distinguer des expressions presque synonymes. »

Malgré le grand fonds d’indulgence et de sympathie générale qui est un des traits caractéristiques de son livre, M. de Latena ne se paye pas d’illusions. Il sait fort bien dévoiler l’amour-propre derrière les apparences trompeuses où il se réfugie, et découvrir tous les sentiments équivoques qui embarrassent notre conscience. (Comme La Rochefoucauld trouvait dans l’amour-propre l’unique mobile de toutes nos actions, les plus sublimes comme les plus basses, M. de Latena voit bien à quel point nos meilleurs sentiments sont mêlés de petites pensées mesquines, et combien notre faiblesse naturelle se fait jour, même dans notre grandeur. « Tout dans la vie, dit-il, est un jeu de hasard, tout, excepté la vertu. Elle procure seule un bénéfice certain. Je le crois, et cependant, en publiant ce livre avec un vif désir de faire quelque bien, je songe aussi à l’approbation des hommes. C’est contre elle que je joue mon repos. » Auprès de réflexions empreintes de tristesse et d’une mélancolie résignée, on rencontre, dans l’Étude de l’homme, beaucoup de passages piquants et qui témoignent de la plus fine observation. En résumé, cet ouvrage est l’œuvre d’un galant homme et d’un homme de bien. On n’y trouve ni une grande originalité, ni des observations bien neuves et bien profondes; mais il laisse une salutaire impression morale, et se lit avec intérêt.