Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/JÉRÔME DE PRAGUE, disciple de Jean Hus

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Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 3p. 951-952).

JÉRÔME DE PRAGUE, disciple de Jean Hus, né à Prague dans les dernières années du XIVe siècle. Il étudia à Oxford, où il s’initia aux doctrines de Wicleff, et parcourut ensuite diverses universités d’Europe, se faisant partout remarquer par une éloquence ardente et un grand savoir. À Paris, il soutint une discussion contre Gerson, qui s’en souvint au concile de Constance. Arrêté à Vienne, comme disciple de Wicleff, et délivré sur les instances de l’université de Prague, il vint dans cette ville et sa lie étroitement avec Jean Hus, dont il partageait les idées, et dont il devait partager le sort. Il attaquait déjà le pape et les abus de l’Église romaine. Il demandait, par exemple, si le pain de l’Eucharistie avait plus de vertu dans la messe du pape que dans celle d’un simple prêtre. On raconte qu’un jour il s’amusa, avec quelques amis, à représenter sur une muraille, d’un côté les disciples de Jésus-Christ, suivant leur maître monté sur une ânesse, et de l’autre les prélats dans leurs somptueux équipages, avec des chevaux harnachés, couverts de dorures et précédés de tambours et de trompettes. Une autre fois, dit-on, il poussa dans une rivière un moine qui n’était pas de son avis, et qui sortit de l’eau « ayant perdu le fil de ses arguments. » Jérôme était intellectuellement supérieur à Hus ; mais il subit toujours l’ascendant de son ami et resta son disciple, car il lui reconnaissait une grande supériorité morale. Il voulut l’accompagner à Constance, afin de le soutenir et de le défendre devant le concile. Hus s’y opposa ; mais son disciple lui promit d’accourir, si quelque danger le menaçait. « Soutiens, lui dit-il au moment du départ, soutiens intrépidement ce que tu as écrit et prêché, en l’appuyant sur les saintes Écritures, contre l’orgueil, l’avarice et les autres vices des gens d’église. Si cette tâche devient trop rude pour toi, si j’apprends que tu es tombé dans quelque péril, j’irai, je volerai aussitôt à ton aide. » Jérôme se rappela ces paroles, en apprenant que son ami était en prison, par ordre des membres du concile. Il partit donc pour Constance, sans sauf-conduit, se mêla à la foule, écouta ce qu’on disait. On disait que Jean Hus serait mis à mort, au sortir de prison, et que le concile ne voudrait pas seulement l’entendre. Jérôme, saisi d’épouvante, s’enfuit précipitamment ; mais il rougit bientôt de ce mouvement de faiblesse, et il écrivit à l’empereur pour lui demander un sauf-conduit, résolu à retourner à Constance. Cependant la réponse de l’empereur se faisait attendre ; Jérôme, étant un soir dans une ville de la forêt Noire, s’éleva violemment contre le concile. Il fut dénoncé, saisi et emmené à Constance, où on l’enferma dans la tour du Cimetière. Jean de Wallendrod, archevêque de Riga, à qui on l’avait confié, le fit charger de fers et attacher à un poteau de telle manière qu’il lui était impossible de s’asseoir et que sa tête était tirée en bas par le poids des chaînes. Jérôme tomba gravement malade et demanda un confesseur. Cependant il se rétablit ; on lui témoigna moins de cruauté qu’auparavant, mais il passa une année dans ce cachot, attendant son jugement. Le concile comptait sur ses souffrances pour obtenir une rétractation, et malheureusement il n’y comptait pas en vain. Jérôme se rétracta, souscrivit à la condamnation des écrits de Wicleff et de Jean Hus, jura de vivre et de mourir dans la profession de la foi catholique. Le concile aurait dû, pour son triomphe, ôter à Jérôme le temps de se repentir ; tel fut l’avis des cardinaux de Cambrai, des Ursins, d’Aquilée et de Florence ; mais de nouvelles accusations arrivèrent de Prague. Des moines qui ne demandaient qu’à allumer pour Jérôme un bûcher pareil à celui de Jean Hus prétendirent qu’il fallait réviser le procès. À cette proposition, les cardinaux cités plus haut demandèrent à être déchargés de leur office de commissaires dans le procès de Jérôme, et ils se retirèrent. On les remplaça, séance tenante, et l’enquête continua. Cependant Jérôme, dans sa prison, était honteux de sa rétractation, de sa lâcheté. Il imposa silence à ses remords en prenant la résolution de défendre la vérité jusqu’au bout, hardiment et fièrement. Amené devant le concile et sommé de répondre aux chefs d’accusation dressés contre lui au nombre de cent sept, il fut arrêté dès sa première réponse, parce qu’on voulait un oui ou un non pur et simple : « Dieu de bonté ! s’écria-t-il, quelle injustice ! quelle cruauté ! Vous m’avez tenu renfermé trois cent quarante jours dans une affreuse prison, dans l’ordure, dans la puanteur, dans le besoin extrême de toutes choses ; vous prêtez l’oreille à mes ennemis mortels, et vous refusez de m’écouter ! » Il se défendit avec une chaleur et une éloquence qui troublèrent et émurent maintes fois les membres du concile ; entraîné lui-même par l’émotion, et tout entier au souvenir de son ami et de son maître Jean Hus, il osa dire à ceux mêmes qui l’avaient condamné aux flammes : « Je l’ai connu depuis son enfance, et il n’y eut jamais aucun mal en lui. C’était un homme excellent, un juste, un saint ; il fut condamné malgré son innocence, il monta au ciel comme Élie, du milieu des flammes, et de là il appellera ses juges au redoutable tribunal du Christ. Moi aussi, je suis prêt à mourir ; je ne reculerai pas devant le supplice que me préparent mes ennemis et des témoins imposteurs, qui rendront un jour compte de leurs impostures devant le grand Dieu que rien ne peut tromper. » Et pour ne laisser aucun doute sur la douleur et le repentir qu’il ressentait de sa rétractation, il ajouta : « De tous les péchés que j’ai commis depuis ma jeunesse, aucun ne me pèse davantage et ne me cause de plus poignants remords que celui que j’ai commis en ce lieu fatal, lorsque j’ai approuvé la sentence inique rendue contre Wicleff et contre le saint martyr Jean Hus, mon maître et mon ami. Oui, je le confesse de cœur et de bouche, je le dis avec horreur, j’ai honteusement failli par la crainte de la mort, en condamnant leur doctrine ; je supplie donc, je conjure le Dieu tout-puissant qu’il daigne me pardonner mes péchés et celui-ci, le plus grave de tous, selon cette promesse qu’il nous a faite : « Je ne veux pas la mort du pécheur, mais je veux qu’il se convertisse et qu’il vive ! »

La sentence n’était pas douteuse ; elle fut motivée sur sa rétractation et sur l’approbation donnée aux doctrines de Wiclefl et de Jean Hus. En conséquence, condamné comme relaps et hérétique, il fut livré au bras séculier et conduit au lieu du supplice. Pendant les préparatifs du moment suprême, il pria et chanta l’hymne : Salve, festa dies. Voyant un pauvre laboureur apporter un fagot à son bûcher, il sourit et dit : « Ô simplicité sainte ! mille fois plus coupable est celui qui t’abuse ! » L’exécuteur mettant le feu par derrière pour n’être pas vu : « Avance hardiment, lui dit Jérôme, et mets le feu devant moi ; si je l’avais craint, je ne serais pas ici. » Ses cendres furent jetées dans le Rhin, comme celles de Jean Hus. Mais son idée restait.