Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/JEAN-BON SAINT-ANDRÉ (André JEANBON, dit), illustre conventionnel montagnard et membre du comité de Salut public

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Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 3p. 934).

JEAN-BON SAINT-ANDRÉ (André JEANBON, dit), illustre conventionnel montagnard et membre du comité de Salut public, réorganisateur de la marine révolutionnaire, né à Montauban le 25 février 1749, mort à Mayence le 10 décembre 1813. Il appartenait à une famille protestante de fabricants de draps, qui lui fit faire de bonnes études. Au sortir du collège, il étudia, à Bordeaux, les sciences nautiques, entra dans la marine marchande, et fit plusieurs voyages sur mer, d’abord comme lieutenant, puis comme capitaine. Ruiné par plusieurs naufrages, il résolut de se consacrer au ministère évangélique, alla étudier et se faire consacrer à Lausanne, et fut nommé pasteur à Castres, puis à Montauban. Ce fut à cette époque qu’il se maria et-prit le nom de Saint-André, sous lequel il resta connu.

Prédicant chaleureux, citoyen probe et austère, Jean-Bon Saint-André avait dans le midi une réputation honorablement acquise à l’époque de la Révolution. Il en embrassa les principes avec sa chaleur naturelle et la droiture de son caractère, avec la passion que les protestants devaient nécessairement ressentir pour un événement qui les affranchissait. Toutefois, il ne fut pas envoyé à l’Assemblée constituante et resta dans sa province, à la tête du parti du mouvement, et comme chef de la Société populaire de Montauban. Il lutta courageusement au milieu de conflits incessants, provoqués par une conspiration royaliste et religieuse qui embrassait tout le midi, et qui avait pour but le massacre des patriotes et des protestants. Nommé député à la Convention nationale, il prit sa place sur les bancs de la Montagne, vota la mort du roi sans appel ni sursis, se prononça énergiquement contre les girondins, et entra au comité de Salut public en juillet 1793. Il en devint aussitôt un des membres les plus actifs et fut chargé du département de la marine. Vivement préoccupé de la défense nationale, il était, comme ses collègues, pour la guerre active, offensive, conforme au génie français, contre le système prudent et défensif, tel que le pratiquait Custine. Après une mission à l’armée du Nord, il fut envoyé à Brest, en septembre 1793, avec Prieur (de la Marne), pour réorganiser les armées navales. On sait dans quel triste état était alors notre marine : Toulon venait d’être livré, avec l’escadre, aux Anglais : la flotte de l’Océan était désorganisée par l’émigration de la plupart des officiers ; la trahison et l’incurie étaient partout. Jean-Bon eut à lutter contre des difficultés énormes pour parer aux nécessités les plus pressantes. Il passa plusieurs mois à Brest dans un travail incessant, et parvint à rétablir l’escadre sur un pied respectable. Une journée à jamais illustre dans les fastes de la Révolution couronna ses efforts. Un grand convoi de grains était signalé arrivant d’Amérique (mai 1794). La disette le rendait deux fois précieux pour nous ; et comme les croisières anglaises tenaient la mer, il fut décidé que la flotte française, commandée par Villaret-Joyeuse, sortirait de Brest pour aller au-devant du convoi et protéger son entrée. Jean-Bon montait le vaisseau la Montagne, sur lequel fut arboré le pavillon amiral. On sait que la plupart des récits de cette campagne tragique et glorieuse sont empreints d’une malveillance outrageante en ce qui touche le rôle joué par le commissaire de la Convention. Dans ces relations, plus ou moins copiées sur celle des Victoires et conquêtes, on trouve, chaude encore, l’empreinte des rancunes militaires contre ces vaillants commissaires civils qui forcèrent souvent les généraux à vaincre, et surent abaisser le sabre devant la toge du citoyen. M. Michel Nicolas, dans sa Vie de Jean-Bon Saint-André (Montauban, 1848) ; M. Louis Blanc, dans son Histoire de la Révolution ; M. Sainte-Beuve, dans son étude sur l’illustre conventionnel, ont en partie rétabli la vérité sur ce point et disculpé Saint-André des misérables calomnies dont il a été l’objet.

La flotte française rencontra l’escadre anglaise avant d’avoir rejoint le convoi. Trois jours se passèrent en manœuvres et en combats partiels à travers la brume. Enfin, le 13 prairial an II (1er juin 1794), un engagement terrible eut lieu. Les forces anglaises étaient supérieures sous tous les rapports ; nos marins étaient inexpérimentés, mais ils surent combattre avec un héroïsme qui frappa les ennemis d’admiration. Jean-Bon peut avoir commis quelque faute de tactique, ce qui est encore controversé, mais il eut l’honneur de rester pendant tout le combat sur le pont de la Montagne, balayé par le feu de l’ennemi, encourageant les nôtres par la parole et par l’exemple. Villaret-Joyeuse, auquel on a prêté un propos malveillant à l’égard du délégué de la Convention, en parle, au contraire, dans les termes suivants dans ses Rapports à la commission de marine : « … Ma conduite a mérité les éloges les plus flatteurs de la part de Jean-Bon Saint-André. Le suffrage de ce représentant a d’autant plus de prix à mes yeux, qu’il a de grandes connaissances de ce métier, et que son aperçu en marine est aussi juste que celui qu’il a constamment déployé dans toutes les affaires qu’il a traitées. »

Et dans un autre rapport : « … Si quelque chose pouvait me consoler de ce désastre, c’est que, dans un combat aussi sanglant, et tel que l’histoire de la marine n’en offre aucun exemple, le représentant Jean-Bon Saint-André, tantôt à mes côtés, tantôt dans les batteries, encourageant et excitant l’ardeur des canonniers et des équipages, et voyant tomber à ses pieds nombre de ces malheureux, en a été quitte pour une légère égratignure à la main droite. »

Ces pièces, qui sont au ministère de la marine, et dont M. Sainte-Beuve a donné quelques extraits, déposent assez en faveur du conventionnel.

C’est dans ce combat, on le sait, qu’eut lieu l’épisode à jamais célèbre du Vengeur. (V. ce nom ; v. aussi Villaret-Joyeuse.)

Après une résistance acharnée, Jean-Bon et Villaret durent ordonner la retraite, laissant la mer jonchée de débris et ne traînant plus après eux que quelques-uns de leurs vaisseaux. Mais les Anglais vainqueurs n’avaient pas moins souffert ; ce fut véritablement une bataille de géants. Au total, l’effet fut des plus glorieux pour la République, et la journée eut un résultat immédiat : le convoi de grains passa à la faveur de ce formidable conflit et entra triomphalement au port de Brest. Il se composait de 116 navires.

Jean-Bon ne prit aucune part au 9 thermidor, dont il approuva d’ailleurs le résultat. Il était alors en mission à Toulon, repris sur les Anglais, et il donna de nouvelles preuves de son infatigable activité, travaillant à l’armement des côtes et développant de vastes projets pour lesquels il se trouva plusieurs fois en opposition avec Bonaparte, que son rôle à Toulon avait mis en lumière. En résumé, par ses labeurs, son énergie et sa vigilance, par l’impulsion qu’il donna, il fut véritablement, pendant ces deux années 1793 et 1794, le second de Carnot et son émule pour la marine.

La réaction thermidorienne tenta de l’atteindre, comme tous les anciens membres des grands comités. Il était d’ailleurs resté inflexible dans sa ligne politique et dans ses principes, et se vit dénoncé par les réacteurs, attaqué d’une manière incessante, et, malgré ses justifications, décrété d’arrestation le 28 mai 1795. Mais l’amnistie le rendit peu après à la liberté.

Le Directoire le nomma consul de France à Alger en novembre 1795. Il resta deux années dans ce poste, et fut envoyé au même titre à Smyrne en 1798. Il y était à peine, que la Porte, rompant avec la République, le fit arrêter comme otage. Il subit trois ans de captivité à Kêrasonde, sur les bords de la mer Noire, au milieu des plus odieuses persécutions de la part d’une population fanatique et barbare. Lui-même a laissé de cette longue et cruelle séquestration un récit plein de naturel et de dignité, dont quelques fragments ont été publiés, Il ne fut rendu à la liberté que le 15 septembre 1801. En débarquant à Marseille, ce vieux conventionnel, qui n’avait point connu le régime bâtard du Directoire, se trouva, sans transition, en présence d’une France nouvelle, celle du Consulat. Bonaparte, qui se souvenait de l’homme de Brest et de Toulon, du délégué énergique de la Convention, le jugea plus propre qu’un autre à faire une sorte de préfet d’avant-garde, et le nomma commissaire général dans les quatre départements de la rive gauche du Rhin, puis, après l’annexion définitive, préfet de l’un d’eux, celui du Mont-Tonnerre (Mayence), qu’il administra jusqu’à sa mort (d’où, pour le dire en passant, l’inévitable calembour populaire, Jean-Bon de Mayence).

Pendant dix années et plus qu’il occupa. ce poste important et difficile, il se montra un administrateur de premier ordre. Il nous reste comme témoignage ses travaux, sa correspondance administrative, la haute estime que l’empereur et les ministres professaient pour lui, enfin l’attestation d’un adversaire politique bien tranché, le comte Beugnot, ministre de l’empereur à Dusseldorf, et qui avait connu Jean-Bon à Mayence, en 1813. Chose remarquable, ce courtisan déterminé, serviteur de tous les régimes, l’antipode du conventionnel à tous les points de vue, demeura frappé du grand caractère du préfet de Mayence, et il a laissé dans ses Mémoires, publiés récemment par son petit-fils (1866), un portrait énergique et vivant de Jean-Bon. Il le donne comme le type du préfet modèle. « Travailleur infatigable, dit-il, administrateur toujours prêt, sévèrement juste sans acception de parti, il comblait les vœux du département, que d’abord il avait effrayé. Le mobilier de son cabinet consistait dans un bureau formé de quatre planches de sapin solidement unies, de six chaises de bois, et de la lampe devant laquelle il passait souvent les nuits. Les autres appartements de l’hôtel respiraient la même modestie, et la table était parfaitement assortie au reste. On retrouvait dans le préfet de Mayence le vieux conventionnel du comité de Salut public, avec sa frugalité et sa laboriosité toute républicaine. »

Tout en servant fidèlement le pays, dans le posté où l’avaient placé les événements, Jean-Bon Saint-André conservait au fond de son cœur ses sentiments républicains, et il ne cachait pas toujours son mépris pour cette mascarade d’habits dorés qui passait devant ses yeux. En présence des difficultés croissantes, il prévoyait les malheurs qui bientôt allaient s’abattre sur le pays, et il en voyait clairement la cause dans le despotisme et l’insatiable ambition de l’empereur. Beugnot raconte à ce sujet une scène bien saisissante. Un jour de cette année, 1813, que l’empereur était de passage à Mayence, il alla se promener sur le Rhin avec le prince de Nassau. Le préfet et Beugnot occupaient le centre du batelet. À un moment où Napoléon, debout, contemplait le fleuve, Jean-Bon dit à son compagnon, et sans trop baisser la voix : « Quelle étrange position ! le sort du monde dépend d’un coup de pied de plus ou de moins ! » Et comme le courtisan frémissait : « Soyez tranquille, les gens de résolution sont rares. »

Beugnot en tremblait encore vingt ans après. En sortant du bateau, Jean-Bon lui avait dit en forme de conclusion : « Tenez pour dit que nous pleurerons des larmes de sang de ce que sa promenade de ce jour n’ait pas été la dernière. »

Après la bataille de Leipzig, on fut contraint d’évacuer promptement, jusqu’aux bords du Rhin, les hôpitaux de l’armée française. Mayence reçut pour sa part une masse énorme de malades et de blessés traînant avec eux le typhus et autres maladies contagieuses. Jean-Bon Saint-André, alors âgé de 64 ans, déploya son énergie et son activité habituelles pour secourir les victimes des désastres qu’il n’avait que trop prévus. Dénué de ressources, il organisa cependant des hôpitaux, un service médical, se jeta au foyer même de l’infection avec le plus admirable dévouement, se multipliant nuit et jour pour soigner les malades, et bientôt fut atteint lui-même de la contagion, qui l’emporta après de cruelles souffrances. « Ainsi finit le vieux membre du comité de Salut public, laissant des regrets universels dans le département du Mont-Tonnerre, qu’il avait administré avec un succès remarquable. » (Beugnot.)

Un Mayençais, le conseiller de préfecture Mossdorff, en annonçant au ministre de l’intérieur que Jean-Bon Saint-André était dans un état désespéré, ajoutait cette phrase, expression de la douleur de ses compatriotes : « La maladie de ce digne magistrat affecte on ne peut pas plus péniblement tous ses administrés, qui le chérissent comme un père et oublient un moment leurs propres malheurs dans la crainte de perdre un préfet qui s’est tout entier consacré au bonheur du département. »

Voilà comment étaient appréciés par ceux qui vivaient autour d’eux ces hommes dont aujourd’hui encore nous sommes réduits à réhabiliter la mémoire.

Au moment où les conquérants dévastaient la terre, pour la satisfaction de leur ambition et de leur monstrueux égoïsme, n’est-ce pas un spectacle saisissant de voir ainsi périr, victime de son humanité et de son patriotisme, l’un de ces purs citoyens, de ces grands révolutionnaires, de ces sauveurs de la France, que le despotisme allait laisser épuisée, humiliée et amoindrie ?

On a de lui un mémoire intitulé Considérations sur l’organisation des protestants (1774) ; Opinion sur cette question : Louis XVI peut-il être jugé ? Opinion sur le jugement du roi et l’appel au peuple (1792, in-8o) ; Arrêtés concernant la marine de la République française (1794, in-8o) ; Journal sommaire de la croisière de la flotte (1794, in-8o).