Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/JULIEN, dit l’Apostat (Flavius Claudius Julianus), empereur romain

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Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 3p. 1103-1105).

JULIEN, dit l’Apostat (Flavius Claudius Julianus), empereur romain, né le 6 novembre de l’année 331, mort le 28 juin de l’année 363. Julien était le neveu de Constantin et le cousin de l’empereur Constance, fils et successeur de Constantin. Constantin avait trois frères : Dalmatius, Jules Constance, Annibalien. Jules Constance eut de Galla, sa première femme, Gallus, et de Basilène, sa seconde femme, Julien. Les frères, les neveux et les principaux officiers de Constantin furent massacrés après sa mort, à l’exception des deux fils de Jules Constance, par suite d’une conspiration de l’armée et du palais dont les causes sont mal connues, mais dont la responsabilité pèse sur la mémoire de l’empereur Constance. Gallus et Julien avaient, le premier douze ans et le second six, quand arriva la massacre de la famille impériale. Marc, évêque d’Aréthuse, avait, dit-on, sauvé Julien, qui fut caché dans le sanctuaire d’une église. Gallus, épargné comme malade et près de mourir, ne sembla pas valoir la peine d’être tué. L’enfance des deux princes fut environnée de soupçons et de périls ; ils demeurèrent six ans enfermés dans la forteresse de Macellum, ancien palais des rois de Cappadoce. « Pendant les six années que nous passâmes dans une terre qui ne nous appartenait pas, dit plus tard Julien en parlant de son séjour à Macellum, on nous gardait comme si nous eussions été prisonniers des Perses. Aucun de nos amis n’avait permission de nous aborder. Nous ne pouvions nous livrer à aucun entretien libre ni à aucun genre d’étude. Au milieu d’un domestique nombreux et magnifique, nous étions réduits à n’avoir pour camarades que nos esclaves et à faire nos exercices avec eux. Les jeunes gens de condition libre ne pouvaient nous approcher… Si mon frère a eu dans l’humeur quelque chose de brutal et d’inculte, il le tenait en partie de cette éducation rustique. » Demeuré seul auguste par la mort de Constantin II et de Constant, ses frères et ses collègues, Constance changea tout à coup de conduite à l’égard de ses cousins. Il les fit venir à Constantinople, et Gallus reçut le titre de césar avec la main de Constantine, sœur de l’empereur. Malheureusement, Gallus ne sut apporter dans l’exercice du pouvoir dont il était investi ni prudence ni modération. Sa femme, qui l’avait entièrement subjugué, ne cessait de chercher une occasion favorable pour le faire proclamer auguste et détruire Constance. Elle l’engagea en des entreprises sanglantes ou suspectes qui flattaient ou entretenaient sa violence, mais qui écrasèrent sa faiblesse. Considéré comme rebelle par l’empereur, il fut arrêté à Peltace, conduit à Flone en Istrie, dépouillé de la chaussure des césars, interrogé par l’eunuque Eusèbe, condamné à mort et exécuté non loin de Pola.

Julien avait reçu sa première éducation d’Eusèbe, évêque de Nicomédie, un des chefs de l’arianisme, et de l’eunuque Mardonius, personnage grave, Scythe de nation, grand admirateur d’Hésiode et d’Homère. Le premier avait essayé de diriger les goûts de l’enfant vers l’état ecclésiastique ; le second s’était appliqué à former les mœurs et les idées de son élève selon l’esprit grec. « Cette éducation mi-païenne mi-chrétienne, remarque fort justement M. Lamé, n’était pas alors une exception. Au IVe siècle et jusqu’à la fin du Ve les fils de famille étaient le plus souvent élevés ainsi, dans un égal respect pour les mythologies juive et grecque. Au même temps où Julien grandissait à Nicomédie, saint Basile et saint Grégoire de Nazianze recevaient une éducation tout à fait analogue. Les enfants ainsi élevés, une fois devenus hommes, prenaient parti pour ou contre le christianisme, si un goût irrésistible les entraînait vers les spéculations théologiques ; mais la plupart de ces jeunes gens de la haute classe, une fois sortis des écoles, se mêlaient franchement à la vie active, n’attachant qu’une médiocre importance à tout ce qu’ils avaient appris dans l’adolescence. Ceux-ci restaient toute leur vie indifférents entre le paganisme et le christianisme, également prêts, suivant qu’ils le jugeaient utile à leur influence dans la province et à leur crédit à la cour, à briguer les fonctions de pontife païen ou chrétien. » À l’âge de quinze ans, Julien fut, comme nous l’avons dit, réuni à son frère Gallus au château royal de Macellum. Dans cette réclusion, il acquit cette force concentrée de volonté, cet empire sur soi-même, sur ses appétits, ses sens, ses impressions, cette défiance des autres, qui forment les traits de son caractère. Les deux princes étaient astreints, par les ordres de Constance, à l’observance des pratiques religieuses, telles que les jeûnes, les offices, la dévotion aux tombeaux des martyrs. Il est probable que Julien n’y prit jamais une part volontaire : il subit comme un joug une religion ainsi imposée à l’indépendance de son esprit, et commença sans doute dès lors à envelopper dans la même aversion le dogme, le culte et la discipline.

Lorsque Gallus eut été nommé césar, Julien obtint de suivre ses études à Constantinople. Il alla voir le célèbre Libanius, qui tenait alors école dans cette ville, et pour lequel il conçut une amitié enthousiaste. Mais les évêques représentèrent à Constance qu’il était dangereux de livrer un prince du sang à un ennemi du christianisme. Libanius était en effet un païen, ou, comme on disait alors, un Hellène fervent et pratiquant. On défendit donc à Julien d’écouter ses leçons, et on lui fit suivre celles d’un rhéteur qui faisait profession du christianisme, Ecébole. Le jeune prince devint bientôt fort instruit dans toutes les sciences de son temps, sauf les sciences occultes. Celles-ci piquaient vivement sa curiosité : elles avaient pour son imagination mystique un attrait invincible. La popularité que lui avait faite à Constantinople sa passion pour l’étude portait ombrage à Constance. Il dut s’éloigner de la capitale et se rendre en tel lieu de l’Asie qu’il choisirait. Il alla d’abord à Nicomédie, puis à Pergame, où il fit mander Édésius, dont Libanius lui avait recommandé la science hiératique. Édésius était le représentant la plus accrédité de l’école néo-platonicienne, le plus savant des disciples de Jumblique. Les interrogations pressantes de Julien effrayèrent d’abord la vieillesse du philosophe, qui longtemps se refusa, par prudence, à y répondre. À la fin, touché et vaincu par l’ardeur et l’enthousiasme du jeune homme : « Cher enfant, lui dit-il, tu connais par mes paroles ce que mon âme ressent pour toi ; mais mon corps refuse de la servir. C’est, comme tu le vois, un vieil édifice qui menace ruine. Je te conseille donc d’aller chercher mes véritables fils ; tu trouveras chez eux une source inépuisable de lumière et de science. Si tu avais le bonheur d’être initié à leurs mystères, tu rougirais d’être homme, tu ne pourrais plus souffrir ce nom. Que n’avons-nous ici Maxime ? Malheureusement il est à Éphèse, et Priscus est en Grèce. Il nous reste Eusèbe et Chrysanthe. En prenant leurs leçons, tu soulageras un faible vieillard qui n’est plus en état de t’en donner. » Julien s’adressa d’abord à Eusèbe et à Chrysanthe ; mais il comprit bientôt que Maxime serait seul assez hardi ou assez habile pour lui apprendre les secrets de la théurgie. Il se rendit à Éphèse, où Chrysanthe vint le rejoindre. Maxime, d’un âge approchant de la vieillesse, portait une longue barbe blanche ; son éloquence était entraînante ; le son de sa voix se mariait si bien avec l’expression de ses regards, qu’on ne lui pouvait résister. Il accepta tout de suite d’initier Julien ; mais, auparavant, il lui imposa les privations les plus dures de sommeil, de nourriture et de parole. Au bout d’un mois d’épreuves, Julien, conduit au temple de Diane, reçut l’initiation depuis longtemps désirée, au milieu de cérémonies effrayantes, accompagnées de chants étranges, d’ombres évoquées, d’apparitions de démons et de génies. Il renonça à la religion chrétienne, se voua au culte de Mithra et choisit le soleil pour son dieu suprême. On dit que, voulant effacer en lui la souillure du baptême, Maxime le soumit à l’épreuve du taurobole et versa sur sa tête le sang d’un taureau nouvellement égorgé. Julien cacha soigneusement sa conversion à l’hellénisme. Pour vivre, et dans l’intérêt de la cause qu’il avait résolu de servir, il lui fallait cacher ses relations avec les disciples de Jamblique. Il retourna brusquement à Nicomédie, se fit raser la tête et se remit à suivre les pratiques chrétiennes. « C’était, dit Libanius, le contraire de la fable : c’était le lion qui prenait la peau de l’âne. »

Après la mort de Gallus, Julien fut conduit et interné à Milan, puis relégué à Côme. Les courtisans avaient essayé de l’impliquer dans le procès de son frère. Mais l’impératrice Eusébie, mue par la pitié, ou peut-être par un sentiment plus tendre, le prit sous sa protection, lui fournit l’occasion de se justifier et le fit envoyer à Athènes. Le voyage de Julien à Éphèse en avait fait un païen, son séjour à Athènes en fit un philosophe. Athènes dégénérée était encore la plus florissante école de l’univers. Julien y connut saint Basile et saint Grégoire de Nazianze, et tout prouve que ces trois jeunes gens, qui devaient avoir des destinées si différentes, deux saints vénérés de l’Église et un apostat maudit par elle, vécurent dans une étroite société. On trouve dans les écrits de saint Basile et dans ceux de Julien des idées et des expressions qui témoignent de relations amicales et d’études communes. La colère qui éclate dans les invectives de saint Grégoire contre Julien est sans doute d’autant plus vive qu’il avait aimé celui auquel il ne peut pardonner d’avoir renié sa foi.

Julien était heureux à Athènes ; on s’empressait autour de lui, on l’admirait, on le fêtait ; il eût voulu passer sa vie dans cette patrie des lettres et des arts, loin des honneurs dangereux et enviés. Mais Eusébie avait rêvé de faire de son protégé un héros guerrier : elle obtint pour lui le commandement des Gaules et le titre de césar. Julien, qui avait le sort de Gallus devant les yeux, reçut avec tristesse la lettre qui l’appelait au rang suprême. Arrivé à Milan, il traça ces mots pour l’impératrice : « Puisses-tu avoir des enfants ! Que Dieu t’accorde ce bonheur et d’autres prospérités ! Mais, je t’en conjure, laisse-moi retourner à mes foyers. » C’est ainsi qu’il appelait la Grèce. Le billet écrit, il n’osa l’envoyer, arrêté qu’il fut, dit-il, par les ordres et les menaces des dieux. Il avait conservé l’habit des philosophes athéniens et laissé croître sa barbe. Des courtisans ayant trouvé sa tenue inconvenante à la cour l’entraînèrent dans la boutique d’un barbier, le rasèrent et le revêtirent de l’habit militaire. Il faisait, dit-il, un plaisant soldat, marchant les yeux à terre comme un écolier. Pendant qu’il improvisait son éducation militaire, et qu’il s’exerçait à marquer le pas sur l’air de la pyrrhique, on l’entendit s’appliquer un proverbe alors populaire : Mettre une selle à un bœuf ! est-ce le harnais qui lui convient ? puis soupirer : Ô Platon !

Constance, le 6 novembre 355, ayant assemblé à Milan les légions, proclama Julien césar. L’orphelin, dans la pourpre, au milieu des meurtriers de sa famille, répétait tout bas un vers d’Homère. « La mort pourprée et son invincible destin l’enlevèrent. » Après avoir épousé Hélène, la plus jeune sœur de l’empereur, Julien partit pour son gouvernement des Gaules. Eusébie lui donna des livres ; Constance, des valets qui avaient pour mission de le surveiller. Il ne put emmener en Gaule que deux amis, le médecin Oribaze et Évémère qui, comme lui, professait alors en secret la religion hellénique. Durant les cinq années que Julien gouverna les Gaules, il courut d’une ville à l’autre, d’Autun à Auxerre, d’Auxerre à Troyes, de Troyes à Cologne, de Cologne à Trêves, de Trêves à Lyon : on le voit assiégé dans la ville de Sens ; on le voit passant le Rhin cinq fois, gagnant la bataille de Strasbourg sur les Alamans, faisant prisonnier Chrodomaire, le plus puissant de leurs rois ; rétablissant les cités, punissant les exacteurs, diminuant les impôts, et enfin soumettant les Chamaves et les Francs Saliens. Ammien Marcellin a tracé le récit de ces belles campagnes que Montesquieu résume dans les termes suivants : « Lorsque Constance envoya Julien dans les Gaules, il trouva que cinquante villes le long du Rhin avaient été prises par les barbares ; que les provinces avaient été saccagées ; qu’il n’y avait plus que l’ombre d’une armée romaine, que le seul nom des ennemis faisait fuir. Ce prince, par sa sagesse, sa constance, son économie, sa conduite, sa valeur et une suite continuelle d’actions héroïques, rechassa les barbares, et la terreur de son nom les contint tant qu’il vécut. » Et quel était ce dompteur de la Germanie, ce pacificateur des bords du Rhin ? Un guerrier éprouvé dans les combats, un soldat élevé sous la tente ? « Non, dit Ammien Marcellin, c’est un élève des Muses, à peine adolescent, nourri comme Érechthée dans le giron de Minerve et sous les pacifiques ombrages de l’Académie. » Ajoutons avec Voltaire qu’à cette conduite de héros, Julien joignit les vertus de Trajan, faisant venir de tous côtés du blé pour nourrir les peuples dans les campagnes dévastées, faisant défricher ces campagnes, rebâtissant les villes, encourageant la population, les arts, et les talents par des privilèges, s’oubliant lui-même et travaillant jour et nuit au bonheur des hommes.

Julien passa au moins à Lutèce les deux hivers de 358 et de 359. Il aimait cette petite ville, le Paris d’alors, et nous en a laissé une description unique, qui a été mille fois citée, mais qu’on ne saurait trop citer : « J’étais en quartier d’hiver dans ma chère Lutèce, c’est ainsi que les Gaulois appellent la petite cité des Parisii. Elle occupe une île au milieu d’une rivière ; des ponts de bois la joignent aux deux bords. Rarement, la rivière croit ou diminue ; telle elle est en été, telle elle demeure en hiver : on en boit volontiers l’eau, très-pure et très-riante à la vue. Comme les Parisii habitent une île, il leur serait difficile de se procurer d’autre eau. La température de l’hiver est peu rigoureuse, à cause, disent les gens du pays, de la chaleur de l’Océan, qui, n’étant éloigné que de 900 stades, envoie un air tiède jusqu’à Lutèce ; l’eau de mer est, en effet, moins froide que l’eau douce. Par cette raison, ou par une autre que j’ignore, les choses sont ainsi. L’hiver est donc fort doux aux habitants de cette terre ; le sol porte de bonnes vignes ; les Parisii ont même l’art d’élever des figuiers en les enveloppant de paille de blé comme d’un vêtement et en employant les autres moyens dont on se sert pour mettre les arbres à l’abri de l’intempérie des saisons. »

Cependant, l’impératrice Eusébie était morte. Le succès des armes et de l’administration de Julien excitait dans l’esprit de Constance une défiance et une jalousie qu’aucune influence ne combattait plus et qu’entretenaient avec soin les courtisans. Julien était à Lutèce, lorsqu’un tribun et un secrétaire impérial vinrent lui intimer l’ordre de diriger vers l’Orient ses meilleurs soldats afin qu’ils pussent au printemps entrer en campagne contre les Perses sous la conduite de l’empereur. Ces soldats adoraient leur général : ils ressentirent vivement l’affront qui lui était fait et le danger dont il était menacé. Vers minuit, à la fin du banquet d’adieu, les esprits s’échauffent ; le chagrin se tourne en désespoir et en révolte ; les légions soulevées environnent le palais, et, tirant leurs épées à la lueur des flambeaux, s’écrient : Julien auguste ! Il avait ordonné de barricader les portes : elles furent forcées au point du jour. Les soldats se saisissent du césar, le portent à son tribunal aux cris mille fois répétés de : Julien auguste ! Julien priait, conjurait, menaçait ses violents amis, qui, à leur tour, lui déclarèrent qu’il s’agissait de la mort ou de l’empire ; il fallut céder. On l’éleva sur un bouclier ; on lui donna pour couronne un collier militaire. C’en était fait : l’empire avait deux empereurs.

Julien écrivit au peuple et au sénat athénien la relation de ce qui s’était passé à Lutèce. Il adressa des lettres explicatives à Constance, lui demanda la confirmation du titre d’auguste. Après des négociations inutiles. Constance rejeta les propositions de son rival, et lui enjoignit de quitter la pourpre, non sans le traiter d’ingrat : « Rappelle-toi que je t’ai protégé alors que tu étais orphelin. — Orphelin ! dit Julien dans sa réponse à Constance ; le meurtrier de ma famille me reproche d’avoir été orphelin ! » Julien rassemble l’armée à Lutèce, lui communique les messages venus d’Orient, lui demande s’il doit abdiquer le titre d’auguste. Un grand bruit s’élève avec ces paroles : « Sans Julien auguste, la puissance est perdue pour les provinces, les soldats et la république. » C’était la guerre entra les deux rivaux. Décidé à marcher sur Constantinople, Julien part avec 3,000 soldats ; il était à peine suivi de 30,000 autres. Il s’enfonce d’abord dans les forêts voisines du Danube, arrive à Sirmium, où les fleurs et les flambeaux lui font cortége jusqu’au palais impérial, s’empare du pas de Succi, entrée de la Thrace, et s’arrête pour attendre le reste de son armée, pendant que la Macédoine, l’Italie et la Grèce lui envoient des députations, des hommages et des vœux ! Constance se préparait activement à la résistance, lorsqu’il mourut de la fièvre à Mopsucrène, en Cilicie, le 3 novembre 361. Tout l’empire se soumit aussitôt. Julien se dirigea vers Constantinople au milieu des pompes, des cortèges, des acclamations joyeuses, et il déclara hautement ce que tout le monde avait déjà deviné, qu’il comptait reprendra la tradition des grands empereurs, rétablir officiellement le culte de la patrie, et être, comme ses prédécesseurs, le chef spirituel des Romains.

Maître du monde, Julien put commencer l’exécution du double dessein qu’il s’était proposé : au dehors, en finir avec les Perses et par là assurer à l’empire une paix éternelle ; à l’intérieur, vaincre le christianisme et rétablir les autels du paganisme, mais d’un paganisme renouvelé par la philosophie. Les temples détruits par le temps ou par les chrétiens furent réparés. Comme le remarque Chateaubriand, Julien fut le Luther païen de son siècle ; il entreprit la réformation de l’idolâtrie sur le modèle de la discipline des chrétiens. Plein d’admiration pour la fraternité évangélique, il désirait que les païens se liassent ainsi d’un bout de la terre à l’autre ; il voulait que les prêtres de l’hellénisme prêchassent, comme ceux de la croix, la charité et l’hospitalité. Nous possédons un fragment d’une lettre très-belle et très-curieuse où il recommande à son clergé de pratiquer et de prêcher l’aumône, comme le plus sûr moyen d’attirer sur soi les faveurs célestes, « C’est un acte saint, dit-il, d’accorder, même à des ennemis, le vêtement et la nourriture ; car c’est à l’homme que nous donnons et non point à ses mœurs… Je pense que notre sollicitude doit s’étendre jusque sur les malfaiteurs enfermés dans les cachots. En cela, l’humanité n’interrompt pas le cours de la justice… Lorsque Jupiter ordonnait le monde, il tomba quelques gouttes de son sang sacré, d’où germa la race humaine, ce qui fait que nous sommes tous du même sang… Donnons donc de notre avoir à tous les hommes, mais plus largement aux gens de bien… ; car, qui s’est jamais appauvri en donnant à ceux qui sont dans la pauvreté et dans la détresse ? » Il ordonna à ses hiérarques de suivre l’usage « de la secte impie des Galiléens, qui, dit-il, non-seulement nourrit ses pauvres, mais souvent les nôtres. » Il leur prescrivit, en outre, d’établir dans chaque cité des hospices. « Je veux, dit-il, que les gens sans asile et sans moyens d’existence y jouissent de nos bienfaits, quelle que soit la religion qu’ils professent. »

Il faut remarquer que Julien, en s’efforçant d’introduire la pratique de la charité dans le paganisme, tendait à enlever au christianisme un moyen très-positif d’influence et d’action populaire. Cela entrait dans son plan de guerre contre « le galiléisme ». Ce plan était très-habilement conçu. D’abord il établit par un édit la tolérance universelle, c’est-à-dire la pleine liberté des hérésies et des schismes. Les évêques et prêtres, à quelque secte qu’ils appartinssent, furent également protégés par celui qui les méprisait tous, et qui espérait les affaiblir en les divisant. Il savait bien ce qu’il faisait, dit Ammien Marcellin, et que « les chrétiens entre eux sont les pires des bêtes féroces. » Ensuite, il fit défense à tout galiléen d’ouvrir école et d’enseigner les auteurs classiques. Selon Julien, les hellènes seuls avaient besoin de parler purement la langue grecque, afin de pouvoir comprendre les anciens et trouver dans le passé des preuves à l’appui de leurs croyances ; mais c’était une duplicité honteuse, un trafic contraire à l’honnêteté, de faire métier d’expliquer Homère, Hésiode, Platon, etc., quand on désapprouvait leur religion. « Ou n’expliquez point, disait-il dans son édit, les écrivains profanes, si vous condamnez leurs doctrines ; ou, si vous les expliquez, approuvez leurs sentiments. Vous croyez qu’Homère, Hésiode et leurs semblables sont dans l’erreur ; allez expliquer Matthieu et Luc dans les églises des galiléens. » Cette interdiction était un coup terrible porté à la religion chrétienne ; on peut en mesurer l’habileté à la douleur et aux colères de saint Grégoire. « Tous les lettrés et tous les savants galiléens, dit M. Lamé, comprirent que c’en était fait du galiléisme si cette loi restait en vigueur pendant quinze ans, pendant le temps de former une nouvelle génération. Les seuls galiléens sérieux étaient ceux de la classe moyenne. Or, les parents de cette classe, mis en demeure de laisser leurs enfants ignorants ou de les envoyer aux rhéteurs hellènes, n’auraient pas plus hésité que par le passé, et Julien s’était arrangé de manière à confondre entièrement l’éducation et l’enseignement, ce qui n’avait pas eu lieu avant lui et ce que fit le clergé chrétien au moyen âge. » Ce serait une singulière erreur de prêter à Julien une sorte d’impartialité sceptique, d’indifférence en matière de religion. La vérité est que c’était un prêtre couronné, un prêtre du paganisme dont la piété était trop ardente pour n’être pas empreinte de fanatisme, comme celle de ses ennemis. Il faut mettre sur le compte de l’habileté plutôt que sur celui d’une réelle tolérance la conduite relativement modérée qu’il tint à l’égard des chrétiens ; et l’on ne peut guère douter que, revenu vainqueur de l’expédition de Perse, il n’eût été amené à une persécution générale.

Tout était prêt, cependant, pour cette expédition de Perse au succès de laquelle Julien subordonnait l’accomplissement de ses grands desseins d’ordre temporel et spirituel. Après s’être assuré des grands ressorts de la guerre, argent, vivres, bons soldats, il part de Constantinople, dans les premiers jours du mois de juin 362, passe successivement à Chalcédoine, Nicomédie, Nicée, Pessinonte, Tarse et arrive à Antioche au mois d’août. À Antioche, où il séjourne, il reçoit d’abord un accueil chaleureux ; mais bientôt sa simplicité, sa rigidité de mœurs, sa longue barbe de philosophe, sa piété de pontife toujours prêt à offrir des sacrifices aux dieux, excitent les railleries. Vivement irrité des sarcasmes auxquels il est en butte, il ne songe pourtant pas à user du pouvoir pour se venger de ses détracteurs ; il se contente de tirer raison des épigrammes et des libelles par un pamphlet curieux, le Misopogon, qu’il laisse aux Antiochiens, en les quittant, comme un monument de son indignation et de leur injustice. D’Antioche, Julien se dirige vers Hiéropolis, y réunit son armée dans les premiers jours de mars 363, se porte vers la Mésopotamie, franchit l’Euphrate sur un pont de bateaux, et arrive à Batni. Là, il arrête son plan de campagne. Il charge son parent Procope de suivre la grande route de l’Asie avec un corps d’armée qui, avec les renforts promis par Arsace, roi d’Arménie, doit compter 30,000 hommes. Lui-même, à la tête d’une armée deux fois plus nombreuse, il s’engage en Mésopotamie, et, après quelques combats d’avant-garde, arrive sur les bords du Tigre en face de Ctésiphon. Le Tigre est traversé et les Perses défaits dans une bataille de douze heures. Julien ne songea point à entreprendre le siège de Ctésiphon, ville bien munie et bien fortifiée et trop vaste pour être investie. D’après ses calculs, Procope et le roi d’Arménie ne devaient plus être qu’à quelques jours de marche. Malheureusement, Procope était encore à Nisibe à attendre le roi d’Arménie, qui ne devait pas venir. Quelque importante que fût à plus d’un titre sa jonction avec un corps d’armée tel que celui de Procope, Julien se lassa bientôt de perdre un temps précieux. Impatient de s’avancer dans l’intérieur des terres, il brûla sa flotte, qui ne pouvait plus lui être d’aucune utilité et qu’il ne voulait pas laisser au pouvoir de l’ennemi, puis marcha à la rencontre de Sapor, roi des Perses, dans la direction de la Susiane, On était à la fin de juin ; l’armée romaine s’avançait dans de fertiles plaines couvertes de moissons déjà mûres, où le bétail et les chevaux trouvaient ample nourriture. Sapor résolut de faire un désert devant l’année de Julien. Les Romains virent se propager tout autour d’eux la fumée des moissons incendiées ; l’armée, en même temps qu’elle perdait tout espoir de renouveler ses provisions, était obligée de s’arrêter plusieurs jours de suite dans le même campement pour attendre que le feu fût éteint. Julien, égaré par la maladresse de ses guides, ou peut-être trompé à dessein par eux, jugea qu’il n’aurait pas le temps d’arriver jusqu’à Suse, avant l’épuisement de ses subsistances ; il rebroussa brusquement chemin, puis se porta vers le nord pour gagner la Cordouène, à travers la haute Assyrie. Dès que les Romains rétrogradèrent, l’ennemi, jusqu’alors invisible, se montra. Il y eut un premier combat de cavalerie, où les Perses furent facilement repoussés, puis un grand combat, 70 stades plus loin, dans un lieu nommé Maranga, où la victoire resta encore aux Romains. Les Perses, instruits par ces défaites, semblaient vouloir se borner à des escarmouches, quand un matin on annonce à Julien que les Perses ont commencé une attaque générale. Il prend le premier bouclier venu, et, sans cuirasse, il court au combat. La vue du prince, qui se multiplie pour faire face au danger, provoque un élan de son infanterie légère : les Perses sont repoussés ; ils fuient ; Julien se jette sur leurs traces, oubliant qu’il combat nu. Ses gardes lui crient vainement de se défier de cette masse de fuyards qui font pleuvoir une grêle de traits ; un javelot de cavalier, lancé par une main inconnue, effleure la peau du bras de Julien, lui perce les côtes et s’enfonce dans le foie. Il essaye d’arracher le trait, se coupe les doigts au double tranchant du fer et tombe évanoui de son cheval. On l’entoure, on le relève, on le porte au camp, on le dépose sur la peau de lion qui lui servait de lit militaire ; et quand il rouvre les yeux, il juge, malgré les soins de son médecin Oribase, que sa blessure est mortelle. Sa mort, telle que la raconte Ammien Marcellin, est admirable et rappelle la mort de Socrate et celle de Marc-Aurèle. « Amis, dit-il à ceux qui l’entouraient, le temps est venu de quitter la vie ; ce que la nature me redemande, débiteur de bonne foi, je le lui rends allègrement. Toutes les maximes des philosophes m’ont appris combien l’âme est d’une substance plus fortunée que le corps. Je sais aussi que les immortels ont souvent envoyé la mort à ceux qui les révèrent, comme la plus grande récompense. Les douleurs insultent aux lâches et cèdent aux courageux. J’espère avoir conservé sans tache la puissauce que j’ai reçue du ciel et qui en découle par émanation. Je remercie le Dieu éternel de m’enlever du monde au milieu d’une course glorieuse. Celui qui désire la mort lorsque le temps n’en est pas venu, ou qui la redoute lorsqu’elle est opportune, manque également de cœur… Je n’ai plus la force de parler. Je m’abstiens de désigner un empereur, dans la crainte de me tromper sur le plus digne, ou d’exposer celui que j’aurais jugé le plus capable, si mon choix n’était pas suivi : en fils tendre et en homme de bien, je souhaite que la république trouve après moi un chef intègre. » Après avoir ainsi parlé d’une voix tranquille, il disposa da ses biens de famille en faveur de ses amis. Tous les spectateurs de cette scène émouvante fondaient en larmes. Julien les réprimanda, disant qu’il ne convenait pas de pleurer une âme prête à se réunir au ciel et aux astres. On fit silence, et il continua de discourir de l’excellence de l’âme avec les philosophes Maxime et Priscus. Sa blessure se rouvrit ; il demanda un peu d’eau froide et expira sans effort au milieu de la nuit (26 juin 363). Il n’était âgé que de trente-trois ans. Il emportait dans la tombe les espérances de restauration du paganisme.

Les historiens ecclésiastiques racontent que Julien, après avoir arraché le trait qui venait de lui faire une blessure mortelle, le lança vers le ciel, en s’écriant : « Tu as vaincu, Galiléen. » Ce fait est suffisamment démenti par le récit détaillé que nous avons emprunté à Ammien Marcellin. Ils se plaisent aussi à parler d’une tentative de reconstruction du temple de Jérusalem, entreprise par l’ordre de Julien et arrêtée par des prodiges dont l’invraisemblance rend suspect le passage d’Ammien Marcellin qui semble les confirmer, nous nous bornons ici à mentionner ces deux faits, pour mémoire, et quant au premier, nous renvoyons au mot vaincre.

En morale et en politique, dit M. Zeller, Julien était l’élève du stoïcisme et de la vieille discipline romaine que, dans l’éloignement des temps, on confondait alors volontiers. Il proclamait lui-même qu’il avait pris pour modèle Marc-Aurèle, l’empereur philosophe, pour la vertu, et Caton pour la sévérité des mœurs. On trouve dans son épître à Thémistius, et dans quelques passages de ses discours et panégyriques, l’idée qu’il se faisait de la souveraine puissance. Avec Platon et Aristote, il pensait que, « de même que les dieux ont donné les troupeaux d’animaux à conduire à des êtres d’une nature supérieure, aux hommes, ainsi, pour gouverner les hommes, il faudrait au-dessus d’eux des êtres surhumains, des dieux. » Puisque cette mission n’appartenait point aux dieux, il répétait que l’homme devait, en prenant le gouvernement de ses semblables, « étouffer, selon l’énergique expression d’Aristote, la bête féroce qui monte sur le trône avec un despote ; » il condamnait donc l’autocratie, l’omnipotence souveraine, il voulait que le souverain ne régnât pas lui-même, mais qu’il assurât seulement le règne de la loi, cet esprit que ne trouble pas la tempête des passions. Incapable de s’élever à la conception d’une constitution politique, il exigeait du souverain qu’il fit le plus de bien possible aux hommes… Le grand pontife, dans Julien, fut loin de valoir l’empereur. C’est dans ses discours en l’honneur du soleil-roi et de la mère des dieux, la Cybèle de Pessinonte, ainsi que dans quelques écrits polémiques, qu’il faut chercher les idées religieuses de Julien ou celles qu’il emprunta k ses maîtres. Disciple du panthéisme d’alors, il concevait l’être un, intelligible, comme le principe, le type de toute perfection et de toute vertu, soleil de vérité et de beauté, soleil-roi, dont l’astre du jour était l’expression matérielle, l’image visible et comme l’agent intermédiaire, le médiateur entre l’être invisible et la création visible. Cette substance une, immatérielle et matérielle, arrivait par l’émanation à la pluralité des dieux, intelligibles pour la conscience des hommes et visibles pour leurs yeux. Les divins artistes de la Grèce en avaient trouvé la représentation idéale. »

L’empereur Julien est du petit nombre des souverains qui ont écrit. M. Talbot, qui a traduit ses œuvres, les range sous huit chefs principaux : 1o panégyriques ; 2o écrits mystiques et théologiques ; 3o œuvres philosophiques et morales ; 4o apologie ; 5o satires ; 6o polémique religieuse ; 7o correspondance ; 8o opuscules poétiques. Les panégyriques sont au nombre de trois. Les deux premiers sont écrits en l’honneur de Constance. Le troisième est celui de l’impératrice Eusébie. Les écrits mystiques et théologiques sont au nombre de deux, l’un sur le Roi-Soleil et l’autre sur la Mère des dieux. « Ce sont, dit M. Talbot, deux morceaux très-importants pour l’intelligence des idées néo-platoniciennes, à l’aide desquelles Julien essayait de construire le système de philosophie mystique dont il prétendait faire la religion hellénique, le polythéisme restauré. » Sous le nom d’œuvres philosophiques et morales, M. Talbot comprend les discours de Julien Contre les chiens ignorants ; Contre le cynique Héradius ; la Consolation à Salluste ; l’Épître à Thémestius et le Fragment d’une lettre d’un pontife. L’auteur y montre un esprit plein de justesse et de finesse, et un véritable talent d’écrivain. Le nom d’apologie s’applique très-bien à l’Épître au sénat et au peuple d’Athènes où Julien expose sa conduite à la ville d’Athènes, et la prend en quelque sorte pour juge entre Constance et lui. Cette lettre est une œuvre d’art achevée. La partie satirique des œuvres de Julien se compose des Césars et du Misopogon. Les Césars passent, à bon droit, pour le chef-d’œuvre de Julien. « Sous le titre de Misopogon, dit M. Albert de Broglie, Julien dépeint et déchire d’une dent mordante et venimeuse toute cette société polie de l’Orient, où païens et chrétiens ne différaient souvent que de nom et se confondaient dans une recherche commune des sensualités de la vie et des raffinements du luxe. » Nous ne possédons que des fragments des écrits polémiques de Julien contre le christianisme. Ce n’est que par des extraits de saint Cyrille que nous pouvons juger du plan de l’auteur et du parallèle qu’il établissait entre la nouvelle religion et le polythéisme. La correspondance de Julien se compose de quatre-vingt-trois lettres, diverses détendue et d’intérêt, « mais toutes remarquables, dit avec raison M. Talbot, soit par la lumière qu’elles répandent sur les idées de l’empereur et sur les faits de cette période, soit par le style, dans lequel il faut louer un heureux mélange de grâce exquise et de gravité. » Quant aux opuscules poétiques, ils sont d’une nature très-légère et ne doivent être mentionnés que pour mémoire.

Julien l’Apostat, roman anglais de Fielding (1743). C’est un singulier ouvrage, plein d’imagination, de verve et de gaieté paradoxale. Le cadre a de l’originalité ; c’est une série de confessions d’âmes, parmi lesquelles celle de l’homme qui fut empereur sous le nom de Julien l’Apostat tient le premier rang. On entend d’abord le récit d’une âme qui s’est échappée de son domicile corporel « par les narines, comme par un tuyau de cheminée. » Cette âme errante rencontre celle de Julien, qui lui fait part de ses aventures. En quittant le corps de l’empereur, elle a tour à tour habité un esclave, un juif, un général, un charpentier, un moine, un bateleur, un philosophe, un roi, un bouffon, un mendiant, un tailleur, un échevin, un poëte, un maître de danse et enfin un archevêque. Dans toutes ces situations, sauf la dernière, elle s’est évertuée à jouer des tours pendables ; elle a fait l’amour avec Hypathie, elle a lu des gaudrioles à saint Jérôme, elle a été cause qu’un de ses derniers corps a été châtré pour adultère. Après tant de vicissitudes, elle n’a mérité le repos que par la bonne conduite qu’elle a tenue dans le corps de l’archevêque Latimer, persécuté par Henri VIII. Toutes les aventures de Julien incarné dans ces différents personnages sont amusantes et se rapprochent du genre picaresque. Chaque état, sous lequel apparaît le défunt empereur, est peint avec ses vices, ses ridicules et ses travers sur un ton de familiarité excessif, léger, sans cependant manquer de profondeur.

Le récit s’interrompt brusquement, comme si la fin était perdue, et le livre se termine par l’histoire d’Anne de Boulen, que l’auteur place dans la bouche de cette malheureuse ou plutôt dans celle de son âme. Ce hors-d’œuvre ne semble placé là que pour faire illusion au lecteur en continuant la fiction.

Julien dans les Gaules, tragédie par M. E. Jouy (Théâtre-Français, 10 novembre 1826). L’élévation de Julien à l’empire par les légions de la Gaule a été racontée par Zozime et par Ammien Marcellin. Leur récit, où cependant se trouvent deux ou trois incidents dramatiques, semble peu propre, au premier abord, à fournir le sujet d’une tragédie. Mais M. Jouy a suppléé au défaut de l’histoire en inventant une de ces conspirations de théâtre où figurent un traître consommé, un amoureux que la passion entraîne au crime et que la générosité ramène à la vertu ; enfin, une femme tendre et héroïque dont la mort, à la fin de la pièce, console les scélérats de n’avoir pu mener à fin leur complot. Telle est toute la fable de ce drame, assez pâle au point de vue poétique, et nul, ou à peu près, au point de vue historique. L’auteur a bien entrevu les principaux traits du caractère de son héros, sa mysticité, ses superstitions, son inimitié contre le christianisme, sa simplicité stoïque ; mais il a jeté tout cela dans quelques vers, dans une ou deux scènes à peine ébauchées. Un des grands défauts de ce drame est aussi qu’on n’y apprend rien de la Gaule, de Paris, des mœurs et de l’esprit du temps. Tant d’intérêt cependant pouvait se rattacher aux souvenirs de notre vieille cité ! En résumé, à part deux ou trois scènes habilement exécutées, et certains détails touchants de l’amour de Julien pour une jeune esclave, en qui l’auteur a voulu personnifier cette Grèce adorée dont Julien s’était promis de rétablir le culte, cette tragédie est froide et ne présente qu’un intérêt médiocre. L’auteur comptait, pour le succès, sur la puissance des allusions. Les tirades contre les barbares du Nord, qui venaient désoler les Gaules, s’appliquaient à l’invasion des alliés ; on y trouve même quelques traits contre la Sainte-Alliance. Avec la bonne volonté qui régnait alors, quelques mots de Julien réveillaient le souvenir de Buonaparte.

Tous ces peuples de proie, attirés sur nos bords,

étaient pour les Russes et les Prussiens.

Cette maxime :

Aux yeux de l’univers le malheur est un crime.
Et la victoire seule est toujours légitime,

allait à tous les événements de l’époque.

L’invocation de Julien :

Que ne puis-je en ce jour, cher à l’humanité,
Sur les degrés du trône asseoir la liberté !

était à l’adresse du roi et faisait penser à la charte. Tout cela était déjà bien loin en 1826.

Julien empereur, statue antique en marbre dur ; au musée du Louvre. La ressemblance de la tête avec le portrait de Julien l’Apostat, tel que le montrent les médailles, est de l’évidence la plus frappante. On y remarque la barbe que Julien ne se fit plus raser dès qu’il eut secoué la dépendance de Constance, et qui, à la cour de celui-ci, lui faisait donner le surnom de Capella (la petite chèvre). L’empereur est revêtu d’un manteau grec ; il porte sur sa tête un diadème, où le laurier se voit entrelacé avec des cordons, et relevé par des pierreries. On pense que la ville de Paris a fait, du vivant de Julien, exécuter en Grèce cette belle statue pour l’élever en l’honneur d’un homme qui la chérissait, qui avait pris la pourpre dans ses murs et à qui elle devait des embellissements et les premiers pas vers sa grandeur future. On est frappé de la perfection un peu maniérée de la figure et du grand style des vêtements. Cette statue existait à Paris, oubliée dans l’atelier d’un marbrier, lorsque l’État en fit l’acquisition.