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Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Jeu de paume (SERMENT DU)

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Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 3p. 984).

Jeu de paume (SERMENT DU). Hist. On désigne ainsi l’un des grands épisodes de la Révolution française. L’Assemblée nationale était à peine réunie, que déjà son existence même était menacée par les complots et les intrigues du parti de la cour et des ordres privilégiés. Le roi flottait comme toujours, mais cependant semblait, à cet instant, disposé à suivre les inspirations de la faction qui voulait empêcher la réunion de la noblesse et du clergé au tiers état, humilier l’Assemblée, la dissoudre au besoin, ou tout au moins la réduire à l’état de simple machine à faire des lois, qu’elle se bornait à enregistrer au gré de l’autorité royale. Une séance royale avait été indiquée pour la signification des décisions souveraines. En attendant, le roi ordonna que la salle où siégeaient les états généraux serait fermée dès le lendemain (20 juin). La séance officielle était pour le 23, et le but de cette fermeture brutale était d’empêcher une partie du bas clergé de se réunir au tiers. Cette résolution fut affichée, le matin, dans Versailles et communiquée au président de l’Assemblée, Bailly, non pas même par une lettre du roi (qui écrivait bien de sa main au président du parlement), mais par un simple avis du maître des cérémonies, de Brézé. Dès nuit heures du matin, Bailly était, avec quelques députés, à la porte de la salle, protestant contre l’empêchement où se trouvait l’Assemblée de remplir son mandat. De nouveaux députés arrivent ; tous sentent l’humiliation, l’insolence d’un tel procédé, prélude assez visible d’un coup d’État. Voilà les envoyés de la nation traités comme des écoliers indociles, tenus à la porte, forcés d’errer à la pluie sur l’avenue de Paris, offerts, pour ainsi dire, aux moqueries des passants ! Jeu terrible pour ces aveugles de la cour ! Le peuple frémissait d’indignation. Les députés, qui sentaient bien que la France était derrière eux, mais qui, d’un autre côté, étaient encore à demi sous l’empire des superstitions de la vieille France, paraissaient intimidés par le mot redoutable et respecté : « Ordre du roi ! » ils se consultaient, délibéraient au milieu des groupes, hésitaient encore sur la forme de la résistance, ne voulant ni mourir sous le ridicule ni se jeter dans les résolutions extrémes, mais cependant énergiquement résolus à accomplir leur devoir. « À la place d’Armes ! » disaient les uns ; d’autres : « À Marly ! » d’autres encore : « À Paris ! » C’eût été mettre le feu aux poudres. Enfin, le docteur Guillotin ouvrit l’avis moins hasardeux de se rendre au vieux Versailles, et de se réunir dans la salle du Jeu de paume, lieu abandonné, démeublé, pauvre et nu, n’ayant rien qui rappelât (comme la magnifique salle des États) les pompes et les misères de la vieille société, et d’autant plus propice à servir de refuge et de berceau à la société nouvelle, à la raison pure, à la Révolution.

Voilà les envoyés de la France dans cette salle, dont le nom est désormais illustre, les voilà assemblés malgré le roi, et, sinon contre lui, car tous étaient encore royalistes, au moins contre la puissante faction qui l’entourait. Le moment était grave ; mais il n’y eut aucune hésitation, même aucune opposition ; l’Assemblée fut unanime, unie de cœur et de pensée dans une grande résolution patriotique.

Bailly, d’une voix grave, rend compte des faits, lit les lettres qu’il a reçues du marquis de Brézé, ainsi que la réponse que lui-même a faite, à savoir : que, n’ayant reçu aucun ordre positif du roi, il se rendrait, suivant son devoir, à la séance qui avait été la veille indiquée.

Un des modérés de l’Assemblée, Mounier (de Grenoble), qui plus tard émigrera, présente une opinion appuyée par Target, Chapelier, Barnave, et suivant laquelle les représentants de la nation doivent se lier au salut public et aux intérêts de la patrie par un serment solennel.

Les applaudissements éclatent de toutes parts, et l’Assemblée arrête aussitôt ce qui suit :

« L’Assemblée nationale, considérant que, appelée à fixer la constitution du royaume, opérer la régénération de l’ordre public et maintenir les vrais principes de la monarchie, rien ne peut empêcher qu’elle continue ses délibérations dans quelque lieu qu’elle soit forcée de s’établir, et qu’enfin, partout où ses membres sont réunis, là est l’Assemblée nationale,

« Arrête que tous les membres de cette Assemblée prêteront, à l’instant, serment solennel de ne jamais se séparer, et de se rassembler partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides ; et que, ledit serment étant prêté, tous les membres, et chacun d’eux en particulier, confirmeront par leur signature cette résolution inébranlable. »

Bailly et les secrétaires demandèrent la faveur de prêter le serment les premiers, ce qu’ils firent à l’instant, dans la formule suivante :

« Nous jurons de ne jamais nous séparer de l’Assemblée nationale, et de nous réunir partout où les circonstances l’exigeront, jusqu’à ce que la constitution du royaume soit établie et affermie sur des fondements solides. »

Tous les députés jurent d’enthousiasme, et la foule du peuple, qui était autour de l’édifice et dans les galeries, mêle ses acclamations à celles des députés. Les cris de « Vive le roi ! » accompagnent ce mémorable serment : c’était le cri de la vieille France qui, par une habitude consacrée, se mêlait encore au cri de la France nouvelle, au serment de la résistance et au cantique de la liberté.

Un orage éclatait en ce moment même, et son retentissement et ses rafales, s’engouffrant par les vastes fenêtres ouvertes, ajoutaient encore à la grandeur de cette scène.

Tout à coup, Camus annonce à l’Assemblée que le député Martin (d’Auch) a signé opposant. Un cri d’indignation se fait entendre ; mais, sur l’observation du président, l’Assemblée arrête qu’on laissera sur le registre cette unique signature négative, pour prouver la liberté des opinions.

L’appel des députés et la signature de l’arrêté finissent à quatre heures et demie (20 juin 1789).

L’énergie des députés, l’enthousiasme de la France annonçaient assez aux factions du passé quelle était la puissance du mouvement, et brisaient, pour le moment, l’espoir d’une dissolution violente et d’un retour à l’arbitraire, mais sans arrêter pour cela les intrigues et les complots. V. Assemblée nationale, Bastille, Révolution, etc.

Jeu de paume (SERMENT DU), esquisse, de David. Le grand peintre républicain ne pouvait guère choisir un sujet plus digne de l’inspirer que cette scène des débuts de notre grande Révolution, scène plus grandiose qu’aucune de celles dont l’histoire a gardé le souvenir. David voulut donner à sa toile des proportions inusitées. D’après une méthode qu’il suivait volontiers, il avait dessiné toutes ses figures nues, moyen fort ingénieux de ne donner à toutes que des mouvements naturels, sous les vêtements dont il les couvrit plus tard. David comprit immédiatement le vrai motif, le vrai sens politique de la scène qu’il voulait retracer : l’union qui reliait, en ce moment de suprême patriotisme, tous les membres de l’Assemblée, représentant les diverses opinions et les diverses classes du pays. Pour rendre cette pensée frappante, il a réuni, sur le premier plan, les portraits de dom Gerb, un chartreux, de Rabaud-Saint-Étienne, ministre protestant, de l’abbé Grégoire, prêtre catholique. À cette idée d’autant plus heureuse qu’elle n’imposait aucune espèce de recherche et de complication, le peintre en a joint une autre moins juste, selon nous, parce qu’elle est plus métaphysique et plus alambiquée. Il a voulu symboliser la chute de la monarchie, et pour rendre cette idée qui n’est pas susceptible d’être peinte directement, il a soulevé par un coup de vent un rideau de la salle, et nous a montré dans l’éloignement la chapelle royale frappée d’un coup de foudre. Une pareille allégorie ne se fût alliée que fort imparfaitement au puissant réalisme que David nous promettait dans le rendu des figures qui inondent la salle. Car, il ne faut pas l’oublier, le peintre des Horaces et des Sabines sait être, en présence de la réalité, d’un réalisme saisissant ; nous n’en voulons pour preuve que son immortel portrait de Pie VII, cette puissante et solide peinture. Combien doit-on regretter que le Serment du jeu de paume, qui promettait d’être le chef-d’œuvre de David, que ce prodige de mouvement, d’ensemble, de vie, d’élan patriotique, soit resté à l’état de simple esquisse, privé à tout jamais de cette touche large, vigoureuse, magistrale que David avait dans ses bons jours, lorsqu’un sujet académique ne venait pas étouffer ses qualités natives !

Tel qu’il est, le Serment du jeu de paume ne peut être considéré que comme un carton, mais un carton comparable à certains égards, supérieur sous d’autres rapports, aux meilleurs de l’école italienne. Quelques têtes cependant sont, sinon achevées, — elles ne pouvaient l’être que lorsque tout l’ensemble du tableau aurait été ébauché, — du moins peintes, c’est-à-dire à peine brossées, mais vivantes et parlantes déjà ; ce sont celles de Mirabeau, de Barnave, de Dubois-Crancé et du père Gérard. Tout le reste n’est que dessiné ou plutôt tracé au pinceau, avec des indications sobres et fortes des muscles et des mouvements, des parties d’ombres jetées çà et là pour traduire une première intention d’effet.

Au milieu de toutes ces têtes animées, de tous ces gestes enthousiastes et résolus, on admire la figure grave et placide de Bailly, dont l’expression sereine et contenue trahit une joie digne, calme, majestueuse quoique simple.

Pourquoi David, qui entreprit cette grande œuvre en 1791, l’a-t-il laissée inachevée ? Un décret du 28 septembre de la même année réglait que ce sujet serait traité aux frais de l’État et placé dans la salle des séances du Corps législatif. Si David eût donné suite à sa grande idée, nous posséderions sans doute un pendant du Couronnement, propre à faire oublier les défaillances de son talent et un peu celles de ses opinions,