Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Juin 1849 (JOURNÉE DU 13), épisode révolutionnaire qui fut une défaite pour le parti démocratique

La bibliothèque libre.
Administration du grand dictionnaire universel (9, part. 3p. 1099).

Juin 1849 (journée du 13), épisode révolutionnaire qui fut une défaite pour le parti démocratique, mais une protestation qui reste entière, qui a gardé toute sa signification contre l’expédition romaine.

On sait que la Constituante, avant de se séparer, avait invité par décret le gouvernement à ramener cette expédition au but qui d’abord avait été indiqué par les ministres et qui était censé sauvegarder la liberté italienne. Quand on apprit que l’armée française assiégeait Rome, le doute ne fut plus possible ; la démocratie française s’émut, des protestations éclatèrent de toutes parts. Dans l’intervalle, l’Assemblée législative, où dominaient les coteries monarchiques, avait succédé à la Constituante. À la suite d’interpellations et d’orageux débats, Ledru-Rollin déposa, au nom de la Montagne, une demande de mise en accusation du président de la République et des ministres, pour avoir violé la constitution en attentant à la liberté d’un peuple ami. Dans une réplique à M. Odilon Barrot, le chef de la Montagne laissa tomber ces paroles : « La constitution, violée par vous, sera défendue par nous, par tous les moyens possibles, même par les armes ! »

Il y eut une véritable tempête. Ceci se passait le 11 juin. Le lendemain, Ledru-Rollin, sans rien céder sur le fond, essaya cependant d’atténuer un peu ses paroles de la veille. L’Assemblée, d’ailleurs, rejeta la proposition de mise en accusation. Les représentants républicains étaient eux-mêmes entraînés, soulevés par l’agitation du dehors. Le comité démocratique socialiste pour les élections avait constitué une commission des vingt-cinq pour organiser la résistance. Les associations ouvrières, le Comité de la presse républicaine, le Comité des écoles, de nombreux groupes de gardes nationaux, la Société des amis de la Constitution, etc., étaient engagés dans le mouvement. Tout annonçait une journée révolutionnaire. Cependant, il n’y avait pas une parfaite unité de vues ; car, tandis que les uns voulaient qu’on se bornât à une manifestation pacifique, d’autres insistaient pour une prise d’armes sérieuse. Le caractère ambigu de la journée fut dû à ce double courant d’opinions dissidentes. Des ordres contradictoires, des tiraillements, des malentendus qui devaient persister jusqu’au dernier moment amenèrent l’avortement de ce grand soulèvement d’opinion.

Convoqué au Château-d’Eau par la presse, la Montagne et tous les centres de direction, le peuple s’y rassembla dans la matinée du 13. Beaucoup de gardes nationaux sans armes avaient également répondu à l’appel. Vers midi et demi, la colonne s’ébranla et commença à défiler en bon ordre sur le boulevard, au cri de Vive la République, vive la Constitution ! Étienne Arago et quelques autres officiers supérieurs de la garde nationale, en grand uniforme, marchaient à la tête de la colonne. Quel était le but de la manifestation ? On ne le savait pas trop, d’autant plus que l’Assemblée n’avait pas ce jour-là de séance publique.

Quoi qu’il en soit, à la hauteur de la rue de la Paix, Changarnier déboucha sur le boulevard à la tête de forces militaires considérables, et la colonne des citoyens est coupée par tronçons, chargée dans toutes les directions et bientôt dispersée. Premier échec, facile à prévoir, et dont l’effet moral fut tout à fait désastreux. Les cris Aux armes ! poussés par quelques groupes disséminés de tous côtés, restèrent sans écho.

Cependant, les représentants de la Montagne, qui délibéraient rue du Hasard, résolurent, après l’affaire du boulevard, d’aller s’installer au Conservatoire des arts et métiers pour s’y constituer en Convention. Ledru-Rollin, Considérant et un certain nombre de leurs collègues s’y rendirent en effet, accompagnés de Guinard, colonel de l’artillerie de la garde nationale, et d’une centaine d’artilleurs. Cette légion était animée de sentiments démocratiques très-prononcés. Mais l’incohérence des ordres et des contre-ordres ; l’indécision, l’incertitude qui présidait à la direction avaient rebuté le plus grand nombre des citoyens qui la composaient. Il devenait de plus en plus visible que le mouvement, mal combiné, mal dirigé, allait misérablement avorter. Le Conservatoire était on ne peut plus mal choisi comme point stratégique ; mais on était là au centre d’un arrondissement sympathique, et le colonel de la légion, M. Forestier, se flattait d’entraîner son quartier. Mais là, comme sur le boulevard, la même indécision se manifesta ; les montagnards, pleins de l’utopie d’un triomphe pacifique et légal, s’opposaient à ce que l’on fît des barricades et décourageaient ainsi les hommes d’action, qui jugeaient la situation plus logiquement, et qui voyaient bien qu’une foule de gens de cœur, représentants et citoyens, se sacrifiaient ainsi sans la moindre chance à la chimère d’une révolution pacifique. En effet, une heure à peine s’était écoulée, que la troupe arriva de tous côtés ; une poignée d’hommes résolus tentèrent une résistance inutile ; mais le Conservatoire, où il était d’ailleurs impossible de se défendre, fut enlevé presque sans combat, ainsi que quelques barricades qui avaient été improvisées dans les rues voisines. Ledru-Rollin, Considérant et quelques autres purent sortir par les derrières de l’établissement.

Jusque dans la nuit, des projets insurrectionnels circulèrent dans les quartiers populeux de Paris ; mais le défaut d’entente et d’organisation, les forces militaires dont la ville était remplie rendaient toute tentative extrêmement dangereuse et difficile.

Un autre épisode de cette journée, c’est l’envahissement, par des gardes nationaux commandés par M. Vieyra, de l’imprimerie de la rue Coq-Héron, où étaient les bureaux de plusieurs journaux républicains, et la dévastation de cet établissement par ces furieux amis de l’ordre et de la propriété.

Des mouvements se produisirent également sur divers points de la France, à Lyon, à Reims, à Bordeaux, à Lille, à Mâcon, etc. À Lyon, il y eut une insurrection sérieuse qui ne fut réprimée qu’après un sanglant combat.

Les conséquences de la malheureuse journée du 13 juin eurent une grande portée tant à l’intérieur de la France qu’à l’extérieur. L’état de siège, le régime des conseils de guerre, les suspensions de journaux, etc., telle devint en quelque sorte la situation normale et régulière d’une partie du pays. La politique de compression triomphait de toutes parts. La Montagne avait été décimée : Ledru et Considérant avaient réussi à gagner l’étranger ; mais d’autres, Gambon, Fargin-Fayolle, Commissaire, etc., allaient bientôt être livrés à la haute cour de Versailles, avec un certain nombre d’autres citoyens.

Rome tomba au pouvoir de nos troupes ; le pape fut restauré ; mais, après vingt ans d’occupation ou de patronage, le problème romain n’avait pas fait un pas ; nous nous étions aliéné les Italiens gratuitement et sans gagner la reconnaissance du parti clérical. L’effondrement du honteux régime de l’Empire et les événements qui suivirent ont depuis lors donné la juste mesure de la valeur morale et politique de notre malheureuse intervention en Italie.