Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/Kan-ing-p’ien ou le Livre des récompenses et des peines

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Kan-ing-p’ien ou le Livre des récompenses et des peines. C’est un petit traité de morale à l’usage des tao-ssé, l’une des plus anciennes sectes de la Chine, et qui regardent Laotseu comme le fondateur de leur doctrine. Parmi la multitude d’ouvrages qui sont à leur usage, il n’en est aucun qui jouisse d’une aussi grande autorité et qui se réimprime aussi souvent que le Livre des récompenses et des peines. Cependant il est rare qu’on l’imprime par spéculation. La propagation de ce livre est considérée comme un des premiers devoirs religieux, comme l’œuvre la plus méritoire et le meilleur moyen d’obtenir tout ce qu’on désire. Dès qu’une édition est épuisée, les personnes qui en possèdent les planches ouvrent une souscription qui se trouve promptement couverte. Les unes donnent de l’argent, les autres du papier ; d’autres, qui savent imprimer, se chargent volontairement du tirage. Si les planches sont usées, on trouve sans peine une foule d’artistes qui s’offrent de les graver à leurs frais. Les exemplaires que produit la nouvelle édition sont en grande partie distribués aux indigents qui ont concouru, suivant leurs moyens et leur fortune, à sa publication.

Les taossé ont donné la plus haute preuve du respect qu’ils ont pour ce livre en l’attribuant à Thaï-chang, c’est-à-dire au suprême Lao-tseu, le fondateur de leur secte. Wang-siang, qui vivait sous la dynastie des Song, a été regardé par plusieurs savants comme l’auteur de cet ouvrage. Mais cette opinion n’aaucun fondement. Le Kan-ing-p’ien, en effet, n’est autre chose qu’une compilation de sentences tirées ou imitées des King (Livres canoniques), des Tsé-chou (Livres classiques) et des philosophes, et les commentateurs ne rapportent point le nom de l’auteur qui l’a rédigé.

Selon la doctrine des tao-ssé, il y a des esprits chargés de surveiller toutes les actions de l’homme ; d’enregistrer ses bonnes et ses mauvaises œuvres, et d’en rendre compte à certaines époques à un conseil d’esprits célestes supérieurs, où l’on détermine la nature des récompenses à donner ou des peines à infliger à chacun suivant ses mérites.

C’est pour exciter les hommes à éviter les unes et à se rendre dignes des autres que ce traité de morale a été composé, absolument comme nos livres de morale chrétienne sont rédigés dans le but de nous apprendre les moyens de gngner le ciel et d’éviter l’enfer. La plupart des préceptes du moraliste chinois se font remarquer soit par la noblesse de la pensée, soit par une naïveté vraiment touchante :

« Suivre la raison, dit le sage, c’est avancer ; s’en écarter, c’est reculer.

On suit la raison lorsqu’on est sincère, pieux, bon ami, bon frère ;

Lorsqu’on a un cœur compatissant pour tous les êtres vivants ;

Quand on est plein de tendresse pour les orphelins et de commisération pour les veuves ;

Quand on évite de faire du mal aux insectes, aux herbes et aux arbres ;

Quand on sait être compatissant pour le mal d’autrui, se réjouir de son bonheur ; aider ses semblables dans leurs nécessités, les délivrer de leurs périls ; voir le bien qui leur arrive comme obtenu par soi-même et ressentir les pertes qu’ils éprouvent comme si on les faisait soi-même.

Alors, on est révéré de tout le monde, protégé par la Raison céleste, accompagné par le bonheur et les richesses ; toute impureté s’éloigne d’un homme qui agit ainsi. Les Esprits et les Intelligences lui composent une garde ; ce qu’il entreprend s’achève ; il peut prétendre à devenir esprit ou du moins immortel.

Pour, devenir immortel du ciel, il faut avoir effectué mille trois cents bonnes actions ; pour être immortel de la terre, il faut en avoir fait trois cents.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Ne point honorer ceux qui sqnt plus âgés que soi, dit encore le sage, et se révolter contre ceux qu’on devrait servir ;

Recevoir des grâces sans en être touché et nourrir des ressentiments implacables ;

Accorder des récompenses à des hommes indignes, envoyer les innocents au supplice, faire périr les hommes pour s’emparer de leurs richesses, renverser ceux qui sont en place pour s’emparer de leurs dignités ;

Tirer des flèches aux êtres qui volent dans les airs ; poursuivre ceux qui courent sur la terre, détruire les trous des insectes, effaroucher les oiseaux qui sont sur les arbres, boucher les ouvertures où les oiseaux vont nicher, renverser tes nids déjà construits, blesser les femelles qui portent et casser les œufs ;

Souhaiter la mort de ceux à qui l’on doit, ou dont on retient le bien ;

Oublier l’antiquité pour les nouveautés ; dire oui de bouche et non du fond du cœur ;

Rendre le ciel et la terre témoins des plus viles pensées et mettre sous les yeux des esprits des actions infâmes ;

Aimer à se vanter et être continuellement dévoré d’envie ; cracher, se moucher, proférer des injures du côté du Nord, etc.,

Voilà autant d’actions qui, ainsi que d’autres semblables, méritent d’être punies suivant leur gravité ou leur légèreté. Celui qui préside à la vie retranche à l’homme qui s’en rend coupable des espaces de douze ans ou de cent jours seulement. Le nombre qui lui en avait été assigné étant expiré, la mort vient, et après la mort, s’il y a encore un surplus de châtiment à recevoir, le malheur tombe sur ses fils et sur ses petits-fils, etc. »

Remarquons en passant que ce respect des tao-ssé pour le Nord ressemble beaucoup à la croyance des brahmanes, qui faisaient du mont Merou (le pôle Nord) le séjour de leurs dieux. Peut-être la secte des tao-ssé, comme celle des bouddhistes, est-elle originaire de l’Inde.

M. Abel Rémusat et M. Stanislas Julien ont donné tous les deux des traductions du Livre des récompenses et des peines.


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