Grand dictionnaire universel du XIXe siècle/LACLOS (Pierre-Ambroise-François CHODERLOS DE), général et littérateur français

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Administration du grand dictionnaire universel (10, part. 1p. 33).

LACLOS (Pierre-Ambroise-François Choderlos de), général et littérateur français, né à Amiens en 1741, mort à Tarente en 1803. Il est surtout célèbre par son roman des Liaisons dangereuses ; mais ses états de service dans l’armée et son rôle pendant la Révolution méritent d’être relatés. Brillant officier, aussi distingué par son esprit que par ses aptitudes militaires, capitaine du génie à trente-sept ans, il devint peu après secrétaire des commandements du duc d’Orléans, celui qui se fit appeler plus tard Philippe-Égalité, et, très-attaché à ce prince dont il était le conseiller intime, il se trouva mêlé à toutes les intrigues par lesquelles la branche d’Orléans essaya de se substituer à la branche aînée, sous le masque d’un ardent républicanisme. Il fut compromis par les dépositions de l’enquête faite au Châtelet sur les journées des 5 et 6 octobre ; on retrouva sa main dans les désordres populaires de cette époque, et il fut obligé de s’exiler à Londres, en même temps que son protecteur. Lorsque la cour n’eut plus aucun pouvoir, il rentra en France, s’affilia à la Société des jacobins, dont il rédigea le journal, et se mit en évidence par les motions les plus radicales. Il fut l’un des premiers à demander la déchéance, aussitôt après l’issue de la fuite de Varennes, et, en même temps, il rédigeait avec Brissot la fameuse pétition qui fut cause du massacre du Champ-de-Mars (17 juillet 1791). Il est évident que Laclos n’était pas un républicain, et que, à travers tous ces troubles, il poursuivait l’élévation au trône du duc d’Orléans. Ses liaisons avouées avec les patriotes l’aidaient dans ce double jeu. Nommé colonel d’artillerie, il fut adjoint au maréchal Luckner, qui commandait alors sur le Rhin et dont la vieillesse avait besoin d’un aide (1792) ; il fut promu la même année au grade de maréchal de camp. Peu de temps après, s’écroulait l’édifice de ruse et d’hypocrisies si péniblement échafaudé par Philippe d’Orléans ; son conseiller, devenu suspect, fut arrêté, incarcéré à Picpus, et parvint néanmoins à se faire relâcher. Incarcéré une seconde fois, il fut rendu à la liberté après les événements du 9 thermidor. Le Directoire le nomma successivement secrétaire général de l’administration des hypothèques et général de brigade commandant l’artillerie de l’armée du Rhin. Sous l’Empire, il était inspecteur général à l’armée de Sud-Italie, lorsqu’il mourut en 1803.

Laclos s’était fait connaître, dès 1782, par le plus audacieux roman d’alcôve qu’ait vu naître le XVIIIe siècle, où pourtant ces sortes d’œuvres n’étaient pas rares, les Liaisons dangereuses (Amsterdam et Paris, 1782, 4 parties in-12) ; malgré la licence des peintures, c’est une œuvre virile, un roman de moralité, le seul qui pût effrayer cette société en décomposition et lui faire peur d’elle-même. (V. Liaisons dangereuses.) Il publia ensuite des Poésies fugitives (1783), une lettre à l’Académie française,'à propos de l’éloge de Vauban (1786, broch. in-8o) ; Carnot y a joint ses observations. On lui doit encore la continuation de l’ouvrage de Vilate, Causes secrètes de la révolution du 9 thermidor (1795, in-8o) ; il a collaboré à la Galerie des états généraux (1789), à celle des Dames françaises, et à plusieurs ouvrages sur les fortifications et l’art de la guerre. C’était un homme d’un grand talent littéraire, un écrivain sobre et énergique, d’une imagination puissante. Ses ennemis politiques ont voulu faire croire qu’il s’était peint lui-même sous le masque de cet horrible Valmont, le roué sans cœur dont il a fait son héros ; il paraît, au contraire, avoir vécu avec une grande simplicité, et son esprit, dans la vie privée, était plutôt enclin à la bonhomie qu’à la malice. On lui a imputé tout aussi gratuitement une profonde dépravation de mœurs, parce que ses héros sont dépravés ; mais s’il fallait être un scélérat pour peindre le crime et l’infamie, les plus grands génies, à commencer par les poètes tragiques, seraient bons à séquestrer. Ce qu’on peut lui reprocher plus légitimement, c’est la part qui lui revient dans les basses et louches manœuvres du duc d’Orléans, et comme il vivait avec l’entourage de ce prince, on doit croire qu’il a peint la société qu’il avait sous les yeux.